Bulletin

La Cour d’appel fédérale déclare que les services de financement ne sont pas assujettis à la TPS/TVH

Auteurs : Marie-Emmanuelle Vaillancourt, Élisabeth Robichaud et Ariane Hunter-Meunier

Dans SLFI Group c. Canada (2019 CAF 217), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a infirmé une décision de la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») et statué qu’un groupe de fonds communs de placement canadiens (les « Fonds ») n’avait pas l’obligation d’établir lui-même les cotisations de TPS/TVH à l’égard des services de financement que lui fournissait une entité américaine, car ces services constituaient des services financiers exonérés et non des services de gestion ou d’administration. À cet égard, la CAF a déclaré que les règles qui interdisent au gestionnaire de réduire le montant imposable des frais de gestion qu’il impute à un fonds en fractionnant ceux-ci en frais de services financiers et en frais de services de gestion ne s’appliquent pas lorsque les services ont été séparés et que les services de financement sont fournis par un véhicule de financement de tiers alors que les services de gestion (à frais réduits) continuent d’être fournis par le gestionnaire. Toutefois, la CAF a conclu que les Fonds n’avaient pas droit au plein remboursement des taxes de vente versées par erreur en l’absence d’avis d’opposition valablement déposés.

Contexte

Les Fonds étaient des véhicules de placement soumis à la réglementation en valeurs mobilières du Canada. Ils ne comptaient pas d’employés, et un gestionnaire leur fournissait des services de gestion et d’administration en contrepartie de frais de gestion, plus TPS/TVH.

Les Fonds offraient à leurs investisseurs la possibilité de reporter le paiement des commissions de courtage facturées à l’achat de certains titres, option qu’ils appelaient « option des frais de souscription différés » (les « FSD »). Au départ, c’est le gestionnaire qui a financé les FSD, mais à compter du 1er avril 2002, un autre mode de financement a été mis en place aux termes d’une entente (l’« Entente ») conclue avec une filiale américaine de Citibank, N.A. (« Citibank ») créée à seule fin de participer à l’Entente. Selon cette Entente, Citibank devait financer les FSD moyennant quoi les Fonds s’engageaient à lui verser des honoraires (les « honoraires »).

Les honoraires comportaient deux éléments : un pourcentage de la valeur des titres dont la commission était financée (les « honoraires quotidiens ») et une somme égale aux frais de rachat qu’un investisseur payait au moment du rachat anticipé de titres (les « frais de rachat »). Aux fins de la TPS/TVH, les Fonds traitaient ces deux éléments de façon différente :

  1. Les honoraires quotidiens. Le gestionnaire établissait lui-même la cotisation de TPS/TVH sur les honoraires quotidiens au nom des Fonds, du fait qu’aucun de ces derniers n’avait de numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH avant le 1er juillet 2010. Le gestionnaire a donc demandé le remboursement de montants payés par erreur au titre de la TPS, en son propre nom et/ou en qualité de « fiduciaire » des Fonds ou pour « leur compte ». Le ministre a rejeté ces demandes.
  2. Les frais de rachat. Les Fonds n’ont pas établi de cotisations sur les frais de rachat, qu’ils considéraient comme une fourniture exonérée. Le ministre s’est dit d’avis que ces fournitures étaient taxables et a établi des cotisations de TPS/TVH à l’égard de certains des Fonds.

Selon la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), est une fourniture exonérée la fourniture qui est un « service financier ». La prestation de « services de gestion ou d’administration » (ou d’autres services) à un régime de placement ou à une personne morale, une société de personnes ou une fiducie dont l’activité principale consiste à investir des fonds est expressément exclue de la définition de « service financier » dans la mesure où ces services sont fournis par un fournisseur qui rend des services de gestion ou d’administration. Autrement dit, la fourniture de ces services n’est pas exonérée et est donc taxable.

La question en litige consistait à déterminer si le gestionnaire des Fonds (qui était un fournisseur de services de gestion) avait délégué ses fonctions à Citibank, auquel cas les services étaient fournis au nom du gestionnaire et constituaient une fourniture taxable; subsidiairement, si le tribunal arrivait à la conclusion que le gestionnaire des Fonds n’avait pas délégué ses fonctions à Citibank, la question en litige consistait à déterminer s’il y avait lieu d’accorder le remboursement de la TPS payée par erreur.

Le jugement de la CCI

La CCI est d’abord arrivée à la conclusion que les services constituaient une fourniture unique et que leur « élément dominant » était le paiement quotidien des sommes de financement dans un compte de fiducie, fonction qui incombait au départ au gestionnaire et avait été déléguée à Citibank. En conséquence, les services répondaient à la définition de « services de gestion ou d’administration » et constituaient une fourniture taxable importée de services de gestion pour les Fonds et, partant, entraînait l’obligation pour ces derniers d’établir eux-mêmes une cotisation aux fins de la TPS/TVH.

La décision de la CAF

La CAF, qui a accueilli l’appel en partie, est arrivée à la conclusion que les Fonds n’avaient pas l’obligation d’établir eux-mêmes une cotisation de TPS/TVH sur les honoraires, car les services répondaient en fait à la définition de « services financiers » et constituaient donc une fourniture exonérée. Toutefois, la CAF a rejeté l’appel sur la question de la cotisation de TPS établie par erreur par le gestionnaire, car celui-ci n’avait déposé aucun avis d’opposition à leur égard.

Les services constituaient des « services financiers »

Sur le fondement de la preuve présentée au procès, la CAF est arrivée à la conclusion que, en statuant que les services rendus par Citibank faisaient partie de ceux que le gestionnaire avait l’obligation de fournir aux Fonds, la CCI avait commis une erreur manifeste et dominante justifiant son intervention. Selon la CAF, cette conclusion s’imposait étant donné que les obligations mutuelles énoncées dans l’Entente liaient Citibank et les Fonds – et non pas le gestionnaire.

Ayant établi que les services n’étaient pas fournis en vertu d’une délégation des fonctions de gestion du gestionnaire, la CAF a également rejeté l’argument de la Couronne selon lequel Citibank fournissait des services de gestion. La CAF a analysé la nature véritable des services en fonction de leur « élément dominant » et conclu qu’il s’agissait de services financiers fournis par des institutions financières tierces qui ne présentaient pas les caractéristiques habituelles de services de gestion. En conséquence, l’appel a été accueilli en partie au motif que les services répondaient à la définition de services financiers et que les Fonds n’avaient pas à établir eux-mêmes de cotisations sur les honoraires.

Absence de remboursement de la TPS payée par erreur

La LTA prévoit qu’une personne qui paie par erreur un montant au titre de la TPS peut en demander le remboursement, à moins qu’une cotisation n’ait été établie, auquel cas la personne doit remettre un avis d’opposition, plutôt qu’une demande de remboursement. Or, le gestionnaire et les Fonds ont produit des demandes de remboursement en réponse aux cotisations de TPS visées par la contestation. Les Fonds ont fait valoir qu’ils étaient autorisés à procéder de cette façon puisqu’ils n’avaient jamais fait l’objet de cotisations.

S’abstenant de se prononcer quant à savoir si les Fonds avaient ou non fait l’objet de cotisations – ces dernières ont été émises au gestionnaire après qu’il eut lui-même établi une cotisation au nom des Fonds, la CAF a conclu que cette question n’était pas pertinente, car la LTA n’exige pas que la cotisation soit remise à la personne qui demande le remboursement. Autrement dit, le fait que les cotisations ont été émises au gestionnaire empêchait les Fonds de présenter des demandes de remboursement et, du coup, le seul recours approprié dont disposait le gestionnaire était la présentation d’un avis d’objection. Les Fonds ne pouvaient donc obtenir les remboursements et l’appel a été rejeté à cet égard. Il y a lieu de noter que, bien que le gestionnaire avait produit des demandes de remboursement de montants payés par erreur au titre de la TPS à compter d’avril 2002, seules les périodes de déclaration allant du 1er février 2007 au 30 juin 2010 étaient en litige.

Point à retenir

La confirmation, par la CAF, que les ententes de financement conclues avec une autre personne que le gestionnaire d’un fonds commun de placement entraînent la fourniture de services financiers exonérés revêt une grande importance, car selon la politique qu’applique de longue date le ministère des Finances, les frais de gestion payés par les fonds communs de placement sont assujettis à la TPS/TVH, même si les services de gestion comprennent la prestation de ce qu’on considérerait autrement comme des services financiers. Ainsi, un gestionnaire ne pourrait facturer ses services séparément pour contourner cette règle. Il n’est pas impossible que les autorités fiscales proposent de modifier la loi pour s’assurer que ce type d’entente conclue avec d’autres fournisseurs qu’un gestionnaire soit exclu de la définition de service financier.

Cette affaire montre que les régimes et les fonds de placement administrés par un gestionnaire pourraient être en mesure de réduire leur fardeau au titre de la taxe de vente en concluant des ententes distinctes avec un tiers auquel serait confiée la partie des services rendus par le gestionnaire qui répondent à la définition de services financiers. Une attention particulière devra être apportée à la nature des services rendus ainsi qu’à l’historique et à qualification des rapports juridiques existant entre les parties.

Connexe

Budget fédéral 2024 : son incidence pour vous et votre entreprise

16 avr. 2024 - Le 16 avril 2024 (le « jour du budget »), l’honorable Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, a présenté le budget fédéral du Parti libéral (le « budget de 2024 »). Le budget de 2024 propose d’apporter un certain nombre de modifications à la législation...