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Décision Atlas Tube Canada ULC de la Cour fédérale : les rapports de vérification diligente ne sont pas tous protégés par le secret professionnel

Auteurs : Élisabeth Robichaud et Stéphane Eljarrat

Dans Canada (National Revenue) v Atlas Tube Canada ULC, la Cour fédérale (la « CF ») a conclu que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») pouvait, dans le cadre d’une vérification, exiger qu’on lui fournisse copie d’un projet de rapport de vérification diligente fiscale (le « Rapport ») préparé par le cabinet comptable Ernst & Young (« EY »).

Le Rapport avait été commandé par la société mère d’Atlas, l’américaine JMC Steel Group Inc. (« JMC »), à la recommandation de ses procureurs canadiens, dans le cadre de la transaction de fusions et acquisitions ayant mené à l’acquisition d’Atlas. Les questions en litige consistaient à déterminer si le Rapport était pertinent pour les fins de la vérification menée par l’ARC, s’il était protégé par le secret professionnel et si, en étant forcée de le communiquer, Atlas était ainsi contrainte de se soumettre à une auto-vérification.

Exception à l’obligation de communication

Le pouvoir de l’ARC d’exiger des documents et des renseignements à l’occasion d’une vérification visant un contribuable est très large. Ce pouvoir s’étend à l’ensemble des documents et des renseignements nécessaires pour vérifier la conformité à la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

Néanmoins, l’article 232 de la LIR soustrait expressément les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat du champ de vérification de l’ARC. Dans Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, la Cour suprême du Canada a d’ailleurs réitéré que le secret professionnel est une règle de droit fondamentale et substantielle, et qu’il doit donc « demeurer aussi absolu que possible ». En règle générale, les documents préparés afin de fournir des conseils juridiques sont protégés par le secret professionnel.

Contexte

Atlas, qui est une société privée canadienne, est la filiale de JMC, une société privée américaine. En 2012, avant que JMC ne fasse l’acquisition des actions de la société publique ontarienne Lakeside Steel Inc. (« LSI »), le conseiller juridique de JMC a confié à EY le mandat d’effectuer une vérification diligente fiscale canadienne, suivant la recommandation de ses procureurs canadiens. Dans son Rapport, communiqué à JMC, EY a notamment détaillé (i) le profil fiscal et les attributs fiscaux de LSI et de sa filiale, et (ii) le risque de fardeau fiscal additionnel qu’encourt LSI pour ses quatre années d’imposition antérieures.

Peu après la transaction, l’ARC a entrepris une vérification visant Atlas, au cours de laquelle elle a demandé à trois reprises que copie du Rapport lui soit remise, par l’entremise de demandes de renseignements. En réponse à ces demandes, Atlas a refusé de remettre le Rapport à l’ARC.

Décision de la CF

Étant donné le refus d’Atlas de fournir le Rapport, le Ministre a initié un recours en CF afin qu’une ordonnance de production de document soit émise contre Atlas. Selon Atlas, le recours du Ministre devait échouer pour trois motifs : d’abord, le Ministre n’avait pas établi quelle était la pertinence du Rapport dans le cadre de la vérification; ensuite, le Rapport était protégé par le secret professionnel; et enfin, la divulgation du Rapport violerait le droit d’Atlas de ne pas se soumettre à une auto-vérification. La Cour n’a retenu aucun de ces motifs et a ordonné que le Rapport soit fourni à l’ARC.

Quant à la pertinence, la Cour a statué que le Ministre n’avait qu’à prouver qu’un document pourrait être pertinent dans le cadre de sa vérification pour justifier d’en faire la demande, de sorte que le seuil applicable est très bas. Comme le Rapport avait été établi dans le contexte de la transaction faisant l’objet de la vérification, ce seuil était facilement atteint.

En ce qui concerne le secret professionnel, la Cour s’est essentiellement penchée sur la question de savoir si le Rapport remis à JMC avait principalement pour but de lui fournir des conseils juridiques. Selon le Ministre, l’objet principal du Rapport était de guider JMC dans une décision d’affaires, tandis que selon Atlas le Rapport visait plutôt à orienter les procureurs canadiens de JMC dans la mise en place de la transaction. La Cour a conclu qu’il ne ressortait pas clairement des faits que le Rapport avait été communiqué aux procureurs canadiens de JMC. Après avoir pris en considération le fait que la [traduction] « vérification diligente fiscale s’ajoutait aux nombreuses autres catégories de vérification diligente effectuées par JMC avec l’aide de tiers », la Cour s’est dite d’avis que l’objet premier du Rapport, [traduction] « au moment où il a été commandé et produit, consistait à orienter la décision d’aller de l’avant ou non avec la transaction, et à quel prix ». Ainsi, comme le Rapport n’avait pas pour objet de fournir des conseils juridiques, il ne pouvait jouir de la protection du secret professionnel.

S’appuyant sur l’affaire BP Canada Energy Company c. Canada (Ministre du revenu national)BP Canada »), Atlas a finalement soutenu que la divulgation potentielle du Rapport à l’ARC violerait son droit de ne pas se soumettre à une auto-vérification. Dans BP Canada, la Cour d’appel fédérale avait jugé que le Ministre ne pouvait contraindre les contribuables à fournir des documents de travail concernant l’impôt couru (incluant les provisions pour dettes fiscales), puisque ces documents ont pour but d’évaluer les positions fiscales incertaines adoptées par les sociétés cotées en bourse dans leurs déclarations de revenus. Selon la Cour, la décision BP Canada n’avait toutefois pas d’incidence en l’espèce puisque le Ministre, dans cette autre affaire, avait demandé les documents de façon prospective, afin de faciliter des vérifications ultérieures. Or, comme la demande de divulgation du Rapport était effectuée dans le contexte d’une vérification en cours portant sur des questions précises, la Cour a conclu que de contraindre Atlas à fournir le Rapport n’irait pas à l’encontre des principes établis dans BP Canada.

À retenir

La distinction établie par la CF, entre les demandes formulées par l’ARC dans le contexte d’une vérification active et celles faites de façon prospective afin de faciliter des vérifications ultérieures, relève d’une interprétation restrictive des principes établis dans l’affaire BP Canada. L’affaire Atlas Tube nous rappelle donc que les contribuables doivent faire preuve de vigilance lorsqu’ils consultent des comptables ou des professionnels autres que des avocats sur des questions fiscales sensibles — tout particulièrement dans un contexte de fusions et acquisitions, car l’ARC pourrait avoir accès à des communications et à des documents qui n’ont pas été produits par des avocats. Lorsqu’il est question d’informations sensibles, les contribuables ont tout intérêt à d’abord consulter leurs avocats.

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