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Moteur de changement : un investisseur activiste obtient des sièges au conseil d’administration d’Exxon

Les annonces importantes concernant les changements climatiques se sont succédé ces derniers temps; dans ce contexte, le 26 mai 2021, les grandes sociétés pétrolières ont connu une bien mauvaise journée. Engine No. 1, un investisseur activiste se concentrant sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance, a remporté au moins deux des douze sièges du conseil d’administration d’ExxonMobil dans une course aux procurations. Royal Dutch Shell, pour sa part, s’est vue ordonner par un tribunal néerlandais de rehausser considérablement ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Enfin, les actionnaires de Chevron, faisant fi des recommandations de la direction, ont voté en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation finale des produits de Chevron, les émissions dites de niveau 3.

Engine No. 1, actionnaire dissident détenant moins de 1 % des actions d’ExxonMobil, a présenté quatre candidats à l’élection au conseil d’administration de cette société dans le but de l’obliger à mieux gérer le risque climatique. Avec l’appui de certains des plus grands actionnaires institutionnels d’ExxonMobil (dont plusieurs grandes caisses de retraite), Engine No. 1 a remporté au moins deux sièges au conseil d’ExxonMobil et un troisième de ses candidats reste en lice pour l’un des deux sièges restants. Le dépouillement des votes se poursuivait au moment de la rédaction de ces lignes, mais le succès déjà obtenu par Engine No. 1 incitera sans doute d’autres activistes. Son exploit sert également de mise en garde claire aux émetteurs de l’ensemble de l’industrie extractive – qui subissent de plus en plus de pressions pour adapter leurs cibles en matière d’émissions et améliorer l’information qu’ils publient sur les questions climatiques – à savoir que les changements climatiques comportent un risque financier et que les conseils d’administration doivent avoir les compétences nécessaires pour superviser de manière indépendante la mise en œuvre d’une stratégie climatique en vue du passage d’une économie liée aux combustibles fossiles à une économie carboneutre.

Le même jour, un tribunal de première instance des Pays-Bas a jugé Shell partiellement responsable du réchauffement climatique et lui a ordonné de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre résultant de ses activités dans ce pays. Malgré la stratégie récemment annoncée par Shell en vue d’atteindre la carboneutralité, qui a reçu l’aval de ses actionnaires, le tribunal s’est fondé sur les lois européennes relatives aux droits de la personne pour ordonner à Shell de réduire davantage ses émissions, à savoir une réduction de 45 % par rapport à leurs niveaux de 2019 d’ici 2030. À l’appui de sa décision, le tribunal a établi un lien entre les changements climatiques graves et les droits de la personne, en particulier le droit à la vie, et a estimé que les entreprises avaient l’obligation de respecter ces droits en adoptant et en mettant en œuvre des cibles de réduction des émissions suffisamment rigoureuses. Shell a annoncé son intention de porter la décision en appel. Si la décision est confirmée, elle obligera Shell à accélérer considérablement ses efforts visant la carboneutralité.

Toujours le 26 mai, les actionnaires de Chevron, ignorant les objections de la direction, ont voté en faveur d’une proposition ayant pour but de fixer des cibles de réduction des émissions de Chevron de façon à tenir compte des émissions de niveau 3. En général, les émissions de niveau 3 dépassent de loin les émissions directes (de niveau 1) et indirectes (de niveau 2) résultant des activités d’une entreprise, mais il s’est avéré beaucoup plus difficile pour les entreprises de l’industrie extractive de les quantifier et de les cibler dans leurs stratégies visant les changements climatiques.

Les événements du 26 mai ont laissé peu de place au doute : les choses évoluent rapidement sur le front de la lutte contre les changements climatiques. Pour ne pas être à la traîne dans le parcours de transition vers la carboneutralité, il importe que les directions et les conseils de sociétés reconnaissent les points suivants :

  • Le maintien du statu quo n’est pas une option. Le succès sans précédent de la campagne d’Engine No. 1 en vue d’apporter des changements chez ExxonMobil (ou du moins d’accroître la transparence de sa gestion des risques liés aux changements climatiques et la possibilité de changements), ainsi que les gains obtenus récemment devant les tribunaux dans le cadre d’autres campagnes semblables portant sur les changements climatiques, sont autant d’avertissements catégoriques pour les acteurs des industries énergétique et extractive qui ont hésité jusqu’à maintenant à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie de transition climatique solide visant la carboneutralité.
    • Les entreprises devraient s’efforcer de rehausser leur divulgation concernant les questions liées aux changements climatiques dans leurs documents financiers courants, conformément aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques.
    • Les entreprises devraient placer la stratégie et la gestion des risques en matière de changements climatiques au centre de leurs préoccupations et se concentrer sur l’élaboration d’un plan de réduction des émissions qui soit clair et convaincant.
    • Les entreprises devraient maintenir un dialogue avec leurs investisseurs et autres parties prenantes à l’égard des changements climatiques et des autres questions environnementales, sociales et de gouvernance.
  • Il faut aller au-delà du strict nécessaire. La décision du tribunal néerlandais contre Shell a mis en évidence le fait que les attentes de la société en général, en ce qui concerne le niveau approprié de réduction des émissions, ont dépassé les attentes des acteurs de l’industrie et, par conséquent, qu’il est possible que des actions en justice soient de plus en plus souvent intentées dans le but de voir ces attentes davantage alignées. Le risque de telles actions est mis en évidence par la décision du 27 mai 2021 de la Cour fédérale d’Australie, qui a établi que le ministre de l’Environnement avait une obligation fiduciaire exigeant la prise en compte, au moment de l’autorisation de l’expansion d’une mine de charbon, des dommages causés aux enfants australiens par les émissions de gaz à effet de serre résultant de la production et de l’utilisation de charbon.
  • Les émissions de niveau 3 ne peuvent être ignorées. Chevron n’est pas la seule entreprise à intégrer les émissions de niveau 3 dans sa stratégie vers la carboneutralité : en 2020, par exemple, BP a annoncé des plans de réduction des émissions de niveau 3 et Suncor s’est récemment engagée à le faire elle aussi. Toutefois, de nombreuses entreprises importantes de l’industrie extractive n’en sont encore qu’aux premiers stades de l’établissement de valeurs de référence pour ce qui est des émissions de niveau 3. Il est prévu que l’intensification des pressions des investisseurs sur l’industrie, y compris sous la forme de propositions d’actionnaires liées aux changements climatiques, incitera les émetteurs à fixer des objectifs précis pour ce qui est des émissions de niveau 3 et à mettre en œuvre des plans d’action robustes pour réduire les émissions de l’ensemble de la chaîne de valeur.

Vous trouverez des renseignements supplémentaires sur les principales tendances et développements concernant les questions liées au climat, y compris un rappel des faits concernant des propositions d’actionnaires passées et des initiatives en faveur de la lutte contre les changements climatiques visant ExxonMobil, Chevron, BP et d’autres entreprises de l’industrie extractive, dans nos documents Rapport sur la gouvernance 2020; Rapport sur la gouvernance 2019; et Rapport sur la gouvernance 2018.

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