Bulletin

Prolongation des délais proposée par le gouvernement canadien en réponse à la COVID-19

Auteurs : Élisabeth Robichaud, Sharon Ford, James Trougakos et John J. Lennard

Le ministère des Finances a récemment publié, en lien avec les mesures prises par le gouvernement fédéral pour faire face à la pandémie de COVID-19, un projet de propositions législatives qui, une fois adoptées, deviendront la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19) (les « propositions législatives »). Cette loi suspendrait automatiquement, pendant six mois, les délais concernant les instances civiles devant les tribunaux fédéraux et permettrait la prolongation ou la suspension des délais prévus par les lois et la réglementation fédérales dans de nombreux domaines.

Suspension automatique des délais concernant les instances

Les propositions législatives, dans leur version actuelle, auraient pour effet de suspendre automatiquement toute échéance ou tout délai de prescription à l’égard du droit d’introduire une instance civile devant un tribunal fédéral ou d’accomplir un acte dans le cadre d’une instance civile devant un tribunal fédéral durant la période du 13 mars au 13 septembre 2020 (ou une date antérieure que peut fixer le cabinet fédéral). La suspension ne s’applique pas en matière criminelle.

Si les propositions législatives sont adoptées sous leur forme actuelle, la période entre le 13 mars et le 13 septembre 2020 serait exclue aux fins, notamment, de la détermination de l’échéance de dépôt des avis d’appel ou d’autres requêtes introductives d’instance devant la Cour canadienne de l’impôt, la Cour fédérale du Canada, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada.

Ministres fédéraux autorisés à prolonger ou à suspendre certains autres délais légaux pour une période maximale de six mois

Les propositions législatives permettraient également aux ministres responsables de l’application des lois et des règlements visés de prolonger ou de suspendre pour une période maximale de six mois, par arrêté ministériel, certains délais et échéances légaux, et ce, avec un possible effet rétroactif au 13 mars 2020. Les arrêtés ministériels ne pourront être pris après le 30 septembre 2020 et ne pourront s’appliquer pour des périodes de plus de six mois.

Les propositions législatives énumèrent 13 règlements de même que 121 dispositions contenues dans 30 lois et règlements fédéraux qui pourraient être visés, dont des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR »), de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA »), de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « LFI »), de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »), de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») et de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif (la « LCOBNL »).

Nous examinons ci-dessous certains des délais visés par les propositions législatives.

La LIR et la LTA

En vertu de la LIR, l'Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») peut généralement établir une nouvelle cotisation pour un contribuable au cours des trois années (dans le cas de la plupart des contribuables) ou des quatre années (dans le cas des fiducies de fonds communs de placement ou des sociétés par actions qui ne sont pas des sociétés privées sous contrôle canadien) suivant la date de la cotisation initiale du contribuable. Cette « période normale de nouvelle cotisation » peut être prolongée dans certaines circonstances, selon le contribuable, la disposition ou l'opération en cause. Des règles semblables s'appliquent en vertu de la LTA, qui accordent généralement à l'ARC une période de quatre ans suivant la date de production de la déclaration de TPS et de TVH pour établir une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable. Une fois la période normale de nouvelle cotisation expirée, en général, l’ARC ne peut pas établir de nouvelle cotisation pour l’année ou la période visée à moins de pouvoir démontrer, notamment, que le contribuable a fait une déclaration inexacte ou trompeuse par négligence ou a commis une fraude.

Les propositions législatives permettraient au ministre du Revenu national de prolonger d’au plus six mois la période durant laquelle l’ARC est en droit d’établir une nouvelle cotisation pour des années ou périodes pour lesquelles la période normale de nouvelle cotisation serait autrement expirée.

Contrairement à la plupart des autres exigences de dépôt prévues par la LIR, les règles relatives aux demandes liées à la recherche scientifique et au développement expérimental (la « RS&DE ») sont absolues, de sorte que l'ARC n'a pas la possibilité d'accepter ces demandes si elles sont déposées tardivement, ni de renoncer à l'exigence de production des documents connexes, même pour des raisons d'équité. Or, les propositions législatives permettraient au Ministre de reporter les échéances de dépôt des demandes liées à la RS&DE ainsi que des demandes de crédits d'impôt à l'investissement liées à la RS&DE.

Il convient de noter que le délai pour procéder au dépôt d’un avis d'opposition à l’encontre d’une cotisation fiscale n'est pas reporté par les propositions législatives. Toutefois, dans son communiqué de presse du 27 mars 2020, le gouvernement a confirmé que l’échéance de dépôt des avis d'opposition devant être déposés le 18 mars 2020 ou plus tard était reportée jusqu'au 30 juin 2020. Le gouvernement n'a pas encore annoncé de prolongation pour les avis d’opposition devant être déposés après le 30 juin 2020.

LFI et la LACC

En vertu de la LFI, le dépôt d'un avis d'intention de présenter une proposition (c'est-à-dire l’avis que doit déposer une personne insolvable pour déclarer son intention de présenter une offre à ses créanciers en vue de régler des dettes) déclenche le début d’une série de délais pour la production de certains documents (y compris une proposition formelle) et la notification des créanciers. En l'absence d'une prolongation ordonnée par un tribunal, la personne insolvable qui ne respecte pas ces délais est réputée avoir fait une cession de faillite.

Les propositions législatives permettraient au ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie de prolonger ou de suspendre certains délais liés au processus de proposition. Ainsi, le ministre pourrait prolonger :

  • le délai de production par la personne insolvable des états des flux de trésorerie et de certains autres documents auprès du séquestre officiel;
  • le délai dont dispose le syndic pour notifier aux créanciers connus le dépôt d'un avis d'intention de présenter une proposition;
  • le délai après lequel la personne insolvable est réputée avoir effectué une cession de faillite;
  • le délai dont dispose la personne insolvable pour présenter au tribunal une demande d’ordonnance de prolongation du processus de proposition;
  • le délai après lequel une proposition de consommateur est réputée annulée.

Même si les règles de la LACC déterminant la possibilité pour une société insolvable de restructurer ses affaires sous la surveillance d'un tribunal sont généralement plus souples et sont davantage des mesures de sauvetage que les règles de la LFI, la LACC impose également certains délais. À cet égard, les propositions législatives permettraient au Ministre de prolonger la durée de la suspension initiale que peut accorder par ordonnance un tribunal à une société débitrice sur demande initiale présentée en vertu de la LACC; elles apporteraient également des modifications parallèles aux dispositions connexes relatives au financement temporaire.

LCSA et LCOBNL

La LCSA exige des sociétés de régime fédéral qu’elles respectent des délais précis pour la convocation de leurs assemblées annuelles des actionnaires et pour la préparation et l’envoi de leurs états financiers annuels. Il y est précisé que la première assemblée annuelle doit avoir lieu dans les 18 mois suivant la constitution en société et que chaque assemblée annuelle suivante doit être tenue dans les 15 mois suivant l'assemblée annuelle précédente, à moins que le délai soit prolongé par une ordonnance d’un tribunal. Les points à l’ordre du jour de l'assemblée annuelle d'une société comprennent généralement l'examen des états financiers, la nomination de l’auditeur (ou l’adoption d’une résolution confirmant la décision de ne pas nommer d’auditeur), et l'élection des administrateurs. La LCOBNL impose des règles semblables à l’égard des assemblées annuelles des membres d'une société sans but lucratif de régime fédéral.

Les propositions législatives permettraient au ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, par arrêté, de prolonger les délais prévus dans la LCSA et la LCOBNL à l’égard de la convocation des assemblées annuelles des actionnaires ou des membres, de l’envoi des avis de convocation, ainsi que de l’envoi des états financiers annuels aux actionnaires ou aux membres et au directeur de Corporations Canada, lesquels états financiers pourraient être datés de plus de six mois suivant la fin de l’exercice de l’entité.

Loi sur Investissement Canada

Nos observations à l’égard des répercussions des propositions législatives sur les procédures prévues par la Loi sur Investissement Canada sont contenues dans notre bulletin Incidences de la prolongation des délais proposée par le gouvernement canadien sur le processus d’examen lié à la sécurité nationale prévu par la LIC.

Commentaires

Le gouvernement a indiqué que les propositions législatives seront accessibles en ligne pendant dix jours et que les personnes intéressées sont invitées à transmettre leurs commentaires au ministère de la Justice.

À l'heure actuelle, les ministres responsables n’ont donné que peu d'indications sur l'éventualité d’arrêtés ministériels, sur le moment où de tels arrêtés pourraient être pris ou sur les conditions qui pourraient y être rattachées, créant ainsi des zones d’incertitudes. Par exemple :

  • les ministres auront jusqu'au 30 septembre 2020 pour prendre des arrêtés, qui pourraient avoir un effet rétroactif au 13 mars 2020. Des délais de prescription ou de déchéance déjà expirés (en matière fiscale, par exemple) pourraient donc être rouverts;
  • il n'est pas tout à fait clair si les prolongations envisagées par les propositions législatives seraient appliquées à tous les délais concernés et, dans l'affirmative, si elles seraient appliquées uniformément. Par conséquent, un ministre pourrait choisir d'exercer son pouvoir de manière partielle (et non uniformément); par exemple, en ne prolongeant qu'un seul des nombreux délais visés par les propositions législatives, en prolongeant un délai de manière rétroactive et un autre de manière prospective, ou encore en assujettissant différents groupes ou catégories de personnes à des règles différentes.

De plus, le cabinet fédéral pourrait décider unilatéralement, en tout temps avant le 30 septembre 2020, de raccourcir la période de suspension automatique dans le cas des délais concernant les instances, qui, pour le moment, devrait se poursuivre jusqu'au 13 septembre 2020. Il est quelque peu inhabituel que le cabinet fédéral dispose d’un tel pouvoir sur des procédures civiles et la nécessité de conférer un tel pouvoir ne semble pas tout à fait claire.

Quoiqu’il nous apparaisse nécessaire de doter le gouvernement d’une certaine souplesse afin de faire face aux conséquences inattendues de la pandémie de COVID-19 dans divers domaines, la certitude est un élément essentiel à la stabilité du droit et de nos institutions. Il serait donc souhaitable que des indications claires soient émises par les différents ministres responsables au cours des prochaines semaines quant à l’exercice qu’ils comptent faire du pouvoir que leur accorderaient les propositions législatives si celles-ci étaient adoptées.

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