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Affrontements sur l’herbe : Les Commissions des valeurs mobilières se prononcent à l’égard de l’offre hostile opposant Aurora et CanniMed

Auteur : Patricia L. Olasker

À la suite d’une audience conjointe tenue à la mi-décembre, les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et de la Saskatchewan ont rendu des ordonnances identiques concernant l’offre publique d’achat non sollicitée d’Aurora Cannabis Inc. visant les actions ordinaires émises et en circulation de CanniMed Therapeutics Inc. et le recours de Cannimed à un régime de droits des actionnaires pour contrer l’offre en question. Bien que les motifs qui sous-tendent les décisions des commissions des valeurs mobilières n’aient pas encore été publiés, on sait d’ores et déjà que les ordonnances auront plusieurs incidences importantes sur le recours à un régime de droits des actionnaires à titre de mesure de protection d’une opération.

Contexte

Le 14 novembre 2017, Aurora a annoncé qu’elle avait présenté une proposition d’acquisition au conseil d’administration de CanniMed en vue de l’acquisition de cette dernière en échange d’actions d’Aurora. Dans son annonce, Aurora ajoutait qu’elle avait conclu des conventions de dépôt irrévocables avec des actionnaires détenant 38 % des actions émises et en circulation de CanniMed (collectivement les « actionnaires ayant convenu d’un dépôt »). Aux termes des conventions de dépôt, les actionnaires ayant convenu d’un dépôt devaient déposer leurs actions de CanniMed en réponse à l’offre d’Aurora et « voter contre toute autre proposition d’acquisition ou mesure qui pourrait avoir pour effet d’empêcher la concrétisation de la proposition d’Aurora, de la retarder ou d’y nuire ». Il importe de noter que les conventions de dépôt ne renfermaient aucune disposition permettant aux actionnaires ayant convenu d’un dépôt de les résilier advenant la présentation, par un tiers, d’une offre supérieure visant l’acquisition de CanniMed.

Trois jours plus tard, CanniMed a annoncé qu’elle avait conclu une convention d’arrangement avec Newstrike Resources Ltd. aux termes de laquelle elle ferait l’acquisition de la totalité des actions ordinaires émises et en circulation de Newstrike en échange d’actions de CanniMed. Au moment où Aurora a officiellement présenté son offre non sollicitée, le 24 novembre 2017, celle-ci était conditionnelle à ce que l’acquisition de Newstrike ne soit pas réalisée.

Le 29 novembre 2017, CanniMed a annoncé qu’elle s’était dotée d’une pilule empoisonnée. Le communiqué indiquait que la pilule empoisonnée « empêche Aurora de procéder à l’acquisition d’actions de CanniMed autres que celles déposées en réponse à son offre hostile et de conclure des conventions de dépôt additionnelles à l’égard de l’offre en question ». Quant au but visé par la pilule empoisonnée, le communiqué indiquait qu’elle visait à éviter que les actionnaires de CanniMed soient contraints de déposer leurs actions en réponse à l’offre d’Aurora et à offrir à CanniMed la possibilité de conclure une autre opération d’acquisition. En outre, le communiqué laissait entendre que le principal objectif de la pilule empoisonnée était de protéger l’opération devant intervenir avec Newstrike et n’avait pas « pour but d’empêcher l’offre hostile ou toute autre offre ».

Arguments des parties

Aurora

Dans la demande qu’elle a déposée auprès des commissions des valeurs mobilières, Aurora cherchait à obtenir une ordonnance d’interdiction d’opérations sur les titres émis aux termes de la pilule empoisonnée qui, selon elle, avait été stratégiquement conçue pour faire obstacle à son offre non sollicitée et renfermait des dispositions inusitées visant à restreindre la capacité des actionnaires de CanniMed de répondre à l’offre d’Aurora. Plus précisément, Aurora maintenait que les modalités de la pilule empoisonnée étaient, à plusieurs égards, incompatibles avec le Règlement 62-104 sur les offres publiques d'achat et de rachat (le « Règlement 62-104 »). Par exemple, la définition d’« offre autorisée » dans la pilule ne permettait pas la réduction du délai minimal de dépôt de 105 jours en cas d’« opération de remplacement » et la définition exigeait une prolongation de dix jours ouvrables, plutôt que les dix jours civils prévus au règlement, suivant la réalisation de toutes les conditions de l’offre. En outre, Aurora a fait valoir que la pilule empêchait tout autre actionnaire de CanniMed de conclure une convention de dépôt avec Aurora, que celle-ci soit ferme ou non. La définition de propriété véritable dans la pilule empoisonnée prévoyait qu’une « personne est réputée être propriétaire véritable de…tout titre visé par une convention (notamment une convention de dépôt autorisée) ayant pour objet le dépôt du titre en question en réponse à une offre publique d’achat d’actions par cette personne ». En conséquence, Aurora était réputée propriétaire des actions de CanniMed détenues par les actionnaires ayant convenu d’un dépôt aux fins de la pilule empoisonnée et serait réputée propriétaire de toute action additionnelle à l’égard de laquelle elle pourrait conclure une convention de dépôt, ferme ou non.

Aurora demandait également une dispense de l’exigence du Règlement 62-104 selon laquelle son offre devait être valide pour un délai minimal de 105 jours. Selon Aurora, l’acquisition proposée de Newstrike par CanniMed constituait, « dans son esprit », une « opération de remplacement ». Même si Aurora reconnaissait que l’opération visant Newstrike ne répondait pas aux critères techniques de la définition d’« opération de remplacement » du Règlement 62 104, ce qui aurait automatiquement fait passer le délai minimal de dépôt de son offre à 35 jours, Aurora a fait valoir que CanniMed n’avait pas besoin du délai minimal de dépôt de 105 jours pour examiner son offre et chercher des opérations de remplacement puisqu’elle avait déjà proposé l’acquisition de Newstrike. Aurora a également soutenu que les actionnaires de CanniMed devraient se voir accorder le droit de faire un choix clair entre deux opérations concurrentes. Selon Aurora, assortir son offre d’un délai minimal de 105 jours entraînerait un « traitement inéquitable des initiateurs » dans le cadre d’opérations concurrentes, puisque les actionnaires de CanniMed étaient appelés à voter à l’égard de l’acquisition de Newstrike le 23 janvier 2018 alors que le délai minimal de l’offre d’Aurora devait expirer plus de six semaines plus tard.

CanniMed

De son côté, CanniMed demandait que soit rendue une ordonnance qui aurait privé Aurora du droit de se prévaloir d’une dispense prévue dans le Règlement 62-104 suivant laquelle elle est autorisée à acquérir jusqu’à 5 % des actions de CanniMed sur le marché. Selon CanniMed, permettre à Aurora d’acheter des actions de CanniMed additionnelles équivaudrait, dans les faits, à lui accorder une participation lui donnant les moyens de bloquer toute opération de remplacement, notamment l’acquisition de Newstrike, compte tenu du dépôt de 38 % des actions de Cannimed selon des modalités forçant les porteurs de celles-ci à voter contre toute proposition qui pourrait nuire à l’offre d’Aurora.

Comité spécial de CanniMed

Le comité spécial du conseil de CanniMed a demandé aux commissions des valeurs mobilières de rendre une ordonnance déclarant qu’Aurora et les actionnaires ayant convenu d’un dépôt sont réputés être des « alliés » aux fins du Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d'opérations particulières (le « Règlement 61-101 »). L’obtention de l’ordonnance souhaitée aurait obligé Aurora à respecter les dispositions du Règlement 61-101 concernant les « offres publiques d’achat faites par un initié » et aurait considérablement retardé son offre. Au soutien de sa position, le comité spécial de CanniMed a maintenu que c’était les actionnaires ayant convenu d’un dépôt qui avaient invité Aurora à présenter une offre visant CanniMed, usurpant de ce fait les fonctions du conseil, et que deux administrateurs siégeant au conseil de CanniMed étaient également des administrateurs et/ou des dirigeants de trois des actionnaires ayant convenu d’un dépôt au moment pertinent. Selon les arguments du comité spécial de CanniMed, les actionnaires ayant convenu d’un dépôt ont utilisé des renseignements confidentiels obtenus auprès d’administrateurs de CanniMed pour structurer l’offre d’Aurora et tenter de bloquer l’acquisition de Newstrike. En outre, toujours selon le comité spécial de CanniMed, l’ancien conseiller financier de Newstrike a utilisé des renseignements confidentiels obtenus avant qu’il ne soit mis fin à son mandat auprès de Newstrike pour donner des conseils à Aurora quant à son offre.

Ordonnances

Dans des ordonnances datées du 22 décembre 2017, les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario et de la Saskatchewan ont frappé d’une interdiction d’opérations les titres émis aux termes de la pilule empoisonnée et ont ordonné à Aurora de modifier sa note d’information afin qu’y figurent tous les renseignements qu’elle a obtenus auprès de personnes qui avaient, au moment pertinent, des « rapports particuliers » avec CanniMed aux fins des règles sur les opérations d’initiés, ainsi que ceux qui étaient importants pour elle dans l’établissement de la structure ou du moment de sa proposition ou de la mise en œuvre de son offre.

Toutefois, les commissions des valeurs mobilières n’ont pas accordé à Aurora la dispense selon laquelle l’acquisition de Newstrike serait considérée comme une opération de remplacement, ce qui aurait fait passer le délai minimal de l’offre de 105 à 35 jours et permis aux actionnaires de CanniMed d’examiner l’opération visant Newstrike et l’offre non sollicitée en même temps.

De plus, les commissions des valeurs mobilières n’ont fait droit à aucune des demandes de CanniMed et de son comité spécial et ont ainsi refusé d’empêcher Aurora d’acheter des actions additionnelles sur le marché libre et de conclure qu’Aurora et les actionnaires ayant convenu d’un dépôt étaient des alliés.

Incidences des ordonnances

Les faits et les ordonnances dont il est question dans les présentes soulèvent de nombreuses questions inédites et intéressantes et constituent, pour les commissions, une occasion de fournir des lignes directrices quant à une foule de sujets, allant des pilules empoisonnées aux mesures de protection des opérations. Bien que nous soyons toujours en attente des motifs écrits, les deux choses suivantes semblent claires :

  • Quand les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont adopté les modifications touchant le régime des offres publiques d’achat en 2016, tous s’attendaient à ce que les organismes interviennent promptement si des régimes de droits des actionnaires étaient stratégiquement utilisés pour nuire à l’application prévue des règles régissant les offres publiques d’achat.1 Les ordonnances démontrent que ces attentes étaient fondées. En présence d’une pilule empoisonnée qui n’avait pas pour but de retarder la prise de livraison par Aurora des actions de CanniMed déposées en réponse à son offre, mais qui visait sans doute à protéger une opération existante en tentant de limiter la capacité d’Aurora d’obtenir une participation qui lui permettrait de bloquer celle-ci, les commissions des valeurs mobilières sont néanmoins intervenues.
  • En refusant de donner suite aux autres demandes d’Aurora, de CanniMed et du comité spécial de CanniMed, les commissions des valeurs mobilières ont signifié leur intention de s’en tenir strictement aux règles établies par le régime des offres publiques d’achat actuel. Les modifications apportées au régime des offres publiques d’achat en 2016 visaient, en partie, à mettre en place des règles plus claires en ce qui concerne le traitement des offres publiques d’achat et à réduire les incohérences découlant d’audiences spécifiques portant sur des pilules empoisonnées dans le cadre d’offres publiques d’achat non sollicitées. Les ordonnances lancent le signal que les commissions des valeurs mobilières souhaitent préserver le traitement uniforme et prévisible des offres publiques d’achat et qu’elles seront peu disposées à modifier les règles au plus fort d’un combat.

À surveiller

Nous reviendrons sur cette décision au moment de la publication des motifs écrits. Voici ce qui retiendra tout particulièrement notre attention :

  • Il y a peu de jurisprudence (émanant tant des tribunaux que des organismes de réglementation des valeurs mobilières) qui se penche de façon générale sur le caractère approprié des mesures de protection des opérations. Les tribunaux du Delaware se sont généralement montrés méfiants à l’égard des mesures de protection trop vigoureuses, particulièrement lorsqu’elles ont pour effet de faire d’une opération un fait accompli avant même la tenue d’un vote des actionnaires. Nous attendons avec intérêt de voir si les commissions des valeurs mobilières profiteront de l’occasion pour se prononcer sur les mesures de protection négociées dans le cadre de documents relatifs à une opération ou sur le recours à des conventions de dépôt fermes.
  • Nous attendons également avec intérêt de voir si les commissions des valeurs mobilières feront des commentaires quant à la possibilité, pour une société cible, de chercher à réaliser une acquisition alors qu’elle se défend contre une offre publique d’achat non sollicitée. Ce type de mesure de défense contre une offre publique d’achat est inhabituel au Canada et il faudra voir si les organismes de réglementation des valeurs mobilières appliqueront aux opérations d’acquisition dans un contexte d’offre hostile une analyse semblable à celle adoptée à l’égard des placements privés utilisés comme mesure de défense.2
  • Nous nous attendons à ce que la décision s’attarde à la possible communication de renseignements confidentiels par des initiés et des conseillers, notamment les administrateurs de CanniMed qui représentaient trois actionnaires ayant convenu d’un dépôt et les anciens conseillers financiers de Newstrike. Les commissions des valeurs mobilières trouvaient visiblement dérangeante la possibilité que des personnes entretenant des rapports particuliers avec CanniMed aient pu communiquer des renseignements à Aurora. Bien qu’elles n’aient pas été prêtes à aller jusqu’à considérer Aurora et les actionnaires ayant convenu d’un dépôt comme des alliés réputés, elles ont habilement remis les choses entre les mains de l’initiateur et laissé à Aurora le soin d’expliquer d’où provenaient ses renseignements dans un document qui engage la responsabilité des administrateurs et des dirigeants.
  • Nous prévoyons que les motifs des commissions qui sous-tendent leur décision de ne pas conclure que l’initiateur et les actionnaires ayant convenu d’un dépôt sont des alliés aideront à clarifier ce concept souvent flou.

1 Voir le bulletin de Davies daté du 25 février 2016 intitulé Nouvelle combinaison pour le régime des offres publiques d’achat : 50-10-105.

2 Voir le bulletin de Davies daté du 12 janvier 2017 intitulé Les placements privés remplaceront-ils les pilules empoisonnées?

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