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Législation fiscale canadienne : rétrospective des faits saillants de 2019 et perspectives pour 2020

Chaque année à cette époque, nous présentons une rétrospective de certains des principaux faits saillants en matière d’impôt sur le revenu ayant une incidence sur les entreprises canadiennes et les entreprises étrangères qui sont survenus au Canada au cours de la dernière année. De plus, nous examinons les perspectives possibles en matière de fiscalité canadienne pour l’année à venir.

Faits nouveaux en fiscalité canadienne en 2019

Législation fiscale

L’année 2019, en raison des élections fédérales qui ont eu lieu en octobre, a été relativement calme pour ce qui est de la législation fiscale. La mesure la plus visible a été la proposition, énoncée dans le budget de 2019, de limiter le traitement fiscal préférentiel des options d’achat d’actions attribuées aux employés, même si les dispositions définitives de cette législation ont été reportées au moins jusqu’au budget de 2020. Sur le plan international, l’entrée en vigueur de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (la « CM ») pourrait avoir un impact important sur la planification fiscale internationale.

Impositions des options d’achat d’actions des employés

Lorsqu’un employé exerce une option d’achat d’actions reçue de son employeur, la différence entre le prix d’exercice de l’option et la juste valeur marchande de l’action (c’est-à-dire le « montant dans le cours ») est incluse dans son revenu sauf si l’émetteur est une société privée sous contrôle canadien (une « SPCC »), auquel cas l’inclusion du montant dans le cours est reportée jusqu’à la vente de l’action sous-jacente. La Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi de l’impôt ») accorde, sous certaines conditions, une déduction compensatoire égale à la moitié du montant dans le cours, de sorte qu’une option d’achat d’actions admissible est effectivement imposée au même taux qu’un gain en capital. Un projet de loi publié le 17 juin 2019 proposait de limiter la disponibilité de cette déduction aux employés de « grandes entreprises bien établies et matures ». Il proposait également que les nouvelles limitations ne s’appliquent pas aux options d’achat d’actions attribuées par les SPCC et les autres sociétés qui satisfont à des « conditions prescrites » prévues pour les entreprises en démarrage, émergentes et en expansion.

Le projet de loi limitait la déduction pour les options ayant la même « année d’acquisition », quel que soit leur prix d’exercice, dans la mesure où la juste valeur marchande des actions sous-jacentes était supérieure à 200 000 $ à la date d’attribution des options. L’année d’acquisition d’une option, selon la convention d’option, est soit (i) l’année civile qui est stipulée dans la convention et au cours de laquelle l’employé peut exercer son option pour la première fois, soit (ii) si la convention d’option ne précise pas l’année, la première année civile au cours de laquelle on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’option puisse être exercée. La loi devait entrer en vigueur le 1er janvier 2020 et s’appliquer aux conventions d’option conclues après 2019. Le projet de loi était ambigu à plusieurs égards importants (notamment pour ce qui est de savoir à quel moment une entreprise serait considérée comme une entreprise en démarrage, émergente ou en expansion et à quel moment elle serait considérée comme une grande entreprise bien établie et mature).

Le 19 décembre 2019, le gouvernement fédéral a annoncé que le nouveau régime n’entrerait pas en vigueur le 1er janvier 2020, mais qu’il a l’intention d’aller de l’avant avec les changements visant à limiter la disponibilité de la déduction à l’égard des options d’achat d’actions pour les personnes à revenu élevé qui sont des employées de grandes entreprises bien établies et matures. Les mesures que prendra le gouvernement pour mettre en œuvre ces changements seront annoncées dans le budget fédéral de 2020. Le gouvernement a indiqué que la nouvelle date d’entrée en vigueur, qui sera précisée dans le budget, donnera aux contribuables le temps de s’adapter aux nouvelles règles. Si le gouvernement adopte ces nouvelles dispositions législatives, nous nous attendons à ce que l’entrée en vigueur ait lieu en milieu d’année au plus tôt.

Entrée en vigueur de la Convention multilatérale

Le 1er décembre 2019, la CM parrainée par l’OCDE est officiellement entrée en vigueur au Canada. La CM exige des pays participants qu’ils adoptent les normes minimales établies contre les stratégies de chalandage fiscal et à l’égard du règlement des différends. De plus, la CM permet l’intégration d’un certain nombre de dispositions facultatives dans les conventions fiscales.

Le Canada a désigné 84 de ses 93 conventions fiscales comme des « conventions fiscales couvertes » (les « CFC ») et chacune de celles-ci sera visée par la CM si son cosignataire ratifie également la CM en vertu de ses propres lois. Il importe de noter que la ratification de la CM par le Canada n’aura aucune incidence sur sa convention fiscale avec les États-Unis, ce pays n’ayant pas signé la CM. La liste des CFC du Canada exclut également les conventions conclues avec l’Allemagne et la Suisse; même si ces pays ont signé la CM, car le Canada a annoncé qu’il entamait la renégociation de ses conventions bilatérales avec eux.

En ce qui a trait aux normes minimales concernant le droit aux avantages prévus par une convention fiscale, le Canada a opté pour le critère des objets principaux, plutôt que pour une disposition limitant les avantages semblable à celle figurant dans les conventions fiscales des États-Unis. Le critère des objets principaux est une disposition anti-abus générale servant à déterminer si l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction est d’obtenir des avantages prévus par une convention fiscale d’une manière non conforme à l’objet de la convention en question. Le gouvernement fédéral a annoncé son intention de négocier d’une manière bilatérale, s’il y a lieu, l’inclusion de dispositions détaillées de limitation des avantages dans ses conventions, en plus ou en remplacement du critère des objets principaux. En attendant des éclaircissements à ce sujet, la portée et l’incidence du critère des objets principaux sont incertaines.

En ce qui concerne les normes minimales relatives au règlement de différends, le Canada a choisi d’adopter des dispositions en matière d’arbitrage obligatoire et contraignant semblables aux dispositions figurant dans sa convention fiscale avec les États-Unis. Selon ces dispositions, le différend est soumis à l’arbitrage obligatoire et contraignant lorsqu’il n’a pas été réglé après plus de trois ans malgré les procédures habituelles auprès des autorités compétentes. Après cette période, les différends non réglés sont soumis à un mécanisme d’arbitrage du type de celui qui est utilisé au baseball, selon lequel chaque pays présente sa position finale et le panel d’arbitrage choisit entre les deux positions.

En plus de ces deux ensembles de normes minimales, le Canada a adopté les quatre dispositions facultatives suivantes de la CM (sur lesquelles il ne s’était pas prononcé au départ), soit les dispositions :

  • exigeant une période de détention de 365 jours, de manière à ce que seules les sociétés détenant des actions pendant plus de 365 jours puissent bénéficier des taux inférieurs de retenue fiscale s’appliquant aux dividendes selon la convention;
  • permettant une période de détermination rétrospective sur 365 jours du respect de la condition préalable à l’exemption des gains en capital réalisés sur la vente d’actions (ou de droits semblables dans une entité) ne tirant pas un certain pourcentage de leur valeur de biens immobiliers;
  • concernant les modes de résolution des cas d’entités ayant une double résidence;
  • visant à permettre aux signataires d’une convention d’éliminer la double imposition au moyen de crédits pour impôts étrangers plutôt que d’exemptions.

Maintenant qu’il a ratifié la CM, le Canada ne peut formuler des réserves supplémentaires limitant l’application de celle-ci à ses CFC. Toutefois, il pourrait lever des réserves pour que d’autres dispositions facultatives de la CM soient applicables. Ainsi, il est possible qu’à l’avenir d’autres dispositions de la CM entrent en vigueur qui auraient une incidence sur certaines CFC.

L’OCDE offre sur son site Web une « boîte à outils » fournissant aux utilisateurs, notamment, une base de données servant à déterminer si une convention fiscale bilatérale est une CFC, à vérifier les dispositions de la CM s’appliquant à une convention et à connaître la date d’entrée en vigueur de changements. Pour le Canada, la CM s’appliquera aux CFC, à condition que le cosignataire ait ratifié la CM en vertu des lois de son pays, (a) le 1er janvier 2020, pour ce qui est des retenues fiscales et, (b) pour ce qui est des autres impôts (y compris les impôts sur les gains en capital), pour les années d’imposition à compter du 1er juin 2020 (c’est-à-dire, pour les contribuables dont l’année d’imposition correspond à l’année civile, le 1er janvier 2021).

Planification fiscale post-mortem et planification de type « pipeline »

En octobre 2018, le gouvernement du Canada a présenté un projet de loi visant à modifier la règle contre le dépouillement du surplus transfrontalier prévue par l’article 212.1 de la Loi de l’impôt, qui aurait fait obstacle, de manière inappropriée et rétroactive, à la planification post-mortem de type « pipeline » pour les successions canadiennes dont les bénéficiaires sont des non-résidents. La planification de type « pipeline » est utilisée pour résoudre les problèmes de double imposition qui peuvent survenir lorsqu’une succession comprend des actions d’une société canadienne. Si aucune planification n’est faite en amont, tout gain accumulé sur les actions pourrait être imposé deux fois : premièrement au décès comme gain en capital et deuxièmement comme dividende au moment où la société distribue ses actifs aux bénéficiaires de la succession. Grosso modo, la nouvelle règle de transparence aurait assujetti les bénéficiaires non résidents de la succession canadienne à une retenue fiscale sur le dividende réputé créé par la mise en œuvre du « pipeline », retenue qui aurait fait échec à l’objectif du « pipeline », c’est-à-dire éviter la double imposition. En décembre 2019, Finances Canada a publié une lettre d’intention qui confirmait que ce résultat inapproprié n’était pas intentionnel et que la nouvelle règle de transparence ne devrait pas s’appliquer dans le contexte d’une stratégie post-mortem de type « pipeline » lorsque la succession en question est une « succession assujettie à l’imposition à taux progressif » résidente du Canada d’un particulier résident du Canada.

La lettre d’intention de décembre 2019 a été accueillie avec satisfaction et a calmé certaines inquiétudes concernant la nouvelle règle de transparence, la planification post-mortem de type « pipeline » devant, en général, demeurer à la disposition des successions canadiennes ayant des bénéficiaires non-résidents. Toutefois, il importe de s’assurer que la succession en question satisfait aux conditions pour être considérée comme une « succession assujettie à l’imposition à taux progressif » au moment où le « pipeline » est mis en œuvre. Par contre, il semble que la nouvelle règle de transparence puisse continuer à entraver certaines autres stratégies de planification, notamment les planifications post-mortem de type « pipeline » effectuées pour les fiducies entre vifs et les fiducies testamentaires au profit du conjoint dont les bénéficiaires sont des non-résidents.

Opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées

Les règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées sont une série complexe de dispositions de la Loi de l’impôt s’appliquant aux sociétés résidant au Canada (les « sociétés résidentes ») qui sont contrôlées par une société non résidente et qui investissent ou sont réputées investir dans une société étrangère affiliée. Lorsque ces règles sont mises en application, le dividende que verse la société résidente à la société non résidente la contrôlant est réputé correspondre au montant de l’investissement, sous réserve de certaines exceptions.

Dans le budget de 2019, il a été proposé de modifier fondamentalement les principes de base des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées, en étendant leur application, non seulement aux groupes multinationaux de sociétés, mais aussi aux sociétés résidentes contrôlées par un particulier non résident ou une fiducie non résidente ou par un groupe de personnes ou de sociétés non résidentes ayant un lien de dépendance entre elles, pour ce qui est d’opérations et d’événements ayant lieu après le 18 mars 2019. Les propositions comprennent des lignes directrices qui serviraient à déterminer si une personne a ou non un lien de dépendance avec une autre et si une personne (ou un groupe de personnes) contrôle une autre personne.

En ce qui concerne les fiducies et la planification successorale, les dispositions en matière d’attribution de propriété proposées aux alinéas 212.3(26)a) et c) de la Loi de l’impôt, dans leur version initiale, auraient entraîné l’application des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées aux fiducies discrétionnaires comptant des bénéficiaires non résidents dans des circonstances inappropriées. Si, par exemple, une société privée canadienne contrôlée par une famille avait effectué un investissement en aval dans une société non résidente, elle aurait ainsi causé l’application des règles proposées si le contrôle des voix de la société était détenu par une fiducie discrétionnaire et si les enfants ou petits-enfants non résidents du fondateur faisaient partie des bénéficiaires.

Apparemment en réponse aux critiques sévères exprimées par la communauté fiscale, Finances Canada a depuis réduit la portée de l’alinéa 212.3(26)c) proposé en soumettant son application à la présence d’un but anti-évitement. Les dispositions en matière d’attribution de propriété proposées ne devraient donc pas entraîner l’application des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées à une fiducie discrétionnaire dans l’exemple ci-dessus, à condition que la fiducie discrétionnaire soit résidente du Canada et qu’il soit raisonnable de considérer que le pouvoir discrétionnaire des fiduciaires n’a pas, comme l’un de ses buts principaux, d’éviter l’application de dispositions précises de la Loi de l’impôt, dont les règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées.

Cependant, les contribuables devraient rester attentifs à ces modifications et à l’application potentielle des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées lorsqu’une société canadienne ayant des filiales étrangères est contrôlée par une fiducie ou une succession résidant au Canada et comptant des bénéficiaires non-résidents.

Modifications concernant les fiducies de fonds communs de placement

Avant le budget de 2019, les fiducies de fonds communs de placement déduisaient généralement le montant de tout revenu ou gain en capital qu’elles versaient aux porteurs de parts qui faisaient racheter leurs parts. Le gain en capital qu’obtient le porteur de parts qui fait racheter ses parts correspond, en général, au produit reçu moins le montant des gains en capital ou des revenus que lui a attribués la fiducie. L’attribution des revenus et des gains aux porteurs de parts faisant racheter leurs parts permettait d’éviter une éventuelle double imposition lorsque les porteurs faisant racheter leurs parts étaient assujettis à l’impôt sur les gains réalisés à la disposition de leurs parts et que la fiducie de fonds commun de placement ou les porteurs de parts restants étaient assujettis à l’impôt sur les mêmes gains au moment où la fiducie disposait des investissements sous-jacents.

Le budget de 2019 a imposé des restrictions quant au montant des gains en capital pouvant être attribués aux porteurs faisant racheter leurs parts et a interdit aux fiducies de fonds communs de placement d’attribuer tout revenu ordinaire aux porteurs de parts faisant racheter leurs parts. Le ministère des Finances a déclaré que ces modifications étaient nécessaires à l’égard de certaines fiducies de fonds communs de placement qui, à son avis, attribuaient un montant excessif de gains en capital aux porteurs de parts faisant racheter leurs parts ou attribuaient un revenu à des porteurs de parts pour qui une telle attribution n’était pas pertinente, ceux-ci détenant leurs parts au titre du revenu.

Les règles définitives mettant en œuvre les modifications prévues par le budget de 2019 ont été rédigées aux fins d’une application générale, et les fiducies de fonds communs de placement ont entrepris des restructurations ou ont apporté des changements à leurs politiques en réaction à ces règles. Ainsi, un gestionnaire canadien de fonds négociés en bourse (un « FNB »), Horizon ETFs Management (Canada) Inc., a regroupé un certain nombre de ses FNB en une seule société de placement à capital variable à catégories d’actions multiples dont chacune des catégories d’actions est rattachée à un FNB. Le but de cette structure était de permettre à la société de placement à capital variable de déduire les pertes subies sur une catégorie d’investissements, des revenus et des gains réalisés sur une autre catégorie d’investissements et de réduire la nécessité de faire des distributions futures aux investisseurs, y compris les actionnaires faisant racheter leurs actions. D’autres gestionnaires de fiducies de fonds communs de placement envisagent apparemment des restructurations semblables.

Les règles concernant les attributions aux porteurs faisant racheter leurs titres sont les dernières d’une série de modifications ayant trait à l’imposition des organismes de placement collectif (constitués en fiducies ou en sociétés) (les « OPC ») remontant à 2006, tant en ce qui concerne l’impôt sur le revenu que les taxes d’accise. Compte tenu de la taille du secteur des OPC au Canada, certains gestionnaires d’actifs s’attendent à ce que le ministère des Finances se penche de nouveau sur ces règles dans ses prochains budgets.

Jurisprudence fiscale

La décision dans l’affaire Cameco interdit à l’ARC d’exiger une entrevue orale au cours d’une vérification

Même si les pouvoirs d’audit de l’ARC sont, en général, assez vastes, la récente décision de la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») dans l’affaire Canada (National Revenue) v. Cameco Corporation a confirmé la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, qui interdisait une pratique de longue date de l’ARC consistant à exiger que les contribuables et leurs employés participent à des entrevues au cours d’une vérification. La CAF a jugé que les pouvoirs de l’ARC en vertu de l’alinéa 231.1(1)a) de la Loi de l’impôt d’« inspecter, vérifier ou examiner » les livres et registres d’un contribuable ne lui permettaient pas d’obliger un contribuable ou ses employés à participer à une entrevue orale.

En effet, le juge Rennie, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour et mettant en pratique l’approche moderne d’interprétation des lois, a examiné le texte, le contexte et l’objet de l’alinéa 231.1(1)a) et rejeté l’argument du ministre selon lequel les termes « inspecter, vérifier ou examiner » donnaient à l’ARC le pouvoir de contraindre à des entrevues orales.

La décision

Le juge Rennie a soutenu que les pouvoirs d’« inspecter, vérifier ou examiner » du ministre sont clairement axés sur l’accès aux renseignements contenus dans les livres et registres du contribuable. Le juge Rennie a examiné le contexte de l’alinéa 231.1(1)a) et conclu que lorsque le législateur a l’intention d’obliger une personne à donner des réponses orales à des questions aux fins d’une enquête gouvernementale, il le stipule expressément. Une telle stipulation expresse ne figure pas dans l’alinéa 231.1(1)a).

Pour déterminer l’objet de l’alinéa 231.1(1)a), le juge Rennie a admis l’argument du ministre selon lequel la possibilité de poser des questions à un contribuable pour vérifier des renseignements est importante pour le système fiscal d’autodéclaration du Canada. Toutefois, il a soutenu que le fait de ne pas pouvoir contraindre les contribuables à répondre oralement à des questions au stade de la vérification ne rend pas les pouvoirs de vérification du ministre inefficaces pour autant. Le ministre peut, par exemple, faire des déductions concernant des questions qui restent sans réponse, auquel cas il incombe au contribuable de réfuter ces déductions dans le cadre d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI »).

Enfin, le juge Rennie a examiné l’historique législatif de l’alinéa 231.1(1)a) et est arrivé à la conclusion que cet historique levait tout doute quant à l’intention du législateur concernant l’objet de la disposition. La disposition antérieure à l’alinéa 231.1(1)a) stipulait expressément que le ministre avait le pouvoir d’exiger des entrevues orales au stade de la vérification, mais cette stipulation a été supprimée en marge de l’adoption de l’alinéa 231.1(1)a). De plus, le juge Rennie a tenu compte des notes techniques du ministère des Finances relatives aux modifications législatives, qui indiquaient que les modifications avaient été apportées « pour que soient clairement indiquées les limites des pouvoirs d’application de la Loi de Revenu Canada ».

Réponse de l’ARC à la décision

En réponse à la décision rendue dans l’affaire Cameco, l’ARC a publié un communiqué de presse dans lequel elle a déclaré ce qui suit :

« La décision de la CAF [concernant l’affaire Cameco] ne diminue pas la responsabilité des propriétaires, des gestionnaires ou des autres personnes sur les lieux d’une entreprise de collaborer et de répondre aux questions dans le cadre d’une vérification. Le refus de participer à une entrevue orale et de fournir l’aide requise dans le cadre d’une vérification indique un manque d’ouverture et de transparence, et possiblement un plus grand risque d’inobservation.

[…] L’ARC continuera de solliciter des entrevues au besoin et s’attend à ce que la vaste majorité des contribuables continue à coopérer. Lorsque les contribuables refusent une entrevue dans des circonstances semblables à celles de l’affaire Cameco, l’ARC utilisera d’autres moyens pour exécuter ses obligations de vérification du niveau d’observation du contribuable, ce qui pourrait accroître l’incertitude fiscale et le fardeau lié à l’observation du contribuable. Cela pourrait inclure l’utilisation d’hypothèses concernant la nature des activités commerciales et la planification fiscale du contribuable, sur la base desquelles elle établira l’impôt à payer. »

Principaux points à retenir pour les contribuables

Malgré la décision rendue dans l’affaire Cameco, les contribuables peuvent s’attendre à ce que les demandes d’entrevues orales continuent d’être chose courante dans la procédure de vérification de l’ARC. Même si les contribuables garderont à l’esprit les avertissements de l’ARC concernant le refus de participer à une telle entrevue, ceux qui hésiteront à y participer disposeront, avec cette décision, d’un fondement juridique solide.

La décision dans l’affaire MacDonald crée de l’incertitude pour les contribuables canadiens détenant des dérivés à des fins spéculatives

Depuis longtemps, l’intention du contribuable qui détient un bien particulier est considérée comme un facteur pertinent, sinon déterminant, pour la classification des gains réalisés ou des pertes subies sur ce bien en tant que gains ou pertes en capital ou gains ou pertes au titre du revenu. Toutefois, dans l’affaire The Queen v. MacDonald1, la CAF a jugé que l’intention du contribuable n’était pas un facteur pertinent pour déterminer si un contrat dérivé conclu par le contribuable constituait une opération de couverture, produisant un gain ou une perte en capital ou, sinon, un placement spéculatif produisant un gain ou une perte de revenu.

La décision

Dans l’affaire MacDonald, le contribuable détenait un placement important dans des actions de la Banque de Nouvelle-Écosse (la « BNE ») qu’il détenait à titre de capital. Il n’avait aucune intention de vendre ses actions, mais, anticipant une baisse du cours des actions, il a conclu un contrat à terme réglé au comptant sur un grand nombre de ses actions de la BNE. Le cours des actions de la BNE a augmenté et le contribuable a réglé le contrat sur une certaine période et a subi une perte. La question était de savoir s’il s’agissait d’une perte au titre du capital ou d’une perte au titre du revenu. Aux fins de l’impôt sur le revenu du Canada, le traitement de tout gain ou toute perte provenant d’un instrument de couverture dépend de la nature de l’actif visé par la couverture. Par conséquent, si le contrat à terme était considéré comme un instrument de couverture, la perte subie par le contribuable sur le contrat à terme serait une perte en capital.

La CCI a jugé que le contribuable avait subi une perte au titre du revenu parce qu’il avait conclu le contrat à terme non pas dans l’intention de couvrir un risque, mais plutôt à des fins spéculatives. La CAF a annulé la décision de la CCI en déclarant qu’il n’était pas nécessaire que le contribuable ait l’intention de couvrir un risque pour être réputé avoir conclu une opération de couverture à des fins fiscales. La CAF a plutôt jugé qu’il suffisait que le contribuable détienne des actifs exposés au risque de fluctuation du marché au moment de la conclusion de la prétendue opération de couverture et qu’une telle opération ait pour effet de neutraliser ou de diminuer ce risque.

Pour parvenir à cette conclusion, la CAF s’est largement appuyée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances) et sur la décision de la CCI dans l’affaire George Weston Limited c. La Reine. Il est intéressant de noter que dans chacune de ces affaires, il était passablement clair que le contribuable avait l’intention de couvrir un risque. En effet, dans l’affaire George Weston, le juge de la CCI est arrivé à la conclusion de fait expresse que le contribuable avait l’intention de couvrir un risque. Dans l’affaire Placer Dome, les opérations en cause avaient été conclues dans le cadre du programme de couverture du contribuable. De plus, il est intéressant de constater, compte tenu de ces faits très différents, que la CAF s’est fondée à tel degré sur ces deux décisions pour déclarer que l’intention du contribuable importe peu lorsqu’il s’agit de déterminer si un dérivé donné constitue une couverture à des fins fiscales, puisque dans chacune de ces affaires, le contribuable avait l’intention de couvrir un risque et que la Cour a conclu que le dérivé en question était une couverture.

La décision de la CAF dans l’affaire MacDonald a été entendue par la Cour suprême du Canada et il est prévu que celle-ci rendra sa décision au cours de l’année.

Principaux points à retenir pour les contribuables

Il est permis d’espérer que la Cour suprême du Canada lèvera l’incertitude causée par la décision de la CAF dans l’affaire MacDonald et rétablira le principe précédemment accepté en droit fiscal au Canada selon lequel il est pertinent de prendre en compte l’intention du contribuable qui détient un bien donné pour déterminer la nature des gains et des pertes liés au bien. Entre-temps, les contribuables devraient examiner attentivement leurs placements avant de conclure un contrat dérivé. Si l’on peut considérer qu’un contrat dérivé neutralise ou diminue le risque de fluctuation du marché auquel sont exposés les placements existants du contribuable, il est possible que le contrat dérivé soit considéré comme une opération de couverture même si le contribuable a conclu le contrat à des fins spéculatives.

Deux sociétés canadiennes quittent le Canada pour les États-Unis

Deux annonces ont lancé et clos l’année 2019 : au début de l’année, Maxar Technologies Ltd. (« Maxar ») a annoncé avoir mené à terme sa prorogation, ou exportation, aux États-Unis et, au quatrième trimestre, Encana Corporation (« Encana ») a annoncé son intention de faire de même. Les opérations sont décrites ci-dessous.

Maxar Technologies quitte le Canada, mais Northern Private Capital achète le fabricant du Canadarm pour 1 milliard de dollars

Le 2 janvier 2019, Maxar, société canadienne de technologie spatiale avancée dont les actions sont inscrites à la fois à la cote de la Bourse de Toronto et de la Bourse de New York, a annoncé qu’elle avait achevé sa prorogation aux États-Unis au moyen d’un plan d’arrangement.

Selon le plan d’arrangement, les actionnaires de Maxar (autres que les actionnaires dissidents) étaient réputés avoir cédé leurs actions de Maxar à une société d’acquisition (« AcquisitionCo ») constituée en tant que filiale de Maxar Technologies, moyennant une contrepartie formée d’actions de Maxar Technologies Inc. (« Maxar US »), une filiale américaine constituée dans le Delaware avant la date de l’arrangement. Maxar US, pour sa part, a reçu une action d’AcquisitionCo pour chaque action de Maxar US émise par celle-ci à un actionnaire de Maxar cédant ses actions. Parallèlement, Maxar US a racheté et annulé toutes ses actions que détenait Maxar en échange de 1 $ US en espèces, et Maxar et AcquisitionCo ont fusionné pour former une société à responsabilité illimitée de la Colombie-Britannique. À la conclusion de l’arrangement, les anciens actionnaires de Maxar détenaient directement des actions de Maxar US, qui, pour sa part, détenait directement la nouvelle entité issue de la fusion détenant les actifs et les passifs de Maxar.

Contrairement à l’opération visant Encana, l’opération visant Maxar est considérée comme une cession, de la part des actionnaires canadiens de Maxar, de leurs actions de Maxar à leur juste valeur marchande en échange d’actions de Maxar US.

Les raisons invoquées par Maxar pour expliquer sa prorogation aux États-Unis comprenaient (i) un meilleur accès aux contrats publics américains aux fins de son « plan d’accès aux États-Unis » établi de longue date et (ii) le respect de l’engagement pris au moment de l’acquisition de la société américaine DigitalGlobe Inc., en 2017, c’est-à-dire de procéder à une restructuration afin que la société mère de DigitalGlobe soit une société américaine. En outre, Maxar a déclaré qu’en étant inscrite à la cote de la Bourse de New York en tant que société émettrice américaine, elle devrait bénéficier d’un meilleur accès aux investisseurs institutionnels et d’un plus grand prestige mondial.

Il est intéressant de noter qu’à la fin de 2019, Maxar US a annoncé qu’elle avait conclu un accord avec un consortium financier dirigé par Northern Private Capital Ltd. aux fins de la vente des activités de MDA (auparavant MacDonald Dettwiler and Associates) à une société canadienne du groupe de Northern Private Capital pour la somme d’un milliard de dollars. MDA a une riche histoire au Canada qui comprend la fabrication des télémanipulateurs Canadarm 1 et Canadarm 2.

Encana Corporation quitte le Canada pour les États-Unis

Encana, l’une des plus grandes entreprises énergétiques canadiennes, dont les racines au pays remontent au XIXe siècle, a surpris le Canada en annonçant, le jour de l’Halloween 2019, qu’elle avait l’intention de quitter le Canada et de procéder à sa prorogation aux États-Unis au début de 2020. Puis, le 24 janvier 2020, Encana a annoncé qu’elle avait mené à terme les opérations aux fins de sa restructuration. Elle a affirmé que ce projet était motivé par son souhait d’accéder aux capitaux d’investissement passif plus importants existant aux États-Unis, tels que certains FNB ne pouvant investir dans des titres non américains. De plus, Encana a déclaré que son intégration éventuelle dans les indices boursiers américains, en tant que société domiciliée aux États-Unis, pourrait lui permettre de bénéficier de nouvelles entrées de capitaux de la part d’investisseurs passifs et, ainsi, d’une augmentation de la valeur à long terme de l’avoir de ses actionnaires.

Encana a réalisé sa prorogation aux États-Unis en procédant à une restructuration au moyen d’un plan d’arrangement. Les étapes principales de la restructuration étaient les suivantes : premièrement, Encana a distribué à ses actionnaires une fraction d’action avec une valeur nominale du capital de sa filiale canadienne nouvellement constituée, Ovintiv Inc., pour chaque action ordinaire d’Encana émise et en circulation; deuxièmement, Ovintiv a émis des actions au nom des actionnaires d’Encana en échange de toutes les actions émises et en circulation d’Encana; troisièmement, Encana a transféré des actions de sa filiale américaine Alenco Inc. à Ovintiv, en partie comme produit d’un rachat d’actions et en partie en contrepartie de la prise en charge par Ovintiv de certaines dettes d’Encana; et enfin, Ovintiv a fait apport des actions d’Encana à une filiale canadienne nouvellement constituée, et Ovintiv a été prorogée en société du Delaware.

Les actionnaires canadiens d’Encana visés par la restructuration devraient pouvoir bénéficier d’un report d’imposition en ce qui concerne l’échange de leurs actions contre des actions d’Ovintiv. De plus, la restructuration ne devrait pas générer d’obligations fiscales importantes pour les sociétés visées, que ce soit au Canada ou aux États-Unis. Cette situation s’explique par une série de faits uniques, dont le fait que la juste valeur marchande totale des actifs d’Encana semble être inférieure au capital versé que représentent ensemble les actions ordinaires d’Encana. Il reste à voir si la restructuration d’Encana amorce une tendance plus large lancée par l’opération d’exportation de Maxar, ou si ce sont des faits uniques qui ont motivé les restructurations d’Encana et de Maxar et si l’attrait de ce type de restructuration pour d’autres sociétés est limité.

Perspectives concernant les changements en matière de fiscalité canadienne en 2020

L’élection fédérale d’octobre 2019 a reporté au pouvoir le parti libéral du premier ministre Justin Trudeau, mais sans majorité parlementaire. Le mandat moyen des gouvernements minoritaires au Canada est de 18 mois, mais il est prévu que le gouvernement libéral pourra obtenir le soutien d’au moins l’un des partis d’opposition pour adopter au moins une partie de son programme législatif en matière fiscale. À cet égard, à l’approche des élections, la plateforme électorale du parti libéral contenait certaines indications sur les politiques fiscales que le gouvernement entendait mettre en œuvre au cours de son second mandat, dont une approche proactive en matière de fiscalité internationale, ainsi que l’adoption des propositions de l’OCDE relatives à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices (base erosion and gain shifting) (le « projet BEPS »).

Fait plus notable encore, le parti libéral annonçait, dans sa plateforme électorale, des mesures visant à « veiller […] à ce que les géants du Web paient de l’impôt sur les recettes qu’ils génèrent au Canada ». Le Canada se positionne ainsi au milieu de la plus rude controverse fiscale internationale actuelle : comment imposer les ventes et les profits locaux des grandes multinationales étrangères du numérique. La France, ainsi que certains autres pays, a adopté unilatéralement une taxe sur les services numériques, et le Canada a maintenant promis de se jeter dans la mêlée avec une taxe proposée de 3 % sur les services publicitaires ciblés et les services d’intermédiation en ligne qui s’appliquerait aux entreprises affichant des revenus mondiaux d’au moins 1 milliard de dollars canadiens et des revenus canadiens de plus de 40 millions de dollars canadiens, indépendamment de la présence d’un lien quelconque aux fins d’imposition au Canada. Il est toutefois significatif que ces propositions de campagne électorale n’aient pas été mentionnées dans le discours du Trône du 5 décembre 2019 annonçant les priorités stratégiques du gouvernement, omission qui pourrait indiquer que le Canada a décidé d’attendre la conclusion des travaux de l’OCDE sur les initiatives multilatérales dites du « Pilier 1 » plutôt que d’aller de l’avant avec des mesures unilatérales. La plateforme électorale du parti libéral annonçait également un autre domaine de changement législatif possible : le remplacement de la règle de capitalisation restreinte limitant la déductibilité des frais d’intérêts sur les dettes, une règle de longue date au Canada, par une règle qui pourrait suivre de près les recommandations formulées dans le projet BEPS de l’OCDE, à l’instar d’un certain nombre d’autres pays.

Un dossier à suivre, sur le plan judiciaire, en 2020 : la décision de la CAF concernant l’appel par la Couronne de la décision très médiatisée de 2018 sur les prix de transfert dans l’affaire Cameco Corporation v. The Queen (à ne pas confondre avec l’affaire administrative concernant Cameco mentionnée ci-dessus). Dans cette affaire, la CCI a rejeté les trois arguments invoqués par la Couronne à l’égard du traitement fiscal des ventes d’uranium de Cameco Canada à certaines sociétés étrangères de son groupe, uranium qui a ensuite été revendu sur le marché. Selon le premier argument, les opérations entre ces sociétés constituaient une supercherie; selon le deuxième, les dispositions concernant la requalification du prix de transfert à l’égard d’opérations qui n’ont pas de réalité commerciale s’appliquaient; et selon le troisième, les dispositions concernant le redressement des prix de transfert conformément à des conditions de pleine concurrence s’appliquaient. Fait intéressant, la décision dans l’affaire Cameco a été invoquée récemment par la Cour fédérale de l’Australie dans l’affaire sur les prix de transfert Glencore Investments Pty Ltd. v. Commissioner of Taxation, de 2019, qui a été tranchée en faveur du contribuable.

Une autre décision très attendue de la CAF en matière de fiscalité internationale concerne les opérations financières étrangères du groupe Loblaw réalisées par l’intermédiaire d’une filiale de la Barbade reconnue comme banque en vertu du droit de ce pays. Loblaw a fait appel d’une décision de la CCI de 2018, selon laquelle le revenu de sa filiale était un revenu étranger accumulé qui était imposable entre les mains de la société mère canadienne, au motif que la filiale ne satisfaisait pas au critère de l’« activité » s’appliquant aux filiales étrangères. La CAF devra déterminer avant tout si la CCI a commis une erreur 1) en accordant une importance excessive au mode de financement de la filiale (par sa société mère plutôt que par les déposants) et 2) par son interprétation des opérations d’investissement effectuées par la filiale.

1 Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l. a agi en qualité de conseiller juridique pour le contribuable dans l’affaire MacDonald v. The Queen devant la Cour canadienne de l’impôt, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada.

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