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Soyez prêt : les vérifications de la subvention salariale d’urgence du Canada sont entamées

Une des composantes essentielles du Plan d’intervention économique du Canada en réponse à la pandémie de la COVID-19 est la subvention salariale d’urgence du Canada (la « SSUC »). Bien que la SSUC ait été modifiée à plusieurs reprises, ses paramètres demeurent fondamentalement les mêmes : une subvention salariale allant jusqu’à 75 % de la rémunération admissible (sous réserve d’un plafond) payée par un employeur qui a subi une baisse de ses revenus pendant la pandémie, par rapport à une période de référence. À elle seule, la SSUC représente la plus importante politique économique canadienne depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le Directeur parlementaire du budget a estimé que la SSUC coûtera 85,6 milliards en 2020-2021 et 13,9 milliards en 2021-2022 (dont environ 11,5 milliards et 1,9 milliard, respectivement, récupérés en impôt sur le revenu des sociétés), ce qui en fait l’élément le plus coûteux du Plan d’intervention économique du Canada.

Avec un déficit budgétaire historique, le gouvernement canadien devra trouver des solutions afin de pallier ses dépenses sans précédent. À cet effet, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a déjà informé les contribuables qu’elle porterait une attention particulière aux demandes de SSUC effectuées. Elle a d’ailleurs averti que les employeurs qui ne respectent pas les critères d’admissibilité de la SSUC ou en abusent se verront imposer de pénalités sévères, voir même des amendes, en plus de devoir rembourser les montants de la SSUC préalablement reçus.

En date du 11 avril 2021, 3 141 900 demandes pour la SSUC étaient approuvées par l’ARC sur un total de 3 171 960 demandes reçues, représentant un taux d’acceptation initiale de près de 99 %.

Dans son rapport du 25 mars 2021 (le « Rapport »), la Vérificatrice générale du Canada (la « VGC ») félicite l’ARC et le ministère des Finances Canada pour la rapidité de l’élaboration et de la mise en œuvre de la SSUC. Cependant, elle prévient que cette rapidité crée de graves lacunes quant à l’intégrité du programme.

Quoique la SSUC ait maintenant été prolongée jusqu’au 25 septembre 2021 à la suite du Budget 2021, l’ARC a déjà entamé des vérifications postpaiement sur un nombre limité de contribuables ayant réclamé la SSUC. L’ARC a annoncé qu’un échantillon d’employeurs de toutes tailles sera utilisé afin d’identifier les risques et les problèmes de conformité liés aux demandes. Une demande erronée ou mal fondée peut occasionner des difficultés financières importantes pour l’employeur en question surtout considérant que la portée d’une vérification entamée par l’ARC n’est pas obligatoirement limitée à la SSUC. Une vérification portant sur la SSUC pourrait donc s’étendre à d’autres aspects fiscaux divulgués dans le cadre d’une demande et plus loin encore. On peut en dire autant de la Subvention d’urgence du Canada pour le Loyer ainsi que du nouveau programme d’embauche pour la relance économique du Canada annoncé dans le Budget 2021, qui soulèvent des questions similaires et peuvent impliquer des réclamations importantes.

Ainsi, quelles sont les bonnes pratiques à adopter d’emblée afin de minimiser les impacts de telles vérifications et protéger les droits des contribuables ayant fait de telles demandes?

Pouvoirs de vérification de l’ARC

L’ARC dispose d’outils très puissants et de vastes pouvoirs de vérification pour assurer le respect de la législation fiscale canadienne1. Cependant, ceux-ci doivent tout de même être utilisés de manière juste et raisonnable.

Dans le cadre de la SSUC, l’ARC s’attend à ce que les employeurs tiennent des registres et livres de comptes adéquats. L’ARC demande également aux employeurs de s’assurer que leur demande soit exacte et complète. À cet effet, toute demande de SSUC doit être accompagnée d'une attestation signée par la personne responsable des finances de l'employeur. Cette attestation stipule que « l'employeur tient et continuera de tenir des registres aux fins d'examen par l'Agence du revenu du Canada afin de démontrer la baisse de revenu, la rémunération admissible versée aux employés ainsi que toute autre information nécessaire à la vérification du montant de la demande de SSUC ». En signant l'attestation, la personne responsable des finances de l'employeur reconnaît qu’une fausse attestation est une infraction criminelle. Sous réserve du secret professionnel, ces documents devront vraisemblablement être divulgués à l'ARC lors d'une vérification si elle en fait la demande.

L’ARC s’attend donc à ce que les registres, journaux, états financiers, contrats, choix effectués, calculs ou autres documents de travail, comptes de paie, factures de vente et tous autres documents pertinents soient disponibles rapidement en cas de vérification d’une demande de subvention salariale. Rappelons qu’au cours d’une vérification, l’ARC ne peut pas exiger la création de documents qui n’existent pas au moment de la demande faisant l’objet de la vérification et ne peut pas non plus (pour l’instant2) exiger qu’un contribuable fournisse des documents révélant des positions fiscales incertaines, comme des documents de travail sur l’impôt couru.

Des demandes de renseignements qui ont déjà été envoyées à des employeurs donnent un aperçu des informations qui pourraient être demandées dans le cadre d’une vérification par l’ARC. Ces demandes requéraient notamment les documents et informations suivantes :

  1. contrats de société, résolutions bancaires et résolutions d’administrateurs démontrant le processus décisionnel ainsi que les approbations donnant aux dirigeants de l’entité déterminée l’autorité de produire une demande de SSUC
  2. contrats et ententes relatifs aux avances et prêts intersociétés
  3. politiques internes relativement à l’utilisation des fonds pour tous les éléments inclus dans le revenu, dont les revenus différés, les retenues ou les revenus non gagnés
  4. politiques internes relativement aux produits pour tous les éléments inclus dans le revenu, dont les revenus différés, les retenues ou les revenus non gagnés
  5. résumé des sources de revenus selon leur source géographique (c’est-à-dire, au Canada versus dans des juridictions étrangères)
  6. contrats d’emploi des employés admissibles et preuve de paiement à ces employés
  7. données des calculs manuels visant à aligner les périodes de paie irrégulières avec les périodes hebdomadaires aux fins de la SSUC, et
  8. journal des paies détaillées et preuve de paiement aux employés.

L’ARC a précisé que certaines demandes de renseignements envoyées étaient en fait des « modèles » et qu’à l’avenir les vérificateurs cibleront les documents demandés dans le cadre d’une vérification SSUC.

Par ailleurs, selon le Rapport, il semblerait que, dès juin 2020, l’ARC détenait des données préoccupantes quant aux baisses de revenus déclarées par certains employeurs dans le cadre de leur demande. La VGC déplore que l’ARC n’ait pas entamé rapidement des vérifications ciblées en réponse à l’obtention de ces données. À ce sujet, l’ARC a annoncé qu’il compte utiliser ses données dans le cadre des vérifications approfondies qui débuteront au printemps 2021 et qui s’échelonneront sur plusieurs années.

Il sera donc important de discuter promptement de la portée de telles demandes et de la pertinence de certains éléments convoités avec le vérificateur assigné au dossier afin de possiblement circonscrire le tout et éviter les débordements. Effectivement, les renseignements demandés doivent tout de même être ciblés afin de ne pas imposer un fardeau excessif aux contribuables concernés. Un contribuable est en droit de se demander pourquoi un document est requis et le représentant de l’ARC devrait être en mesure d’expliquer les motifs justifiant sa demande. L’ARC devrait agir avec transparence et divulguer la portée d’une vérification rapidement.

Ainsi, voici quelques conseils pratiques afin de minimiser l’impact d’une vérification potentielle pour les employeurs ayant obtenu la SSUC.

1. Tout documenter dès le début !

Dès la préparation de la demande de SSUC, soyez proactif.

La SSUC a été adoptée rapidement et modifiée à plusieurs reprises. D’autres modifications sont déjà prévues. Les positions administratives sur lesquelles une demande se fonde pour une période d’admissibilité ne sont peut-être plus les mêmes aujourd’hui ou ne seront plus les mêmes dans quelques mois. Il est donc important de bien appuyer et documenter sa demande.

Par exemple, prendre des captures d’écran ou sauvegarder autrement les divers écrits gouvernementaux publiés est primordial. Nous pensons notamment à la « Foire aux questions » publiée en ligne par l’ARC sur la SSUC et qui a été modifiée à plusieurs reprises. Le rapport de la VGC recommandait l’utilisation de données d’intelligence d’affaires pour découvrir davantage les entités inadmissibles — une recommandation entérinée par la ministre du Revenu national (« la ministre »). Par conséquent, l’exactitude et la cohérence des informations fournies à l’ARC dans le passé et dans le cadre de la SSUC sont importantes.

Un employeur bien préparé aura, dès le début d’une vérification, des réponses pour le vérificateur et démontrera par le fait même, subjectivement et objectivement, que sa demande a été préparée avec diligence et soin. La portée de la vérification pourrait ainsi être atténuée et la crédibilité de la demande augmentée.

2. Séparer les documents protégés par le secret professionnel

Les autorités fiscales n’ont pas le droit d’accéder aux documents qui sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le secret professionnel vise une communication confidentielle entre un avocat et son client qui est reliée à la recherche, à l’élaboration ou à la fourniture d’un avis juridique. Surtout, un contribuable ne doit pas y renoncer en divulguant accidentellement des documents privilégiés aux autorités fiscales.

Afin d’éviter toute erreur, les documents protégés par le secret professionnel, par exemple, une opinion juridique sur l’admissibilité d’un employeur, sur le calcul du revenu admissible, la qualification de la rémunération admissible, ou encore, s’il est raisonnable de conclure que l’un des objets principaux d’une opération était d’augmenter la SSUC versée, devraient être gardés séparément d’autres documents préparés au soutien de la demande de subvention salariale (ou de tout autre programme de subvention relié à la COVID-19).

3. Désigner une personne-ressource

Limiter le nombre d’intervenants auprès de l’ARC permettra de répondre aux questions de manière cohérente tout en réduisant le risque que des renseignements erronés, incomplets ou même contradictoires soient transmis3.

Il est donc important de désigner rapidement une seule personne qui sera la personne-ressource de l’employeur lors de ses communications avec l’ARC. Tout échange avec l’ARC devrait être effectué par écrit, dans la mesure du possible. Il est également sage de confirmer des conversations téléphoniques avec un vérificateur par écrit. Ceci peut s’avérer important si l’interlocuteur principal ou toute autre personne impliquée dans la demande quitte l’entreprise. De plus, puisqu’une vérification pourrait se dérouler dans plusieurs années, ces écrits permettront de rafraîchir la mémoire de ses personnes à un stade ultérieur.

Soyez également à l’affût de toute communication potentielle par l’ARC avec vos employés admissibles. Ces employés ainsi que toute autre personne non identifiée comme interlocuteur primaire devraient s’abstenir de communiquer avec l’ARC, que ce soit de façon formelle ou informelle.

Mécanisme de contestation d’une décision de l’ARC

En vertu de la LIR, la SSUC est réputée être un « paiement en trop » d’impôt par une entité admissible pour un montant égal à la subvention à laquelle l’entité a droit en vertu du programme. Ce mécanisme permet à l’ARC d’effectuer rapidement un paiement à l’employeur ayant produit une demande de SSUC.

Pour les demandes effectuées après le 21 septembre 20204, un avis de détermination ou un avis de cotisation sera émis en cas de refus, partiel ou total, de la demande de subvention salariale. Si l’employeur est en désaccord avec la détermination de l’ARC, il pourra la contester selon les recours habituels en matière fiscale. Un contribuable a 90 jours à compter de la date d’un avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de détermination pour déposer un avis d’opposition et 90 jours à compter de la décision de l’ARC concernant son opposition pour déposer un avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Selon la législation, l’avis de détermination pourra être émis « à tout moment » par l’ARC. Ainsi, les vérifications de la SSUC pourront vraisemblablement se perpétuer dans le temps sans contrainte. Ceci est conforme avec la déclaration de la ministre en mars 2021 concernant les vérifications en cours de la SSUC et les activités de conformité qui se poursuivront au cours des prochaines années. Peu de dispositions de la LIR ne sont soumises à aucun délai de prescription comme en l’espèce. De plus, pour le moment, un contribuable ne semble pas pouvoir demander lui-même qu’un tel avis de détermination lui soit émis ou qu’une vérification de sa demande soit entamée.

Modification d’une demande de subvention salariale

Une demande de subvention salariale peut être modifiée avant la date limite de dépôt de la demande pour cette période d’admissibilité. Dans sa Foire aux questions, l’ARC a indiqué qu’elle accepterait en tout temps une demande de subvention salariale modifiée déposée tardivement si la demande vise à réduire le montant de la subvention salariale réclamée. L’ARC a le pouvoir discrétionnaire d’accepter une demande qui vise à augmenter le montant de subvention salariale réclamée pour une période d’admissibilité (un rajustement à la hausse). Les demandes déposées tardivement et visant un rajustement à la hausse doivent être faites dans les 30 jours suivant la date limite de dépôt applicable (ou 30 jours après le 21 avril 2021).

1 Art. 231,1, 231,2, 231,6, 231,7 et 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), et Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46.

2 Le Budget 2021 prévoit une nouvelle obligation pour certaines sociétés déterminées de déclarer les positions fiscales incertaines. Toutefois, aucun projet de loi à cet effet n’est publié au moment de la publication du présent bulletin.

3 L’ARC a indiqué que les vérifications liées à la SSUC seraient semblables aux autres vérifications menées en vertu de la LIR et qu’elles commenceront vraisemblablement par un appel ou une lettre. Les procédures de l’ARC à cet égard ont quelque peu changé en raison de la situation actuelle de COVID-19.

4 L’ARC avait annoncé que le processus de révision administratif trouverait application pour les demandes de subvention salariale ayant été refusées, soit partiellement ou en totalité, avant le 21 septembre 2020 et dont la demande de révision a été présentée dans les 30 jours suivant la date de la lettre énonçant la décision initiale de l’ARC. La décision à la suite du second examen sera communiquée à l’employeur admissible par écrit et par la suite, un avis de détermination ou un avis de cotisation sera émis pour la période de demande.

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