Bulletin

Avertissement aux conseils : les autorités surveillent de près les opérations avec une personne apparentée

Auteurs : Patricia L. Olasker, Vincent A. Mercier, Mindy B. Gilbert et Geoffrey L. Rawle

Le 27 juillet 2017, le personnel des autorités en valeurs mobilières de l’Ontario, du Québec, de l’Alberta, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick a publié un avis (l’« Avis ») concernant le rôle du conseil d’administration et du comité spécial, le processus qu’ils devraient adopter et leurs obligations d’information dans le cadre d’opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts1. L’Avis s’avère utile puisqu’il fournit des recommandations claires et mûries à l’égard des exigences du Règlement 61-101 et du rôle que doivent jouer les comités spéciaux dans le cadre de telles opérations. En résumé, l’Avis souligne qu’un comité spécial bien géré dispose d’un mandat fort, a recours aux services de conseillers indépendants, supervise ou mène directement des négociations, assure une tenue efficace des dossiers et n’est pas influencé par une conduite coercitive des parties intéressées. En outre, si une attestation d’équité est obtenue à l’égard d’une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important, elle devrait être accompagnée de renseignements concernant la nature de la rémunération versée au conseiller financier et des mesures financières qui sous-tendent l’attestation. Les recommandations dans l’Avis tirent leur source de nombreuses décisions rendues par les autorités en valeurs mobilières, notamment dans l’affaire Hollinger en 2005, l’affaire Sears en 2006 et l’affaire Magna en 20112.

Champ d’application

L’Avis s’applique à un sous-ensemble d’opérations visées par le Règlement 61-101, soit les opérations visées par celui-ci qui soulèvent des préoccupations importantes au sujet de la protection des porteurs minoritaires. L’Avis établit le descriptif « opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important ». L’Avis ne s’applique pas aux opérations visées par le Règlement 61-101 pour des raisons de nature purement techniques ni aux opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts qui ne sont pas visées par le Règlement 61-101. Surtout, il ne s’applique pas au type d’opération dont il était question dans la décision très controversée de la Cour d’appel du Yukon dans l’affaire InterOil rendue l’année dernière.

Le personnel vous a à l’œil!

Le personnel passe activement en revue les opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important pendant qu’elles sont en cours. Ces examens ne se limitent pas à établir la conformité aux obligations d’information ou le respect des conditions de dispense des obligations d’obtenir une évaluation officielle et l’approbation des porteurs minoritaires, ils s’attardent également à la teneur du processus suivi par le conseil et le comité spécial dans la négociation et l’évaluation de l’opération.

L’Avis met l’accent sur l’importance d’un processus sérieux, faisant passer sa teneur avant sa forme, et sur la nécessité pour les émetteurs et les conseils de traiter les actionnaires minoritaires de façon équitable en se conformant à l’esprit et à la finalité du Règlement 61-101 et en évitant de transmettre de l’information tactique ou visant à servir les intérêts d’une personne.

Les émetteurs doivent savoir que l’examen des autorités peut notamment porter sur le mandat du comité spécial, les procès-verbaux des réunions du conseil et du comité spécial, et les travaux relatifs à l’évaluation. Le personnel évaluera les mesures concrètes que les conseils et les comités spéciaux prennent pour protéger les actionnaires minoritaires en s’appuyant sur une interprétation large qui tient compte de la finalité du Règlement 61-101. Un problème de conformité pourrait faire en sorte que le personnel obtienne une ordonnance d’interdiction d’opération ou toute autre ordonnance pouvant être obtenue aux termes de la législation en valeurs mobilières, exige la correction de l’information ou prenne toute autre mesure d’application de la loi.

Rôle des comités spéciaux

Le Règlement 61-101 rend obligatoire la création d’un comité spécial composé d’administrateurs indépendants uniquement dans le cas d’une offre publique d’achat faite par un initié. Toutefois, le personnel est d’avis qu’il est souhaitable de former un tel comité pour toutes les opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important. Ce point de vue est conforme aux pratiques exemplaires actuelles.

L’Avis indique que l’examen des opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important mené par le personnel portera notamment sur ce qui suit :

Constitution en temps opportun et efficacité. Le personnel s’attend à ce qu’un comité spécial soit formé dès que des événements pouvant mener à l’opération se produisent et avant que l’opération proposée ait été, pour l’essentiel, négociée. Le rôle exact du comité spécial dans les négociations est tributaire du contexte d’une opération donnée. Toutefois, de l’avis du personnel, dans certains cas, le comité spécial devrait négocier l’opération dès le début, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de conseillers sous sa supervision. Si des négociations préliminaires sont menées par des parties intéressées avant que le comité spécial ne prenne la situation en mains, ces négociations ne devraient pas lier le comité spécial et devraient faire l’objet d’une évaluation rigoureuse.

Mandats larges. Un mandat restreint peut entraver le travail des comités spéciaux et diminuer leur efficacité. De l’avis du personnel, le mandat d’un comité devrait conférer à ses membres l’autonomie nécessaire pour superviser ou mener directement les négociations; considérer les solutions de rechange à l’opération donnant lieu à un conflit, ce qui comprend le maintien du statu quo; formuler des recommandations ou indiquer les motifs pour lesquels il n’est pas en mesure de le faire; retenir les services de ses propres conseillers juridiques et financiers indépendants. L’Avis met les émetteurs en garde au sujet des mandats qui se limitent à l’examen d’une proposition élaborée par la direction conjointement avec une personne apparentée ou à la question de savoir si l’opération projetée devrait être soumise au vote des porteurs de titres.

Indépendance. L’Avis prévoit que les comités spéciaux doivent protéger leur indépendance et gérer adéquatement les conflits d’intérêts. Par exemple, bien que le comité puisse inviter des administrateurs intéressés et d’autres personnes ayant des connaissances spécialisées ou des conseillers qui ont des liens ou qui entretiennent une relation avec l’émetteur à le rencontrer, les personnes non indépendantes ne devraient pas être présentes ni participer aux délibérations qui mènent à la prise de décisions. Selon l’Avis, les initiés et les parties intéressées doivent s’abstenir d’exercer une influence indue ou d’adopter une conduite menaçante ou coercitive qui pourrait entacher le processus du comité spécial.

Recours aux attestations d’équité. L’Avis déconseille aux comités spéciaux de se fier indûment aux attestations d’équité. Le personnel rappelle aux comités spéciaux qu’ils ne peuvent substituer les conclusions de conseillers à leurs propres conclusions quant à l’opportunité d’une opération, leurs conclusions devant tenir compte de considérations qui vont au-delà de la simple équité d’un point de vue financier. L’Avis réitère également que certains travaux financiers antérieurs pourraient s’avérer pertinents et constituer une évaluation antérieure et, par le fait même, devoir faire l’objet d’une communication distincte aux termes du Règlement 61-101.

Recommendation. Le conseil doit non seulement se demander si une opération est dans l’intérêt de la société, mais également si elle est dans l’intérêt des porteurs minoritaires. Le personnel estime que, dans la plupart des cas, les intérêts de l’émetteur et de ses porteurs minoritaires n’entrent pas en conflit, mais si c’était le cas, le conseil doit expliquer le conflit en question et comment il a réglé la question.

Attestations d’équité

Les attestations d’équité ne sont pas obligatoires aux termes du Règlement 61-101, et le personnel ne s’est pas prononcé de façon ferme quant au caractère opportun de telles attestations. Le personnel continue de laisser le soin au conseil d’administration et au comité spécial de déterminer si une attestation d’équité est nécessaire. En outre, l’Avis confirme le point de vue du personnel selon lequel il incombe au conseil d’administration ou au comité spécial de déterminer les modalités et les arrangements financiers aux termes desquels les services d’un conseiller seront retenus pour fournir une attestation d’équité.

Dans le cas d’une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important, lorsqu’une attestation a été demandée et que le conseiller financier n’a pas été en mesure d’en fournir une, ou disposé à le faire, le personnel s’attend à ce que l’émetteur l’indique, notamment en expliquant les raisons pour lesquelles l’attestation n’a pas été fournie et l’incidence de ce refus sur la recommandation qui a été faite aux actionnaires à l’égard de l’opération. Si une attestation d’équité appuyant une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important est obtenue, le personnel s’attend à ce que l’émetteur fournisse aux actionnaires de l’information permettant de bien comprendre l’attestation et la façon dont le conseil ou le comité spécial en a tenu compte. Cette information devrait comprendre ce qui suit :

Rémunération du conseiller financier. L’information concernant l’entente de rémunération intervenue avec le conseiller financier devrait préciser si les paiements sont conditionnels à la conclusion de l’opération ou s’il s’agit d’un montant fixe et expliquer la façon dont le conseil ou le comité spécial a tenu compte de l’entente de rémunération lors de l’examen des conseils fournis par celui-ci. Fait à noter, rien dans l’obligation de communiquer de l’information sur l’entente de rémunération n’implique une obligation de communiquer le montant de la rémunération.

Indépendance du conseiller financier. Tout lien avec une partie intéressée qui pourrait avoir une incidence sur l’indépendance réelle ou perçue du conseiller qui donne l’attestation devrait être abordé et expliqué.

Méthode et mesures financières. Le personnel s’attend à ce que soit décrite la méthode ayant servi à établir l’attestation d’équité, notamment l’information et l’analyse qui sous-tendent l’attestation et les mesures financières venant étayer la description. En règle générale, cette exigence est satisfaite au moyen de la communication de l’évaluation officielle habituellement requise aux termes du Règlement 61-101 dans le cas des opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important. Toutefois, il s’agit d’une modification de la pratique actuelle dans les cas où une attestation d’équité est donnée à l’égard d’une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important qui est dispensée de l’obligation d’évaluation officielle.

Pertinence de l’attestation dans la décision de recommander l’opération. Le personnel s’attend à ce qu’une explication soit fournie quant à la pertinence de l’attestation d’équité dans la décision de recommander l’opération.

Ce que l’Avis ne fait pas

L’Avis n’aborde pas la question des nombreuses opérations de fusions et acquisitions qui ne sont pas visées par le Règlement 61-101, mais qui peuvent néanmoins donner lieu à une apparence de conflit d’intérêts, soit en raison des questions liées au retranchement du conseil ou de la direction, soit en raison des incitatifs qui poussent la direction à procéder à l’opération (dans les cas où de tels conflits ne sont pas encadrés par un comité spécial doté d’un mandat fort). Pourtant, nous sommes d’avis que deux leçons plus larges peuvent être tirées de l’Avis et s’appliquer à ces situations. Premièrement, l’Avis devrait venir appuyer la thèse selon laquelle les opérations qui ne sont pas visées par le Règlement 61-101 ne devraient pas faire l’objet d’une norme plus sévère que les opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important dont il est question dans l’Avis. En ce sens, l’Avis rejette implicitement les normes élaborées dans l’affaire InterOil selon lesquelles la rémunération du conseiller financier devait être une commission fixe et le montant de celle-ci devait être communiqué. Deuxièmement, parce que les principes qui sous-tendent les recommandations s’appliquent également dans le cas d’une opération qui n’est pas visée par le Règlement 61-101 pour laquelle les conflits impliquant la direction ne sont pas réglés de façon satisfaisante, il serait prudent de suivre les recommandations qui figurent dans l’Avis en ce qui a trait au processus, à la communication d’information et aux attestations d’équité.

1Avis multilatéral 61-302 du personnel des ACVM (l’« Avis ») : Examen du personnel et commentaires sur le Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières (le « Règlement 61-101 »).

2Hollinger Inc. (Re), (2005), 28 OSCB 3309; Sears Canada (Re), (2006), 35 OSCB 8781; Magna Partners Ltd. (Re), (2011), 34 OSCB 8697.

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