Bulletin

La SEC adopte des règles définitives sur la récupération de la rémunération indûment attribuée

Auteurs : Jeffrey Nadler et Nir Servatka

En octobre 2022, après des années de délibérations et de reports, la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») a adopté les règles définitives en matière de récupération. Les nouvelles règles (appelées collectivement la Rule 10D-1) prévoient que les bourses et associations de valeurs mobilières des États-Unis doivent établir des normes aux termes desquelles les émetteurs inscrits doivent adopter, mettre en œuvre et communiquer des politiques contraignantes visant la récupération de la rémunération incitative indûment attribuée aux membres de la haute direction lorsque l’émetteur est tenu de préparer un retraitement comptable. Les nouvelles règles s’appliquent également aux émetteurs privés étrangers inscrits à une bourse de valeurs américaine, y compris les émetteurs canadiens se prévalant du régime d’information multinational (le « RIM ») qui déposent leur rapport annuel sur formulaire 40-F1. Les émetteurs qui ne se conforment pas aux nouvelles règles seraient radiés de la cote.

Les bourses sont tenues de proposer des exigences d’inscription qui reflètent les nouvelles règles dans les 90 jours suivant la publication des règles définitives dans le Federal Register. Les exigences d’inscription doivent prendre effet dans l’année suivant leur publication. Les émetteurs devront adopter une politique de récupération conforme dans les 60 jours suivant la date de prise d’effet des exigences d’inscription, ce qui signifie que les nouvelles règles prendront effet au milieu de 2023, au plus tôt.

Politique écrite en matière de récupération

Aux termes des nouvelles règles, les émetteurs inscrits sont tenus d’adopter, de mettre en œuvre et de communiquer une politique écrite en matière de récupération. La politique doit prévoir que l’émetteur qui est tenu de préparer un retraitement comptable doit récupérer auprès de tout membre de la haute direction, actuel ou ancien, l’excédent de la rémunération incitative fondée sur de l’information erronée qui a été versée au membre de la haute direction pendant la période de trois ans précédant la date du retraitement comptable sur la rémunération qui lui aurait été versée aux termes du retraitement. La date à laquelle un émetteur est tenu de préparer un retraitement comptable est i) la date à laquelle le conseil d’administration de l’émetteur (ou un comité du conseil d’administration ou des dirigeants autorisés) conclut, ou aurait raisonnablement dû conclure, que l’émetteur est tenu de préparer un retraitement comptable ou, si cette date est antérieure, ii) la date à laquelle un tribunal, un organisme de réglementation ou un autre organisme autorisé ordonne à l’émetteur de préparer un retraitement comptable.

Le terme « retraitement comptable » comprend à la fois un retraitement comptable qui corrige une erreur importante figurant dans des états financiers antérieurs (ce qu’on appelle un retraitement « Big R ») et un retraitement comptable qui n’a pas une incidence importante sur les états financiers antérieurs, mais qui entraîne une anomalie importante si l’erreur est corrigée, ou si elle ne l’est pas, au cours de la période concernée (ce qu’on appelle un retraitement « little r »).

La politique de récupération ne s’applique pas si la correction d’une erreur est consignée dans les états financiers de la période en cours (ce qu’on appelle un « rajustement hors période » (out-of-period adjustment)), si l’erreur n’a pas d’incidence importante sur les états financiers antérieurs et si sa correction n’a également pas d’incidence importante sur la période en cours. En outre, la politique de récupération ne s’applique pas aux modifications apportées aux états financiers d’un émetteur qui ne visent pas la correction d’erreurs, notamment lorsqu’il s’agit d’une correction rétrospective visant à faire ce qui suit :

  • tenir compte d’un changement dans les principes comptables;
  • fournir de l’information sur un secteur isolable en raison d’un changement dans la structure organisationnelle interne de l’émetteur;
  • tenir compte d’un reclassement découlant d’une activité abandonnée;
  • donner effet à un changement ayant une incidence sur une entité assujettie, notamment la restructuration d’entités sous contrôle commun;
  • rajuster le montant de provisions concernant un regroupement d’entreprises antérieur (uniquement dans le cas des émetteurs qui présentent de l’information conformément aux Normes internationales d’information financière publiées par l’International Accounting Standards Board);
  • tenir compte de tout fractionnement d’actions, regroupement d’actions, dividende en actions ou autre modification de la structure du capital de l’émetteur.

Membres de la haute direction assujettis à la politique de récupération

Le terme « membre de la haute direction » prend un sens large et comprend généralement le président, le membre de la direction occupant la principale fonction en finance, le membre de la direction occupant la principale fonction en comptabilité, tout vice-président de l’émetteur responsable d’une unité d’exploitation, d’une division ou d’une fonction principale, tout autre dirigeant qui exerce un pouvoir en matière d’orientation ou toute autre personne qui exerce un pouvoir en matière d’orientation analogue pour l’émetteur. Les membres de la haute direction de la société mère ou des filiales de l’émetteur sont réputés être des membres de la haute direction de l’émetteur s’ils exercent un pouvoir en matière d’orientation pour l’émetteur. De plus, lorsque l’émetteur est une société en commandite, les dirigeants ou les employés du commandité qui exercent un pouvoir en matière d’orientation pour la société en commandite sont réputés être des membres de la haute direction de la société en commandite. Si l’émetteur est une fiducie, les dirigeants ou les employés du fiduciaire qui exercent un pouvoir en matière d’orientation pour la fiducie sont réputés être des membres de la haute direction de la fiducie2.

Rémunération incitative assujettie à la politique de récupération

Le terme « rémunération incitative » comprend toute rémunération qui est accordée, gagnée ou acquise en totalité ou en partie en fonction de l’atteinte de toute « mesure de présentation de l’information financière ». Une mesure de présentation de l’information financière s’entend d’une mesure déterminée et présentée conformément aux principes comptables utilisés dans le cadre de la préparation des états financiers de l’émetteur et de toute mesure fondée, en totalité ou en partie, sur une telle mesure. Cela comprend les mesures financières non conformes aux PCGR, le cours des actions et le rendement total pour les actionnaires (« RTA »), ainsi que d’autres mesures, paramètres et ratios qui ne sont pas des mesures non conformes aux PCGR. Les mesures de présentation de l’information financière peuvent ou non figurer dans des documents déposés auprès de la SEC et peuvent être communiquées hors des états financiers, notamment dans le rapport de gestion de l’émetteur.

Processus de récupération

La rémunération indûment attribuée s’entend de l’excédent de la rémunération incitative reçue par un membre de la haute direction, actuel ou ancien, sur le montant de la rémunération incitative qu’il aurait reçue par ailleurs si la rémunération avait été fondée sur l’information telle qu’elle figure dans le retraitement comptable. Afin de s’assurer que l’émetteur récupère la totalité de la rémunération incitative indûment attribuée, le calcul de la somme excédentaire doit être effectué sans égard aux obligations fiscales pouvant avoir été contractées ou payées par le membre de la haute direction. Dans son communiqué annonçant l’adoption des nouvelles règles, la SEC explique que la récupération avant impôts libère l’émetteur du fardeau et des frais administratifs associés au calcul de la rémunération indûment attribuée en fonction de la situation fiscale propre à chacun des membres de la haute direction, qui peut varier considérablement en fonction de facteurs qui n’ont aucun lien avec la rémunération incitative et qui sont indépendants de la volonté de l’émetteur.

Dans le cas de la rémunération incitative fondée sur le cours de l’action ou le RTA, si le montant de la rémunération indûment attribuée ne fait pas l’objet d’un nouveau calcul mathématique fondé sur l’information figurant dans le retraitement comptable, le montant doit être établi en fonction d’une estimation raisonnable de l’effet du retraitement comptable sur la mesure pertinente. L’émetteur doit également tenir à jour des documents étayant le mode d’établissement de cette estimation raisonnable et les transmettre à la bourse.

Dans son communiqué annonçant l’adoption des nouvelles règles, la SEC a fourni les directives supplémentaires suivantes pour le calcul de la rémunération indûment attribuée :

  • Dans le cas des attributions en espèces, la rémunération indûment attribuée correspond à la différence entre le montant de l’attribution en espèces (qu’elle soit payable sous forme de montant forfaitaire ou par versements) reçu et le montant qui aurait été reçu si l’attribution avait été fondée sur la mesure de présentation de l’information financière retraitée.
  • Dans le cas des attributions en espèces versées à partir de fonds réservés pour l’attribution de primes, la rémunération indûment attribuée correspond à la quote-part de toute diminution subie par les fonds réservés pour l’attribution de primes une fois appliquée la mesure de présentation de l’information financière retraitée.
  • Dans le cas des attributions fondées sur des titres de capitaux propres, si les actions, les options ou les droits à la plus value d’actions sont toujours détenus au moment de la récupération, la rémunération indûment attribuée correspond à l’excédent du nombre (ou à la valeur de l’excédent du nombre) de titres reçus sur le nombre de titres qui auraient été reçus si l’attribution avait été fondée sur la mesure de présentation de l’information financière retraitée. Si les options ou les droits à la plus value d’actions ont été exercés, mais que les actions sous-jacentes n’ont pas été vendues, la rémunération indûment attribuée correspond au nombre d’actions sous-jacentes aux options ou aux droits à la plus value d’actions excédentaires (ou à la valeur de ces actions).

Pouvoir discrétionnaire du conseil quant à la récupération

L’émetteur inscrit doit récupérer la rémunération indûment attribuée conformément à sa politique de récupération, sauf dans le cas où il serait pratiquement impossible de le faire en raison de l’une des circonstances suivantes :

  • Le coût direct de la récupération serait supérieur à la somme récupérée; pour déterminer si la récupération serait pratiquement impossible en raison des coûts, seuls les frais directs payés à des tiers, notamment les frais juridiques et les honoraires de consultation raisonnables, peuvent être pris en compte3 :
  • La récupération constituerait une violation du droit s’appliquant dans le territoire de constitution de l’émetteur, selon l’avis de conseillers juridiques du territoire de constitution en question jugé acceptable par la bourse pertinente.
  • La récupération ferait vraisemblablement en sorte qu’un régime de retraite par ailleurs admissible aux fins de l’impôt, aux termes duquel les employés de l’émetteur ont accès à des prestations, ne respecte pas les exigences de l’Internal Revenue Code.

Il incombe au comité formé d’administrateurs indépendants de l’émetteur chargé de prendre les décisions relatives à la rémunération des membres de la haute direction de déterminer si la récupération est pratiquement impossible dans l’une des trois circonstances susmentionnées. En l’absence d’un comité de la rémunération, la décision doit être prise à la majorité des administrateurs indépendants qui siègent au conseil d’administration.

Bien que les règles permettent aux émetteurs d’exercer leur pouvoir discrétionnaire quant à la façon de procéder à la récupération de la rémunération indûment attribuée, ceux-ci doivent le faire raisonnablement rapidement, car des retards dans la récupération des sommes excédentaires versées permettraient aux membres de la haute direction de tirer profit de la valeur temporelle de fonds qu’ils n’ont pas gagnés, cette valeur temporelle devant plutôt appartenir aux actionnaires. Le terme « raisonnablement rapidement » (reasonably promptly) n’est pas défini; la SEC explique, dans son communiqué annonçant l’adoption des nouvelles règles, que le caractère raisonnable peut dépendre des coûts supplémentaires associés au processus de récupération. La SEC indique qu’elle s’attend à ce que les émetteurs et leurs administrateurs et dirigeants, dans l’exercice de leur obligation fiduciaire de protection des actifs de l’émetteur (y compris la valeur temporelle de toute rémunération potentiellement récupérable), s’efforcent de trouver un équilibre judicieux entre les coûts et la rapidité d’exécution dans la détermination des moyens appropriés d’effectuer la récupération. Il est par ailleurs interdit aux émetteurs inscrits d’indemniser tout membre de la haute direction, actuel ou ancien, contre la perte découlant de l’attribution indue de toute rémunération.

Information à fournir dans les rapports annuels

Les émetteurs inscrits doivent joindre leur politique de récupération en tant que pièce jointe à leurs rapports annuels sur formulaire 10 K (pour les émetteurs américains), sur formulaire 20-F (pour la plupart des émetteurs privés étrangers) ou sur formulaire 40-F (pour les émetteurs canadiens qui se prévalent du RIM) et indiquer dans ces rapports, en cochant la case appropriée, si les états financiers qu’ils déposent viennent corriger une erreur figurant dans des états financiers antérieurement déposés et si une telle correction constitue un retraitement ayant nécessité une analyse de récupération (recovery analysis).

En outre, le règlement S-K est modifié afin de prévoir l’obligation pour les émetteurs de présenter dans leurs rapports annuels toutes les mesures qu’ils ont prises aux termes de leur politique de récupération, y compris la date et le montant de toute rémunération indûment attribuée découlant d’un retraitement comptable; toute estimation servant à déterminer le montant de la récupération; le solde de la somme à percevoir; et, lorsque des sommes sont exigibles ou ont fait l’objet d’une renonciation, le nom des membres de la haute direction auprès desquels ces sommes sont exigibles ainsi que les montants à récupérer. L’information doit être présentée sous forme de données iXBRL (Inline eXtensible Business Reporting Language).

1 Les règles prévoient une dispense uniquement pour l’inscription de contrats à terme sur titres compensés par certaines chambres de compensation, d’options standardisées émises par des chambres de compensation inscrites, de titres émis par des fonds de placement à participation unitaire et de titres émis par certaines sociétés de placement inscrites. Dans son communiqué annonçant l’adoption des nouvelles règles, la SEC soutient que ces émetteurs sont fondamentalement différents des autres émetteurs inscrits.

2 Cette définition est conforme au sens attribué au terme « officer » dans la Rule 16a-1(f) de la loi des États Unis intitulée Securities Exchange Act of 1934 (la « Loi de 1934 »).

3 La Rule 10D-1 prévoit également l’obligation pour l’émetteur de déployer des efforts raisonnables pour tenter de récupérer la rémunération incitative avant de conclure qu’il serait pratiquement impossible de le faire. L’émetteur doit prendre note de ses tentatives à cet égard et transmettre ces documents à la bourse.

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