Bulletin

Le gouvernement du Canada apporte d’importantes modifications à la Loi sur Investissement Canada afin de renforcer le régime canadien d’examen relatif à la sécurité nationale

Auteurs : Jim Dinning et Umang Khandelwal

Le gouvernement du Canada a adopté le projet de loi C-34, la Loi sur la modernisation de l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale, le 22 mars 2024 et, ce faisant, a modifié de façon substantielle la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »). Les modifications en question, qui étaient en préparation depuis longtemps, entreront en vigueur à une date qui sera fixée par le Cabinet. Il est possible que certaines modifications entrent en vigueur dans un délai relativement court, tandis que d’autres, dont l’application nécessite un règlement, n’entreront en vigueur qu’à la fin de 2024 ou au début de 2025.

Les modifications apportées à la LIC, qui sont les plus importantes depuis l’introduction, en 2009, du régime relatif à la sécurité nationale, s’inscrivent dans le cadre de la surveillance accrue qu’exerce le gouvernement sur les investissements étrangers en raison de leurs incidences possibles sur la sécurité nationale. En introduisant ces modifications, le Canada indique également à ses alliés qu’il modernise sa procédure d’examen relatif à la sécurité nationale afin que celle-ci cadre plus étroitement avec celle de pays aux vues similaires, tels que les États-Unis et le Royaume-Uni.

Principaux aspects des modifications

Nouvelle exigence de dépôt préalable à la clôture pour les investissements dans certains secteurs sensibles

Les investissements réalisés dans certains secteurs sensibles seront assujettis à une nouvelle exigence de dépôt préalable et de suspension aux termes de la LIC, même s’ils se situent en dessous des seuils au-delà desquels un examen de l’avantage net doit être réalisé. Aux termes de la nouvelle exigence de dépôt préalable à la clôture, les investisseurs étrangers qui réalisent des investissements dans des secteurs sensibles, y compris certains investissements visant l’acquisition de moins que le contrôle, seront tenus d’en aviser le gouvernement avant la clôture de la transaction. À l’heure actuelle, les non-Canadiens qui acquièrent le contrôle d’une entreprise canadienne dans le cadre d’une transaction qui n’atteint pas le seuil d’examen de l’avantage net n’ont à déposer un avis que dans les 30 jours suivant la clôture de la transaction et, s’ils acquièrent moins que le contrôle, ils n’ont aucune obligation en ce sens.

Les investissements effectués dans des secteurs sensibles ne pourront pas être réalisés avant l’expiration ou l’annulation des délais d’examen. Les investisseurs qui ne respectent pas l’exigence de dépôt préalable à la clôture seront passibles d’une pénalité pouvant atteindre 500 000 $ CA. Le règlement qui déterminera les secteurs sensibles et les types d’investissements auxquels s’appliquera la nouvelle exigence de dépôt n’a pas encore été publié. Toutefois, lors de l’examen du projet de loi par un comité sénatorial, un représentant du gouvernement a fourni une liste non exhaustive de domaines technologiques qui pourraient être considérés comme sensibles aux fins d’un examen aux termes des dispositions relatives à la sécurité nationale :

  • matériaux et fabrication de pointe
  • technologies océaniques évoluées
  • détection et surveillance avancées
  • armement perfectionné
  • aérospatiale
  • intelligence artificielle
  • biotechnologie
  • production, stockage et transport d’énergie
  • technologies médicales
  • neurotechnologie et intégration homme-machine
  • informatique de nouvelle génération et infrastructure numérique
  • positionnement, navigation et synchronisation; science quantique; robotique et systèmes autonomes
  • technologies spatiales

La liste définitive des secteurs sensibles pourrait être plus longue et inclure, entre autres, les minéraux critiques, les médias numériques interactifs ou les produits pharmaceutiques. On s’attend à ce que le projet de règlement fasse l’objet d’une consultation publique. Le règlement et le régime de dépôt préalable à la clôture devraient entrer en vigueur au plus tôt à la fin de 2024 ou au début de 2025.

Pénalités plus sévères pour les contraventions

Outre la pénalité pouvant atteindre 500 000 $ CA en cas de contravention à la nouvelle exigence de dépôt préalable à la clôture applicable aux investissements dans les secteurs sensibles, les modifications prévoient une augmentation des sanctions pécuniaires maximales en cas de contravention à la LIC, qui passent de 10 000 $ CA par jour à 25 000 $ CA par jour.

Renforcement des pouvoirs ministériels

Les modifications transféreront certains pouvoirs administratifs du Cabinet fédéral au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le « ministre »), de sorte que le ministre sera autorisé à lancer un examen prolongé relatif à la sécurité nationale en vertu de la LIC et pourra accepter des engagements contraignants de la part d’un investisseur au cours du processus d’examen. Ces modifications visent à rehausser l’efficacité de l’administration du processus d’examen relatif à la sécurité nationale du Canada, étant donné que, à l’heure actuelle, seul le Cabinet dans son ensemble a le pouvoir d’ordonner un examen et d’accepter des engagements contraignants. En outre, elles permettront au ministre (sans toutefois l’y obliger) de divulguer publiquement l’identité d’un investisseur non canadien qui fait l’objet d’une ordonnance dans le cadre d’un examen relatif à la sécurité nationale.

Le ministre aura également le pouvoir d’imposer unilatéralement des conditions provisoires à un investisseur pendant qu’un examen relatif à la sécurité nationale est en cours. Par exemple, il pourra émettre des ordonnances visant à ce que soient détenus séparément des éléments d’actif, et ce, même après la réalisation d’un investissement, ou limiter l’accès d’un investisseur à la propriété intellectuelle et aux données de nature délicate d’une entreprise canadienne en attendant le résultat d’un examen. Le nouveau régime précise également que, si un non-Canadien qui prévoit effectuer un investissement dans une entreprise canadienne a été reconnu coupable, au Canada ou à l’étranger, d’une infraction comportant un acte de corruption, le ministre disposera d’un motif suffisant pour mener un examen relatif à la sécurité nationale à l’égard de cet investissement.

Élargissement du champ d’application des dispositions relatives à la sécurité nationale

Les modifications comblent les lacunes perçues dans le champ d’application des dispositions relatives à la sécurité nationale. Auparavant, il n’était pas clair que les dispositions relatives à la sécurité nationale pouvaient s’appliquer à certaines acquisitions d’actifs, en particulier les acquisitions d’actifs ayant un lien limité avec le Canada. Les modifications législatives prévoient expressément que les dispositions relatives à la sécurité nationale de la LIC peuvent s’appliquer à l’acquisition de tout actif d’une entreprise canadienne par une entreprise d’État non canadienne, ce qui inclut implicitement les actifs qui ne sont pas situés au Canada. En outre, bien que les dispositions relatives à la sécurité nationale s’appliquent déjà à un investissement réalisé par un non-Canadien en vue de l’acquisition, en tout ou en partie, d’une unité exploitée en tout ou en partie au Canada qui a) possède un établissement au Canada, b) emploie au moins un individu travaillant à son compte ou contre rémunération dans le cadre de son exploitation, ou c) dispose d’actifs au Canada pour son exploitation, les modifications précisent que les dispositions s’appliquent à un investissement visant l’acquisition, en tout ou en partie, des actifs d’une telle unité.

Ces modifications sont cohérentes avec la volonté du gouvernement de faire appliquer les dispositions relatives à la sécurité nationale de la LIC aux investissements dans des entreprises ayant des liens limités avec le Canada, notamment dans le secteur des minéraux critiques.

Échange de renseignements sur les investisseurs étrangers avec les homologues internationaux

Les modifications permettront l’échange de renseignements sur les investisseurs obtenus dans le cadre du processus d’examen des investissements étrangers avec les autorités chargées de l’examen des investissements étrangers d’autres territoires afin de faciliter les examens relatifs à la sécurité nationale lorsque, par exemple, il existe un intérêt commun en matière de sécurité nationale. Toutefois, le gouvernement précise que le Canada n’échangera pas de tels renseignements si cela pose problème pour des raisons de confidentialité ou autres, ce qui pourrait indiquer une intention de partager ces renseignements seulement avec des territoires de confiance qui, à leur tour, protégeraient la confidentialité des renseignements échangés.

Nouvelles règles pour la protection des renseignements de nature délicate dans le cadre de procédures judiciaires

Les modifications permettront au ministre de déterminer les renseignements qui sont de nature délicate, comme les renseignements classifiés émanant des services de renseignements, et qui doivent être protégés contre la divulgation dans le cadre de procédures judiciaires découlant de l’application de la LIC, notamment le contrôle judiciaire des ordonnances de blocage ou d’imposition de conditions applicables aux investissements pour des raisons de sécurité nationale.

Le projet de loi C-34 comprend également des modifications supplémentaires qui ont des incidences sur le régime d’examen de l’avantage net de la LIC, notamment les suivantes :

i. indiquer les priorités du gouvernement en ce qui concerne l’examen de l’avantage net aux termes de la LIC. Dans le cadre d’un examen de l’avantage net, le ministre devra tenir compte de l’effet de l’investissement sur les droits de propriété intellectuelle dont le gouvernement canadien a financé, en totalité ou en partie, le développement, ainsi que de l’effet de l’investissement sur l’utilisation et la protection des renseignements personnels concernant les Canadiens et Canadiennes.

ii. accroître la portée de l’examen des investissements réalisés par des entreprises d’État. Les modifications accordent au ministre le pouvoir d’ordonner un examen de l’avantage net à l’égard de tout investissement qui fait l’objet d’un avis (c.-à-d. l’acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne qui n’atteint pas les seuils d’examen de l’avantage net) réalisé par une entreprise d’État (y compris une unité contrôlée ou influencée par un État étranger), à moins que l’entreprise d’État ne soit un « investisseur (traité commercial) ». Un investisseur (traité commercial) est un investisseur contrôlé en dernier ressort par des ressortissants de pays ayant conclu un traité commercial avec le Canada. À l’heure actuelle, la liste des pays (traité commercial) comprend les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et ses États membres, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, Singapour, le Vietnam, la Malaisie, Brunei, le Chili, la Colombie, le Honduras, le Mexique, le Panama, le Pérou et la Corée du Sud. Il est à noter que les investisseurs qui sont des entreprises d’État de pays qui, historiquement, ont été plus susceptibles de donner lieu à l’application des dispositions relatives à la sécurité nationale en vertu de la LIC, notamment la Chine et la Russie, ne sont pas des investisseurs (traité commercial) et pourraient donc également être concernés par ce nouveau pouvoir de contrôle de l’examen de l’avantage net.

Pour en savoir plus sur le contenu de ces modifications, lisez notre bulletin paru précédemment.

Conséquences

Si les modifications confèrent au gouvernement des pouvoirs accrus en matière d’application des dispositions relatives à la sécurité nationale, elles procurent en même temps une souplesse accrue qui est bienvenue et qui peut être bénéfique aux investisseurs étrangers. Par exemple, grâce au pouvoir nouvellement accordé au ministre d’accepter des engagements sans avoir à soumettre la question au Cabinet, les parties peuvent être en mesure d’obtenir, plus tôt dans le processus d’examen, une plus grande certitude quant aux mesures correctives ou d’atténuation à prendre et avoir l’occasion de négocier un plus large éventail de mesures correctives.

En outre, dans le passé, les investisseurs étrangers ont repoussé leur participation au processus d’examen prévu par la LIC jusqu’à la clôture de bon nombre de transactions. À la lumière des modifications apportées par le projet de loi, y compris le nouveau régime d’avis préalable à la clôture, et de la surveillance accrue qu’exerce le gouvernement sur les investissements étrangers en raison de leurs incidences possibles sur la sécurité nationale, il sera essentiel que les investisseurs étrangers et leurs conseillers juridiques tiennent compte sans tarder de tous les tenants et aboutissants du processus d’examen prévu par la LIC.

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