Bulletin

La planification successorale en temps de crise

Auteurs : Rhonda Rudick, Elie Roth et Reuben Abitbol

Plus des deux tiers des Canadiens étant en confinement, contribuant à l’effort collectif en vue d’aplatir la courbe épidémique de la COVID-19, la planification successorale est actuellement l’une des priorités en matière de planification. Que l’on soit déjà bien avancé dans le processus de planification successorale ou que l’on ne l’ait pas encore entamé, les circonstances actuelles inédites invitent à la planification successorale efficace et soulignent d’autant plus, tant pour les professionnels que les clients, l’importance de s’y attarder qu’un plan soit déjà en place ou proposé.

Testaments, mandats et procurations

Les clients et leurs conseillers devraient d’abord vérifier que les documents liés à leur planification successorale sont à jour. À cette fin, ils peuvent, notamment, examiner la composition et la rentabilité des investissements négociables, évaluer les actifs immobilisés corporels, déterminer la recouvrabilité des dettes et s’assurer que les objectifs de planification successorale du testateur demeurent réalisables. De plus, il est important d’examiner la résidence fiscale et le domicile fiscal actuels des liquidateurs ou exécuteurs testamentaires et des bénéficiaires et de veiller à ce que des mesures de protection adéquates soient prises pour éviter les conséquences fiscales involontaires, telles que l’impôt sur le revenu des États-Unis. À cet égard, il importe également que les clients vérifient leur testament pour voir si leurs liquidateurs ou exécuteurs testamentaires disposent de pouvoirs suffisants pour traiter les problèmes de planification éventuels après leur décès. Il pourrait être nécessaire d’examiner plus attentivement le cas des personnes et des successions ayant des intérêts transfrontaliers, comme des actifs ou des membres de leur famille situés aux États-Unis, compte tenu des circonstances actuelles.

Il importe que les clients s’assurent qu’ils disposent d’un mandat de protection (ou mandat en cas d’inaptitude) (au Québec) ou d’une procuration (en Ontario) à jour, à la fois aux fins de l’administration de leurs biens et de leur santé (ou d’un « testament de vie » pour ce qui est des soins de santé).

Depuis le 1er avril 2020, les notaires du Québec sont autorisés à clore à distance les actes notariés1. Pareillement, en Ontario, un décret a été pris en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence, en vue d’autoriser, durant la situation d’urgence dans la province, la reconnaissance des signatures sur les testaments et les procurations au moyen d’une technologie de communication audiovisuelle (décret qui devrait être révoqué le 6 mai 2020, à moins qu’il ne soit prolongé)2, à condition qu’au moins un des témoins soit membre en règle du Barreau de l’Ontario au moment de la signature.

Gels et « regels » successoraux

Le gel successoral est une méthode couramment employée par de nombreux propriétaires canadiens d’entreprises afin de réduire les impôts payables à leur décès. Le gel successoral consiste en une restructuration de l’entreprise par laquelle la valeur de la participation du propriétaire dans l’entreprise ou la société de portefeuille est gelée à un moment précis et échangée contre des actions privilégiées à valeur fixe. Il en résulte que la plus-value ultérieure de l’entreprise s’accumule en faveur des porteurs des nouvelles actions ordinaires émises, généralement les enfants ou petits-enfants du propriétaire, souvent par l’entremise d’une fiducie, au cours de la restructuration.

Les personnes qui envisagent d’opter pour le gel successoral peuvent réduire les impôts résultant de la disposition réputée des actions privilégiées à valeur fixe à leur décès en gelant la valeur de leur succession à un moment où celle-ci est réduite.

Il est possible que le propriétaire d’entreprise qui a déjà procédé à un gel successoral voie, en raison de la conjoncture économique, la valeur de ses actions privilégiées à valeur fixe réduite à un niveau sensiblement inférieur à leur valeur de rachat. Le propriétaire d’entreprise peut se demander s’il convient ainsi d’effectuer un « regel », c’est-à-dire de geler de nouveau sa participation dans l’entreprise, mais à une valeur inférieure, de façon à réduire la plus-value au décès, ou encore de « dégeler » une partie de la participation visée par le gel afin de pouvoir accéder à des liquidités. Supposons, par exemple, que le propriétaire d’une entreprise ait opté pour le gel de sa participation dans l’entreprise à un moment où la juste valeur marchande de ses actions s’élevait à 10 millions de dollars, les échangeant alors contre des actions privilégiées d’une valeur fixe de 10 millions de dollars et stipulant que la plus-value ultérieure reviendrait à une fiducie familiale en faveur de ses descendants. Si la juste valeur marchande de l’entreprise s’établit maintenant à 7 millions de dollars, en procédant à un regel ou nouveau gel, le propriétaire obtiendrait en échange de ses actions des actions privilégiées d’une valeur fixe égale à la juste valeur marchande inférieure, de sorte que la plus-value à son décès serait calculée à partir de la valeur de 7 millions de dollars.

Report en arrière de pertes

En général, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), un contribuable qui décède est réputé avoir disposé de tous ses actifs à la date de son décès et en avoir tiré un produit égal à la juste valeur marchande des actifs immédiatement avant son décès, disposition qui peut donner lieu à des gains en capital non réalisés. Si la valeur des actifs diminue au cours de la première année d’imposition suivant le décès, le liquidateur ou l’exécuteur devrait envisager de matérialiser les pertes, en les reportant en arrière dans la dernière déclaration de revenus du défunt3.

Contributions à une fiducie familiale et dons : actifs ayant subi une moins-value

Lorsqu’un contribuable transmet, un actif à une fiducie entre vifs ou fait un don à une personne apparentée, la transmission, en général, est réputée faite à la juste valeur marchande et entraîne tout gain inhérent éventuel. Si une personne possède un actif dont la valeur a diminué au point où aucun gain inhérent important n’y est associé, il peut être opportun pour elle d’en faire don à ses enfants ou à d’autres membres de sa famille, ou de le transmettre à une fiducie familiale.

Planification des versements de dividendes en capital

Les dividendes versés à partir du compte de remboursement de capital d’une société à des actionnaires qui sont résidents canadiens peuvent être exonérés d’impôt. Les propriétaires d’entreprise qui prévoient subir des pertes en capital devraient envisager de verser la totalité du solde de leur compte de remboursement de capital (en espèces ou sous forme d’un billet) avant de matérialiser les pertes; toutefois, un tel versement pourrait potentiellement réduire le solde du compte de remboursement de capital ou la possibilité de verser des dividendes en capital exonérés d’impôt des autres membres de leur groupe de sociétés.

Canadiens bloqués à l’étranger

De nombreux hivernants ou snowbirds canadiens qui fuient les rudes hivers nordiques évitent d’être considérés comme des résidents des États-Unis sur le plan fiscal en contrôlant et en comptant soigneusement le nombre de jours où ils sont physiquement présents aux États-Unis au cours d’une année d’imposition. Compte tenu de la restriction des voyages entre pays durant la pandémie de COVID-19, il se peut que certains Canadiens ne soient pas en mesure de quitter les États-Unis ou estiment qu’ils se mettraient à risque en le faisant, et puissent ainsi être considérés comme des résidents des États-Unis sur le plan fiscal s’ils y sont physiquement présents pendant plus de 183 jours, selon le critère communément appelé le substantial presence test (le critère du séjour d’une durée importante)4.

L’Internal Revenue Service des États-Unis a publié des directives, dans sa Revenue Procedure 2020-20, selon lesquelles les personnes admissibles pourraient demander une dispense, pour motif de restriction de voyage liée à la COVID-19, à l’égard du critère du séjour d’une durée importante. Ainsi, les personnes admissibles seraient en droit d’exclure jusqu’à 60 jours civils consécutifs du compte des jours passés aux États-Unis aux fins du critère du séjour d’une durée importante, si elles avaient l’intention de quitter le pays, mais n’ont pu le faire en raison des interruptions de voyage liées à la COVID-19. Voyez les précisions sur l’admissibilité à cette disposition dans notre bulletin.

1 Voir l’arrêté numéro 2020-010 de la ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec en date du 27 mars 2020.

2 Règlement de l’Ontario 129/20 : Décret pris en vertu du paragraphe 7.0.2 (4) de la Loi [Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence] – Signatures dans les testaments et les procurations, daté du 7 avril 2020. Le décret a été modifié par le Règlement de l’Ontario 164/20, daté du 22 avril 2020, qui a confirmé que les signatures exigées pour les testaments et les procurations peuvent être effectuées au moyen de la signature de copies de ceux-ci, lesquelles doivent être complètes et identiques et constituent ensemble le testament ou la procuration.

3Au cours d’un séminaire Web de l’Association de planification fiscale et financière tenu le 14 avril 2020, l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec ont tous deux confirmé que la période prévue pour l’enregistrement du choix de report en arrière, qui devait être du 18 mars au 31 mai 2020, avait été prolongée jusqu’au 1er juin 2020.

4 Le critère du séjour d’une durée importante sert à déterminer si une personne est considérée comme une résidente des États-Unis pour l’année d’imposition en cours; le calcul fait à cette fin est la somme de l’addition i) du nombre de jours où la personne a été présente aux États-Unis durant l’année, et ii) ) du tiers des jours où elle a été présente aux États-Unis au cours de l’année précédente; et iii) du sixième des jours où elle a été présente aux États-Unis au cours de l’année antérieure à la précédente.

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