Bulletin

Le gouvernement du Canada lance une consultation sur la modification en profondeur de la Loi sur la concurrence du Canada

Auteurs : Mark Katz, Charles Tingley, Jim Dinning et Dajena Pechersky

Le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada a annoncé officiellement le 17 novembre 2022 que le gouvernement fédéral lançait une initiative de révision complète de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») et des politiques en matière de concurrence du Canada. Cette annonce s’inscrit dans la foulée de déclarations précédentes du ministre indiquant que des réformes majeures étaient en cours et fait suite à des modifications importantes apportées à la Loi par le gouvernement en juin 2022, mais dont la portée était néanmoins plus restreinte.

L’objectif que compte atteindre le gouvernement avec le lancement de cette initiative est de susciter un débat général visant à déterminer si le cadre d’application en matière de concurrence actuellement en vigueur au Canada est « adapté » et capable de « relever les nouveaux défis » posés par la transformation de l’économie canadienne, toujours plus axée sur le numérique. La révision couvrira un vaste éventail de sujets et pourrait jeter les bases de modifications d’envergure apportées à la législation dans ce domaine au Canada. Si elles sont adoptées, bon nombre des modifications à l’étude auraient des conséquences importantes sur l’exercice d’activités commerciales au Canada, notamment en ce qui a trait à l’établissement des prix, aux politiques de distribution et de commercialisation, aux fusions et acquisitions, aux coentreprises et aux autres types de collaboration entre concurrents.

Étendue des réformes éventuelles

Le gouvernement a publié un document de consultation qui présente son point de vue sur les domaines dans lesquels des réformes éventuelles pourraient être les bienvenues afin de « moderniser » la Loi. Le document de consultation cible quatre questions ou « thèmes » centraux qui, de l’avis du gouvernement, devraient être examinés plus en détail :

  • le seuil d’intervention, fondé sur des critères juridiques, est-il trop élevé?
  • est-ce qu’un trop grand nombre de contraintes limitent la capacité d’agir du Bureau de la concurrence en matière d’application de la loi?
  • la nature et le type de recours et de sanctions prévus sous le régime du droit de la concurrence devraient-ils être réévalués?
  • quels sont les prérequis pour relever le défi posé par les données et les marchés numériques?

À partir de ces quatre grands thèmes, le document de consultation présente un éventail de modifications éventuelles qui auraient une incidence sur certains aspects clés de la Loi.

Examen des fusions

Délais. Le gouvernement s’interroge à savoir si le délai de prescription de la contestation d’une fusion après sa réalisation devrait passer de un an à trois ans. Les modifications adoptées en 2009 ont réduit le délai de trois ans pour le ramener à un an, mais le gouvernement se demande maintenant s’il faudrait revenir en arrière, au moins dans le cas de fusions qui ne sont pas soumises à l’exigence de déclaration. Une autre suggestion mise de l’avant consiste à rendre l’expiration du délai de prescription pour les fusions qui ne sont pas soumises à l’exigence de déclaration conditionnelle à une déclaration sur une base volontaire. Le gouvernement semble également croire qu’il est « difficile, voire impossible » pour le Bureau de décider s’il doit contester une fusion lorsqu’il dispose de seulement 30 jours après avoir reçu des renseignements supplémentaires pour rendre sa décision. Ce délai de 30 jours est également entré en vigueur dans le cadre des modifications apportées à la Loi en 2009. Il va de plus de pair avec les délais relatifs à l’examen des fusions qui s’appliquent aux États-Unis.

Critères de déclaration. Parmi les sujets faisant l’objet de la consultation, notons également les modifications susceptibles d’être apportées aux critères liés aux préavis de fusion prévus par la Loi, notamment la diminution éventuelle du seuil de « taille des parties » au-delà duquel la déclaration préalable à la fusion devient obligatoire. Ce seuil exige que les parties et les membres de leur groupe respectif, dont le total des actifs au Canada ou des recettes brutes tirées des ventes en direction ou en provenance du Canada ou au Canada est supérieur à 400 millions de dollars canadiens (collectivement) avant la réalisation d’une opération, produisent une déclaration. Le gouvernement se demande également de quelle façon assurer une meilleure protection contre les préjudices concurrentiels potentiels, notamment en ce qui a trait aux fusions qui concernent des concurrents « naissants » et dont la taille ne dépasse pas nécessairement les seuils financiers au-delà desquels la remise d’un avis est exigée avant la clôture de l’opération.

Gains en efficience. Le gouvernement est « résolu » à envisager des changements à la défense fondée sur les gains en efficience dans le cas d’une fusion qui aurait par ailleurs des effets anticoncurrentiels. Les changements pourraient aller de la réforme de certains aspects de la défense, par exemple en s’inspirant des approches adoptées aux États-Unis, en Australie et en Europe, qui font des gains en efficience non pas une défense affirmative à part entière, mais un simple facteur à prendre en compte parmi un vaste ensemble, à son abolition totale.

Effets des fusions sur les travailleurs. Le gouvernement se questionne également à savoir si l’accent devrait être davantage mis sur les questions liées au travail lors de l’analyse des fusions, en faisant par exemple des répercussions sur les employés un enjeu expressément pris en considération, ce qui entraînerait un virage majeur par rapport aux politiques en matière de concurrence traditionnelles.

Comportements unilatéraux

Abus de position dominante. Les modifications apportées en juin 2022 ont entraîné d’importants changements visant à élargir la capacité du Bureau à contester les comportements prétendument abusifs des entreprises dominantes. Le gouvernement continue néanmoins de croire que le Bureau se voit imposer un lourd fardeau lorsque vient le temps de contester les abus de position dominante, notamment car il doit prouver que les comportements anticoncurrentiels allégués sont susceptibles d’avoir pour effet « d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence ». De l’avis du gouvernement, cette exigence constitue une entrave à l’efficacité des mesures d’exécution contre les parties dominantes particulièrement au sein des marchés numériques. Par conséquent, il explorera différentes approches qui pourraient notamment se traduire par un abaissement du seuil d’intervention afin d’autoriser des recours lorsque les comportements d’entreprises dominantes sont considérés comme ayant ou pouvant avoir des effets anticoncurrentiels, ou simplement dans le cas d’un « risque appréciable » plutôt que d’un préjudice probable, ou encore lorsque les comportements en cause sont « injustes ».

Collaboration entre concurrents

Collusion tacite. Le gouvernement semble être préoccupé par la question de savoir si la législation actuelle, qui interdit les accords collusoires entre les concurrents, peut traiter adéquatement la possibilité que des algorithmes intelligents apprennent à maximiser les profits des concurrents sans la moindre intervention humaine (c’est-à-dire un accord). Par conséquent, le gouvernement envisage des réformes qui pourraient permettre de « présumer ou déduire l’existence d’un accord dans un plus grand nombre de circonstances », de sorte qu’il soit possible de « lutter contre les préjudices concurrentiels avec plus de souplesse ».

Procédures civiles d’exécution. Le gouvernement se demande en outre si des mesures doivent être prises pour renforcer l’application des dispositions civiles relatives aux complots prévues par la Loi, dans les cas où les comportements en cause ne sont pas plutôt régis par les dispositions criminelles relatives aux complots. En pratique, le Bureau a pris des mesures officielles d’application de la loi aux termes de ces dispositions dans seulement deux affaires. Parmi les autres changements à l’étude, notons la proposition qui consiste à établir une sorte de mécanisme d’autorisation obligatoire pour certains types d’accords entre concurrents qui seraient visés par les dispositions énoncées, puisque le Bureau fait apparemment face à des enjeux en ce qui a trait à la détection de tels accords.

Coordination entre acheteurs. La coordination entre acheteurs qui sont des concurrents n’est plus visée par les dispositions criminelles relatives aux complots depuis les modifications de 2009 qui ont été apportées à la Loi. Le gouvernement semble désormais remettre en question la pertinence de ce changement. En juin, le gouvernement a modifié les dispositions relatives aux complots afin d’y inclure les accords entre acheteurs qui ont une incidence sur les marchés du travail, c’est-à-dire les accords de fixation des salaires et de non-débauchage. L’idée est toutefois maintenant lancée de traiter de nouveau la collusion entre acheteurs en général en tant qu’infraction criminelle, ou peut-être de la traiter comme une infraction civile sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer les effets anticoncurrentiels.

Pratiques commerciales trompeuses

Le gouvernement envisage d’adopter des outils d’application de la loi supplémentaires étant donné « la nature et l’omniprésence de la publicité numérique » et la possibilité qu’elle entraîne le recours à de nouvelles pratiques commerciales trompeuses. Il considère ainsi adopter des modifications visant à mieux définir les comportements trompeurs.

Exécution et application

Parmi ses principales préoccupations, le gouvernement juge que les pouvoirs du Bureau de la concurrence sont trop restreints, ce qu’il estime constituer une entrave à la capacité du Bureau d’intervenir avec autorité et en temps utile afin de protéger le marché. Pour résoudre la question de ces pouvoirs limités, le gouvernement envisage la possibilité d’instituer les réformes suivantes :

  • donner au Bureau une plus grande marge de manœuvre pour qu’il puisse agir en tant que décideur (soit en lui conférant une capacité de première instance qui lui permettrait d’autoriser ou d’empêcher certaines formes de comportements et d’obtenir unilatéralement la production de renseignements) et non en tant que simple demandeur ou plaideur relativement aux questions concernant l’application de la loi;
  • accélérer le traitement des litiges devant le Tribunal de la concurrence et les autres tribunaux, notamment en imposant des limites relativement aux droits d’appel, en apportant des modifications aux procédures de médiation et en imposant des délais plus rigides;
  • créer de nouvelles formes de procédures civiles d’exécution comme solutions de rechange aux poursuites criminelles pour certains comportements;
  • faciliter le recours à des mesures provisoires (c’est-à-dire des mesures injonctives) qui existent déjà, bien qu’elles soient rarement utilisées;
  • établir, pour le Bureau, une « approche raisonnable en ce qui concerne la collecte d’informations en dehors du contexte de l’application de la loi », notamment pour la réalisation d’études de marché;
  • compléter l’application de la loi par le Bureau en autorisant les parties privées à demander une indemnisation pour les dommages subis du fait d’un comportement susceptible de faire l’objet d’un examen civil (non lié à une fusion) en vertu de la Loi, notamment un abus de position dominante, un refus de vendre, l’exclusivité, les ventes liées, la limitation du marché et le maintien des prix.

Prochaines étapes

Le gouvernement invite le public à soumettre des commentaires au sujet de son document de consultation ainsi que sur les autres « options visant à améliorer la Loi » d’ici le 27 février 2023. Des tables rondes faisant appel aux principales parties prenantes seront organisées afin de susciter les discussions et les débats à propos des thèmes présentés. Le gouvernement a également mis l’accent sur le fait qu’il souhaite entendre non seulement l’avis des parties prenantes habituelles, mais également celui d’« une grande diversité de personnes et d’organisations de tous les coins de notre société ». Aucun renseignement portant sur les dates et les participants de ces tables rondes n’a encore été annoncé.

Les réformes éventuelles que laisse entrevoir le document de consultation sont en effet vastes et ambitieuses. Bien que le public n’ait pas été appelé à se prononcer relativement à la série de modifications précédente (apportées plus tôt cette année), il a maintenant la chance d’avoir son mot à dire sur l’orientation future que devraient prendre le droit et les politiques qui encadrent la concurrence au Canada. Il s’agit d’une occasion importante de faire valoir son point de vue que les personnes susceptibles d’être touchées par les réformes législatives futures pouvant émerger de la consultation devraient saisir.

Le groupe spécialiste du droit de la concurrence de Davies se fera un plaisir de vous guider si vous souhaitez discuter des modifications proposées ou participer au processus de consultation annoncé. N’hésitez pas à communiquer avec l’une ou l’autre des personnes-ressources indiquées ci-après.

Connexe