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La Business Roundtable publie un Manifeste sur la mission des sociétés élargi où il est question d’engagement envers toutes les parties prenantes

Auteurs : Sébastien Roy, Louis-Martin O’Neill, Patricia L. Olasker, Cynthia M. Hill et Jennifer F. Longhurst

La Business Roundtable, une association de chefs de la direction de grandes entreprises américaines, a récemment publié son « Manifeste sur la mission des entreprises » dans lequel elle souligne son engagement envers toutes les parties prenantes des sociétés, notamment leurs clients, employés, fournisseurs, actionnaires et l’ensemble de la collectivité. Le manifeste se veut le reflet de la norme actuelle en matière de responsabilité sociale de l’entreprise et marque un tournant par rapport à la position antérieure de la Business Roundtable selon laquelle les actionnaires devaient primer et, plus précisément, que la raison d’être principale des sociétés était de servir leurs intérêts. Il signale également que ses signataires sont soucieux de trouver un équilibre entre les intérêts des diverses parties prenantes de leurs sociétés, ce qui comprend (sans toutefois s’y limiter) leurs actionnaires.

La question de savoir si les administrateurs peuvent, ou doivent, tenir compte des intérêts des parties prenantes autres que les actionnaires a été maintes fois débattues au Canada ces 20 dernières années.

Au Canada, aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») (et des lois provinciales correspondantes), les administrateurs et les dirigeants ont le devoir d’agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. Dans son arrêt phare de 2008 dans l’affaire BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976 (l’« arrêt BCE »), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») s’est penchée sur l’obligation fiduciaire dans le contexte d’une acquisition par emprunt que se proposait de réaliser Entreprises Bell Canada et qui mettait en opposition les intérêts des actionnaires et ceux de certains détenteurs d’obligations. La CSC a rejeté la position américaine adoptée dans l’affaire Revlon selon laquelle les administrateurs avaient le devoir de maximiser la valeur pour les actionnaires dans le cadre d’une opération de changement de contrôle. La Cour a plutôt réaffirmé le principe énoncé dans la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise voulant que « bien que les administrateurs doivent agir au mieux des intérêts de la société, il peut également être opportun, sans être obligatoire, qu’ils tiennent compte de l’effet des décisions concernant la société sur l’actionnariat ou sur un groupe particuliers de parties intéressées », dont les « intérêts des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement ». Ce faisant, la CSC a maintenu le principe selon lequel l’obligation fiduciaire ne vise pas un groupe particulier, mais bien l’ensemble de la société. La Cour a décrit cette obligation comme étant un « concept large et contextuel » qui vise les intérêts à long terme de la société.

Les modifications apportées récemment à la LCSA ont largement codifié cet aspect de l’arrêt BCE (et élargi le groupe des parties prenantes auquel ont été ajoutés les retraités et les pensionnés) en prévoyant que lorsqu’ils agissent au mieux des intérêts de la société, les administrateurs et les dirigeants peuvent, sans en avoir l’obligation, tenir compte des facteurs suivants :

  • les intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et des pensionnés, des créanciers, des consommateurs et des gouvernements
  • l’environnement
  • les intérêts à long terme de la société.

En accord avec les modifications apportées à la LCSA et la jurisprudence établie par l’arrêt BCE, la Business Roundtable laisse entendre que les signataires de son manifeste tiendront compte des intérêts des parties prenantes, mais prend bien soin de ne créer aucune obligation en ce sens. Le manifeste mentionne plutôt que « bien que chacune de nos sociétés cherche à remplir la mission qu’elle s’est donnée, nous partageons un engagement fondamental envers toutes nos parties prenantes » [NOTRE TRADUCTION]. Pour mettre ce dernier en œuvre, la Business Roundtable incite fortement les grands investisseurs à soutenir les sociétés qui misent sur l’accroissement de la valeur à long terme en investissant dans leurs employés et leurs collectivités. Les signataires du manifeste s’engagent notamment à faire ce qui suit :

  • offrir de la valeur à leurs clients, y compris en répondant à leurs attentes ou en les surpassant;
  • investir dans les employés, notamment en leur versant une rémunération équitable et en favorisant la diversité et l’inclusion, la dignité et le respect;
  • traiter de façon équitable et éthique avec les fournisseurs, notamment en étant de bons partenaires pour les sociétés qui les aident à réaliser leur mission;
  • soutenir les collectivités où elle exercent des activités, notamment en adoptant des pratiques axées sur la durabilité;
  • générer de la valeur à long terme pour les actionnaires, notamment en interagissant avec eux avec transparence et efficacité.

Le mouvement – qu’illustre bien le manifeste de la Business Roundtable aux États-Unis ainsi que l’arrêt BCE et la codification de ses principes dans la législation fédérale canadienne – vers la prise en compte d’un ensemble de parties prenantes allant bien au-delà des actionnaires pourrait aussi venir alimenter le débat entre les partisans d’une approche à long terme et ceux d’une approche à court terme en ce qui concerne les perspectives et la création de valeur.

D’un point de vue pratique, nous retenons que les administrateurs des sociétés ouvertes doivent être à l’écoute d’un large éventail de parties prenantes et interagir avec elles, sans égard aux horizons temporels rapprochés ou éloignés qui peuvent sembler associés à leur investissement. De nos jours plus que jamais auparavant, le rôle d’administrateur d’une société ouverte est un exercice d’équilibrisme très délicat qui requiert réflexion et ouverture à l’égard d’une grande variété de points de vue, ainsi que de l’intégrité et de la rigueur. Pour se conformer à la norme posée par la CSC dans l’arrêt BCE selon laquelle les administrateurs doivent agir au mieux des intérêts de la société « en tant qu’entreprise socialement responsable », les administrateurs font aujourd’hui face à des enjeux importants dans l’exercice de leurs fonctions. Ils doivent mettre en balance les intérêts de groupes d’intérêts multiples et les exigences contradictoires des lois sur les valeurs mobilières, qui, à différents degrés (selon la province), ont pour fondement la primauté des actionnaires, tout en gardant en tête le mode d’élection aux termes duquel les actionnaires, et uniquement les actionnaires, décident qui siégera à titre d’administrateur.

Pour en apprendre davantage sur le rôle d’administrateur et les incidences de l’arrêt BCE, veuillez consulter le Rapport de Davies sur la gouvernance 2018.

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