Bulletin

Affrontements sur l’herbe (partie III) : la question de la relation d’alliés

Auteurs : Patricia L. Olasker et Vincent A. Mercier

Dans les motifs conjoints publiés récemment par les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et de la Saskatchewan dans l’affaire Aurora Cannabis Inc. concernant l’offre publique d’achat non sollicitée d’Aurora Cannabis Inc. visant la totalité des actions de CanniMed Therapeutics Inc., les commissions se sont penchées sur la question de savoir dans quelles circonstances l’initiateur et les actionnaires de la société cible pouvaient être considérés comme des « alliés ». Consultez nos bulletins du 3 janvier et du 20 mars concernant cette affaire.1

Contexte

À l’audience, CanniMed a fait valoir que quatre de ses actionnaires (collectivement, les « actionnaires ayant convenu d’un dépôt ») qui avaient signé des conventions de dépôt « fermes » avec Aurora aux termes desquelles ils s’engageaient à déposer leurs actions en réponse à l’offre d’Aurora devaient être considérés comme agissant conjointement ou de concert avec Aurora à l’égard de l’offre. Pour démontrer l’existence de cette relation d’alliés, CanniMed a cité les modalités des conventions de dépôt fermes aux termes desquelles les actionnaires ayant convenu d’un dépôt s’engageaient à voter contre toute autre proposition d’acquisition ou toute autre mesure qui pourrait nuire à l’offre d’Aurora et à voter contre l’acquisition proposée de Newstrike Resources Ltd. par CanniMed. CanniMed a également plaidé que parce qu’ils étaient entrés en contact avec Aurora pour solliciter l’offre et avaient fourni à celle-ci des renseignements importants qui n’avaient pas été rendus publics (notamment le fait que CanniMed envisageait l’acquisition d’une société du secteur du cannabis dont le nom n’avait pas été précisé et des détails importants concernant le déroulement des négociations et le moment auquel auraient lieu les délibérations du conseil de CanniMed), les actionnaires ayant convenu d’un dépôt étaient devenus des participants actifs qui ont aidé Aurora à planifier son offre et, ce faisant, étaient devenus des alliés de celle-ci. Les actionnaires ayant convenu d’un dépôt avaient accès à de tels renseignements parce que trois d’entre eux étaient représentés au conseil de CanniMed.

Le fait pour les commissions de conclure à l’existence d’une relation d’alliés aurait eu des conséquences négatives importantes pour l’initiateur, dont l’exclusion des actions visées par les conventions de dépôt pour établir si Aurora satisfaisait à l’exigence relative au dépôt minimal de 50 % imposée par la loi et le fait pour l’offre d’Aurora d’être considérée comme une offre faite par un initié assujetti aux obligations prévues dans le Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d'opérations particulières, dont les obligations liées à l’évaluation.

Les commissions refusent de considérer les actionnaires ayant convenu d’un dépôt comme des alliés

Fait étrange pour une enquête aussi tributaire des faits, personne n’a appelé les actionnaires ayant convenu d’un dépôt à témoigner. Par conséquent, comme l’ont fait remarquer les commissions, la preuve concernant l’interaction entre les actionnaires ayant convenu d’un dépôt et Aurora était limitée. Sur le fondement de cette preuve limitée, les commissions des valeurs mobilières en sont venues à la conclusion que la relation d’alliés n’avait pas été établie. Comme nous le verrons ci-après, les motifs des commissions des valeurs mobilières ont surtout analysé les effets des conventions de dépôt ainsi que la conduite des actionnaires ayant convenu d’un dépôt et celle d’Aurora.

Conventions de dépôt

Les règles sur les offres publiques d’achat prévoient qu’une personne n’a pas une relation d’alliés ou n’agit pas de concert avec un initiateur du seul fait de la conclusion d’une convention aux termes de laquelle elle déposera ses titres en réponse à une offre publique d’achat. Les règles ne font aucune distinction entre les conventions de dépôt fermes et les conventions de dépôt révocables, et la simple présence d’un engagement de dépôt ferme ne permettait pas aux commissions de conclure que les actionnaires ayant convenu d’un dépôt étaient des alliés de l’initiateur.

Les commissions des valeurs mobilières ont considéré l’effet de la présomption voulant que les personnes qui, par l’effet d’une convention, d’une entente ou d’un engagement, entendent exercer de concert leurs droits de vote sont présumées être des alliés et ont conclu que cette présomption pouvait être renversée lorsque l’exercice des droits de vote est conforme à des engagements légitimes de dépôt de titres en réponse à une offre ou vient autrement appuyer de tels engagements. À cet égard, les commissions des valeurs mobilières ont souligné que l’utilité des conventions de dépôt aurait été considérablement réduite si les actionnaires ayant convenu d’un dépôt avaient pu voter en faveur de l’opération avec Newstrike et faire échec à l’offre d’Aurora. En outre, les conventions de dépôt ni n’obligeaient les actionnaires ayant convenu d’un dépôt à voter conformément aux directives d’Aurora ni n’impliquaient le transfert de droits de vote à Aurora.

Cette analyse repose sur le point de vue des commissions des valeurs mobilières selon lequel les conventions de dépôt sont bien établies dans le domaine des fusions et acquisitions et aident à offrir à l’initiateur une certaine certitude quant à la réalisation de l’opération et favorisent les opérations visant à rehausser la valeur pour les actionnaires. Ce raisonnement vaut d’autant plus dans le contexte de la période d’offre de 105 jours et de l’exigence d’un dépôt minimal de 50 % prévues dans les règles sur les offres publiques d’achat, contexte qui laisse plus de place à la possibilité qu’un initiateur concurrent se présente. Selon les motifs, il n’y a rien de mal à ce qu’un actionnaire cherche à améliorer la liquidité de son placement et à obtenir un meilleur prix pour ses titres au moyen de la conclusion d’une convention de dépôt.

Conduite des actionnaires ayant convenu d’un dépôt et d’Aurora

Les commissions des valeurs mobilières se sont montrées nettement plus préoccupées par le fait que les actionnaires ayant convenu d’un dépôt avaient transmis à Aurora des renseignements qui n’avaient pas été rendus publics, renseignements qui ont été très utiles à Aurora au moment de la formulation de son offre. Toutefois, ce comportement ne constituait pas un motif suffisant pour que les commissions concluent qu’il créait une relation d’alliés puisque les actionnaires ayant convenu d’un dépôt étaient tous des vendeurs agissant pour le compte de leurs propres intérêts financiers afin de maximiser la valeur et la liquidité de leur placement, alors qu’Aurora était le seul acquéreur potentiel dans le cadre de l’opération. Comme le soulignent les commissions des valeurs mobilières, Aurora et les actionnaires ayant convenu d’un dépôt sont demeurés « de deux côtés fondamentalement opposés de la clôture » et la communication de renseignements importants qui n’avaient pas été rendus publics à Aurora (bien qu’elle soulève d’autres questions) avait pour seul but de voir l’offre d’Aurora être menée à terme, compte tenu de leur intérêt personnel à titre de vendeurs. Le fait qu’Aurora n’ait pas utilisé les renseignements en question pour procéder à des achats discrets a aussi sans aucun doute joué dans la balance aux yeux des commissions des valeurs mobilières.

Deux leçons claires à tirer

  • Il est difficile de concevoir une situation où des actionnaires qui se limitent à conclure des conventions de dépôt fermes avec un initiateur hostile pourraient être réputés entretenir une relation d’alliés avec lui.
  • Les dispositions concernant l’exercice des droits de vote dans les conventions de dépôt ne donneront pas à conclure à une relation d’alliés si celles-ci sont conformes aux objectifs légitimes d’un actionnaire vendeur, notamment en ce qui concerne le prix, la liquidité et le succès de l’offre.

La porte est toujours ouverte

Même si les commissions des valeurs mobilières ont conclu que les faits de cette affaire ne permettaient pas de conclure qu’il s’était formé une relation d’alliés, les motifs permettent d’établir une distinction entre les parties en opposition dans le cadre d’une opération et les actionnaires et initiateurs qui coordonnent leurs efforts afin d’atteindre un résultat planifié. Les motifs laissent la porte ouverte à une conclusion différente dans un certain nombre de situations. Par exemple :

  • Teneur des renseignements. Les commissions des valeurs mobilières ont laissé entendre que la communication de renseignements importants qui n’ont pas été rendus publics pourrait permettre de conclure qu’il existe une relation d’alliés. Si une telle communication est « claire et importante, cela pourrait suggérer un degré de coopération qui permettrait de conclure que les actionnaires sont de mèche avec l’initiateur et participent à la planification de l’offre dans une mesure qui va au-delà d’une recherche légitime de maximisation du prix et de la liquidité de leurs actions. »
  • Offres concurrentes. Les circonstances dans lesquelles a lieu la communication des renseignements importants qui n’ont pas été rendus publics sont tout aussi importantes que la teneur des renseignements communiqués. Si la communication d’information privilégiée à un initiateur lui confère un avantage quant au moment du dépôt de son offre en présence de deux ou de plusieurs offres concurrentes ou empêche une enchère d’avoir lieu ou fait par ailleurs obstacle à l’exercice du droit des actionnaires de décider entre des offres concurrentes, les commissions des valeurs mobilières sont considérablement plus susceptibles d’ouvrir la porte à des recours visant à garantir des conditions équitables.
  • Avantages spéciaux. La preuve que les actionnaires ayant convenu d’un dépôt reçoivent des avantages autres qu’un meilleur prix et une plus grande liquidité et qui créent un déséquilibre entre leurs intérêts et ceux des autres actionnaires pourrait permettre de conclure qu’il existe une relation d’alliés (en plus, bien sûr, d’être pertinente dans le cadre de l’analyse d’ « avantages accessoires » au terme du Règlement 61-101). II s’agit d’un nouvel élément dont il faudra tenir compte dans le cadre de l’analyse de la relation d’alliés. Il sera intéressant d’en voir l’application dans les décisions à venir.
  • Incidence des conventions de dépôt. Même si elles reconnaissent que les conventions de dépôt sont bien établies dans le domaine des fusions et acquisitions, les commissions des valeurs mobilières se réservent le droit d’invoquer leur compétence en matière d’intérêt public quant aux modalités des conventions de dépôt et quant au contexte dans lequel elles sont utilisées dans des affaires futures. Il reste donc à savoir si les conventions de dépôt qui renferment des dispositions hors-normes ou exceptionnellement contraignantes ou qui transfèrent de fait les droits de vote à l’initiateur ne pourraient pas soutenir la thèse qu’il existe une relation d’alliés.

1 Se reporter au bulletin de Davies daté du 3 janvier 2018, intitulé Les Commissions des valeurs mobilières se prononcent à l’égard de l’offre hostile opposant Aurora et CanniMed et au bulletin de Davies daté du 20 mars 2018, intitulé Affrontements sur l’herbe (partie II) : Pilules empoisonnées stratégiques et conventions de dépôt dans le cadre d’offres hostiles.

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