Bulletin

Avis aux employeurs : entrée en vigueur des modifications apportées aux dispositions relatives au complot criminel de la Loi sur la concurrence du Canada

Auteurs : Anita Banicevic et Alysha Manji-Knight

Les modifications apportées à la Loi sur la concurrence du Canada (la « Loi »), qui entrent en vigueur le 23 juin 2023, feront en sorte que les employeurs non affiliés commettront une infraction criminelle s’ils complotent ou concluent un accord ou un arrangement :

  • « pour fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires, les traitements ou les conditions d’emploi » (accords de fixation des salaires); ou
  • « pour ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur » (accords de non-débauchage/de non-sollicitation).

Aux fins des nouvelles infractions, les employeurs sont « affiliés » les uns aux autres s’ils sont sous un contrôle commun, comme dans le cas des sociétés mères, des filiales et des sociétés sœurs.

Les sanctions associées à une violation de ces dispositions sont importantes et comprennent une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans et/ou des amendes illimitées, à la discrétion du tribunal. En outre, la Loi prévoit un droit d’action pour toute personne ayant subi une perte ou des dommages résultant d’une violation de ces dispositions, ce qui expose les employeurs à des actions collectives.

En adoptant ces nouvelles dispositions, le Canada fait comme d’autres territoires, notamment les États-Unis, et met l’accent sur la protection des employés contre les comportements soi-disant anticoncurrentiels sur le marché du travail. Selon le Bureau de la concurrence (le « Bureau »), le maintien et l’encouragement de la concurrence entre les employeurs se traduisent par des salaires plus élevés, ainsi que par de meilleures conditions d’emploi et perspectives professionnelles pour les employés.

Pour aider les employeurs canadiens à se conformer à ces dispositions, le Bureau a publié des lignes directrices sur leur application qui, bien que non contraignantes, démontrent la position du Bureau concernant l’application de ces infractions.

Nous passons en revue les principaux aspects des nouvelles interdictions de fixation des salaires et de non-débauchage, ainsi que des lignes directrices du Bureau sur l’application de celles-ci, et fournissons des conseils et des facteurs à prendre en compte pour aider les entreprises à gérer les risques reliés à la non-conformité.

Principaux aspects des nouvelles dispositions relatives à la fixation des salaires et au non-débauchage

Les nouveaux accords tombant sous les nouvelles dispositions n’ont pas à être conclus avec des concurrents

Les infractions relatives à la fixation des salaires et au non-débauchage s’appliquent même si les employeurs qui se livrent à la conduite interdite sont ou non en concurrence les uns avec les autres, que ce soit dans la fourniture de biens et de services ou dans l’acquisition de main-d’œuvre. Par conséquent, le champ d’application de ces dispositions est beaucoup plus large que celui des dispositions relatives aux cartels de la Loi. Toutefois, le Bureau note dans ses lignes directrices sur l’application de la Loi qu’il prévoit « concentrer ses efforts d’application de la loi sur les accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre des employeurs qui autrement se concurrenceraient dans l’acquisition de main-d’œuvre. »

Les nouvelles dispositions s’appliquent-elles aux accords existants?

Les nouvelles infractions s’appliquent sans aucun doute aux accords conclus à partir du 23 juin 2023. En outre, le Bureau estime que toute réaffirmation ou mise en œuvre d’un accord existant après le 23 juin par plus d’une partie sera également visée par les nouvelles dispositions si elle est suffisante pour constituer un accord ou un arrangement continu entre ces parties.

L’interdiction visant les accords de fixation des salaires s’étend aux « conditions d’emploi »

Les nouvelles infractions interdisent les accords ou arrangements entre employeurs non affiliés portant non seulement sur les traitements et les salaires, mais aussi sur les « conditions d’emploi ». Selon les lignes directrices, le Bureau considère que les « autres conditions d’emploi » doivent être interprétées au sens large et comprendre « les descriptions de poste, les allocations telles que les indemnités quotidiennes et les remboursements de déplacement, la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu de travail et les dispositions de non-concurrence, ou d’autres directives susceptibles de restreindre les possibilités d’emploi d’une personne ».

Bien que la position des tribunaux quant à l’interprétation adoptée par le Bureau de la portée des « conditions d’emploi » reste à confirmer, les employeurs devraient être prudents et envisager de demander conseil en ce qui concerne les accords proposés avec d’autres employeurs qui pourraient tomber sous le coup de l’interprétation large du Bureau.

Tous les accords réciproques de non-sollicitation doivent être soigneusement examinés

Les nouvelles infractions pourraient viser les accords de non-sollicitation et d’autres dispositions relatives aux employés dans les accords commerciaux courants, comme ceux visant les coentreprises, les fusions, les achats et les ventes d’entreprises, qui comportent certaines restrictions à l’embauche ou des modifications apportées aux salaires, aux traitements ou aux conditions d’emploi.

L’application de la disposition relative à la non-sollicitation est toutefois limitée aux accords visant à « ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur » (italique ajouté), ce qui signifie que seuls les accords réciproques conclus par au moins deux parties seront interdits. Par conséquent, lorsqu’une seule partie accepte de ne pas solliciter les employés de l’autre (comme c’est souvent le cas dans le cadre d’une opération d’achat ou de vente), il ne s’agira généralement pas d’une violation de la disposition relative au non-débauchage.

Application potentielle des nouvelles dispositions aux fusions, aux coentreprises et aux alliances stratégiques

Les lignes directrices sur l’application de la Loi indiquent également que le Bureau « n’évaluera généralement pas les clauses de fixation des salaires ou de non-débauchage qui sont accessoires aux opérations de fusion, aux coentreprises ou aux alliances stratégiques en vertu des dispositions criminelles ». Toutefois, ces lignes directrices précisent que le Bureau pourrait ouvrir une enquête lorsque ces clauses sont manifestement « plus larges qu’il est nécessaire en ce qui concerne la durée, les employés couverts, ou lorsque l’accord ou l’arrangement commercial est un subterfuge ». Pour qu’un tel accord fasse l’objet de poursuites criminelles, il doit entrer dans le champ d’application des nouvelles dispositions relatives à la fixation des salaires ou à la non-sollicitation ou dans celui des dispositions existantes relatives au complot criminel (qui ne s’appliquent qu’à certains types d’accords entre concurrents).

Le Bureau note également dans ses lignes directrices que, même s’ils ne relèvent pas du champ d’application des infractions criminelles, ces accords peuvent toujours être examinés aux termes des dispositions de la Loi relatives au comportement susceptible d’examen (y compris le régime civil applicable aux accords entre concurrents), qui prennent en compte l’incidence de la conduite sur la concurrence. Par conséquent, les entreprises doivent évaluer avec soin les motifs justifiant la portée de toute clause ayant un effet restrictif sur les questions liées à l’emploi, même lorsqu’une telle clause est négociée dans le cadre d’une transaction commerciale licite plus large.

L’échange de renseignements sur l’emploi peut créer de nouveaux risques

Comme pour l’infraction générale de complot criminel, les nouvelles infractions n’interdisent pas expressément l’échange de renseignements concernant les salaires, les traitements et les autres conditions d’emploi. Toutefois, le Bureau estime que l’échange de renseignements peut constituer une preuve circonstancielle de l’existence d’accords illicites. Par conséquent, le partage de renseignements confidentiels sur les pratiques d’embauche, la rémunération et d’autres conditions d’emploi, comme cela peut se produire dans le cadre d’exercices d’étalonnage des ressources humaines et d’enquêtes sur l’embauche et la rémunération, pourrait servir de preuve pour étayer des allégations d’accords illégaux de fixation des salaires et de non-débauchage. Il est donc important que les employeurs fassent preuve de prudence lorsqu’ils communiquent des renseignements potentiellement sensibles sur l’emploi, tout comme ils l’ont fait dans le passé avec les renseignements sensibles sur les prix et les coûts.

Comment les nouvelles dispositions s’appliquent-elles aux contrats de franchise?

Le Bureau reconnaît que les restrictions liées à l’emploi peuvent jouer un rôle légitime dans les contrats de franchise. Néanmoins, les lignes directrices sur l’application de la Loi soulignent qu’il pourrait y avoir un risque important associé à toute tentative coordonnée par au moins deux franchisés d’appliquer des restrictions de non-débauchage d’un contrat de franchise à l’encontre d’un autre franchisé.

Les nouvelles infractions peuvent faire l’objet d’une défense fondée sur les restrictions accessoires

Dans certains cas, des moyens de défense peuvent être invoqués. Entre autres, la Loi prévoit une défense fondée sur les restrictions accessoires ( la « DRA »), qui s’applique lorsque la restriction est à la fois accessoire à un accord licite plus large conclu entre les mêmes parties et qu’elle est directement liée et raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif de cet accord. L’application de cette défense repose notamment sur les facteurs suivants :

  • la durée de la restriction;
  • l’objet de la restriction;
  • la portée géographique de la restriction;
  • la possibilité pour les parties de parvenir à un accord équivalent ou comparable en ayant recours à des moyens pratiques significativement moins restrictifs;
  • si, en l’absence de la restriction, l’accord pouvait seulement être mis en œuvre dans un contexte sensiblement plus incertain, à un coût nettement plus élevé ou sur une période significativement plus longue; et
  • les raisons ayant mené à l’adoption de la restriction.

Les lignes directrices fournissent des exemples utiles, bien que peu nombreux, de situations dans lesquelles la DRA peut être invoquée, notamment lorsqu’un contrat de recrutement ou de dotation contient une clause de non-sollicitation réciproque qui ne reste en vigueur que pendant la durée du contrat. Toutefois, les lignes directrices indiquent que l’application de ce moyen de défense devra être évaluée au cas par cas afin d’établir si la restriction et ses modalités sont raisonnablement nécessaires.

Conseils pratiques et facteurs à considérer

Compte tenu des conséquences potentiellement importantes d’une infraction aux nouvelles dispositions relatives à la fixation des salaires et au non-débauchage, les entreprises exerçant des activités au Canada et leurs professionnels des ressources humaines et du droit devraient passer en revue leurs pratiques et prendre des mesures pour garantir le respect de ces dispositions. Ces mesures peuvent comprendre les suivantes :

  • Examiner les pratiques en matière de ressources humaines. Procéder à un audit des pratiques en ressources humaines afin d’identifier toute conduite potentiellement problématique, notamment pour établir si une entreprise prend part à un accord de fixation des salaires ou de non-débauchage avec d’autres parties ou participe à des discussions ou des échanges de renseignements sur ces sujets – par exemple, par l’intermédiaire d’organisations de son secteur d’activités susceptibles de partager des renseignements relatifs à l’emploi dans le cadre d’exercices d’étalonnage. Un tel audit pourrait comprendre un examen juridique des accords existants avec des employeurs non affiliés afin d’évaluer les risques qu’ils comportent et de les restructurer au besoin.
  • Mise à jour de la conformité et de la formation internes. Veiller à ce que la documentation et la formation internes relatives à la conformité au droit de la concurrence comprennent une analyse des risques découlant des nouvelles infractions pour les ressources humaines et à ce que le personnel des ressources humaines ainsi que les cadres supérieurs qui participent à l’embauche ou au choix des conditions d’emploi suivent une telle formation en matière de conformité.
  • Faire preuve de prudence en ce qui concerne les restrictions liées aux employés et les restrictions réciproques de non-sollicitation. Il convient d’évaluer soigneusement l’utilisation de clauses de non-sollicitation réciproques ou d’autres dispositions relatives aux employés qui peuvent aller au-delà de ce qui serait considéré comme raisonnable ou habituel (en termes de durée, de champ d’application et d’objet) dans des accords commerciaux plus larges. Il peut également être utile de documenter la raison d’être de ces clauses de non-sollicitation, de non-concurrence ou des autres restrictions liées aux employés, et d’être en mesure de démontrer qu’elles sont raisonnablement nécessaires pour mettre en œuvre la transaction licite plus large entre les parties.

Connexe