Bulletin

Incidences de la prolongation des délais proposée par le gouvernement canadien sur le processus d’examen lié à la sécurité nationale prévu par la LIC

Auteur : Anita Banicevic

Le gouvernement fédéral a publié un projet de propositions législatives qui permettrait la prolongation de certains délais et autres périodes prescrits par la loi en raison des circonstances découlant de la COVID-19. Publié le 20 mai 2020, le projet (qui deviendra, s’il est adopté, la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19)) conférerait, notamment, aux ministres fédéraux le pouvoir de prolonger de six mois au plus ou de suspendre pendant six mois au plus certains délais légaux, et ce, possiblement rétroactivement au 13 mars 2020.

L’annexe des propositions dans laquelle sont énumérés les lois et règlements prévoyant des délais que les ministres fédéraux peuvent prolonger indique notamment deux dispositions clés et délais connexes concernant l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements étrangers en vertu de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »). Comme nous le verrons ci-dessous, la possibilité que le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique prolonge de six mois au plus ou suspende pendant six mois au plus les délais prévus pour certaines étapes du processus d’examen lié à la sécurité nationale menace d’entourer les investissements étrangers au Canada d’une forte incertitude et d’avoir un effet dissuasif sur ceux-ci.

Contexte

Selon la LIC, l’acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne par un non-Canadien doit être l’objet soit d’un examen de l’« avantage net », avant sa conclusion (si l’investissement dépasse certaines limites financières), soit d’un avis d’investissement (devant être déposé avant la conclusion ou, au plus tard, 30 jours suivant celle-ci). En plus du processus d’examen de l’avantage net, la LIC prévoit un processus d’examen distinct pouvant s’appliquer à tout investissement (même minoritaire) ou à la constitution d’une nouvelle entreprise au Canada lorsque l’investissement ou la nouvelle entreprise peut « porter atteinte à la sécurité nationale ». La notion de « sécurité nationale » n’est pas définie dans la LIC; toutefois, dans des lignes directrices publiées précédemment, les autorités ont énuméré neuf facteurs pouvant être pris en compte pour évaluer si l’exigence d’un examen lié à la sécurité nationale est susceptible d’être déclenchée (si, par exemple, il est probable que l’investissement ait des effets sur les capacités en matière de défense nationale, risque de permettre l’espionnage ou ait un impact sur des infrastructures essentielles ou sur l’approvisionnement des Canadiens en biens ou en services essentiels).

Les dispositions actuellement en vigueur stipulent que le processus d’examen lié à la sécurité nationale peut être lancé jusqu’à 45 jours suivant la réception d’un avis d’investissement ou d’une demande d’examen (pour les opérations qui dépassent les limites financières fixées). L’investisseur peut volontairement porter à l’attention du ministre un investissement même si celui-ci n’est pas visé par l’obligation d’avis d’investissement ou de demande d’examen; dans ce cas, le ministre dispose d’un délai allant jusqu’à 45 jours suivant la clôture pour l’aviser qu’il exige un examen lié à la sécurité nationale, le cas échéant. Selon les délais actuellement prévus, si un examen lié à la sécurité nationale est déclenché, l’ensemble du processus peut prendre plus de 200 jours.

Comme nous l’avons mentionné dans un bulletin antérieur, le gouvernement fédéral a récemment publié un énoncé de politique concernant le contrôle renforcé de certains investissements dans des entreprises canadiennes durant la pandémie de COVID-19 et jusqu’à ce que l’économie se soit remise des effets de la pandémie. Il est maintenant évident que le ministre pourrait donner à la notion de préoccupation potentielle en matière de sécurité nationale un sens beaucoup plus large qu’avant la pandémie de COVID-19.

Projet de propositions législatives

Le projet de propositions législatives indique deux dispositions de la LIC (les articles 25.2 et 25.3), ainsi que le Règlement sur les investissements susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale (examen), comme dispositions prévoyant des délais susceptibles d’être l’objet d’une prolongation ou d’une suspension. Il semble ainsi que le ministre aurait le pouvoir de prolonger ou de suspendre plusieurs délais à différentes étapes du processus d’examen lié à la sécurité nationale.

Si ce projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, le ministre pourrait, par exemple, prolonger d’au plus six mois le délai légal actuel de 45 jours durant lequel il peut aviser l’investisseur étranger de la possibilité que son investissement fasse l’objet d’un examen en vertu de l’article 25.2. Par conséquent, selon les propositions législatives, le ministre pourrait disposer d’une période pouvant aller jusqu’à six mois et 45 jours pour décider d’aviser un investisseur étranger de la possibilité que son investissement dans une entreprise canadienne fasse l’objet d’un examen lié à la sécurité nationale. Lorsqu’il a ainsi avisé l’investisseur étranger, le ministre dispose, selon les délais actuellement en vigueur, de 45 jours supplémentaires pour décider s’il y a lieu de procéder à un examen lié à la sécurité nationale (comme le prévoit l’article 25.3). Selon les propositions législatives, il semble que le ministre pourrait également choisir de prolonger ce délai. Il est actuellement difficile de déterminer, cependant, si la limite proposée pour les prolongations (de six mois) s’appliquerait individuellement à chacun des délais prévus par chacune des dispositions ou collectivement à l’ensemble du processus d’examen. La prolongation de ces délais pourrait entraver la conclusion d’une opération par les parties, car lorsqu’un avis d’examen éventuel lié à la sécurité nationale a été donné avant la clôture, il est interdit aux parties de conclure l’opération tant que l’examen lié à la sécurité nationale n’est pas terminé ou que l’opération n’a pas été autorisée.

Tout arrêté ministériel visant la prolongation ou la suspension d’un délai, ainsi que les motifs de celle-ci, doit être publié sur un site Web du gouvernement fédéral dès que possible, mais au plus tard cinq jours suivant la date à laquelle l’arrêté est pris. Selon les propositions législatives, un arrêté de prolongation peut s’appliquer rétroactivement (jusqu’au 13 mars 2020 au plus) et le ministre a jusqu’au 30 septembre 2020 pour prendre un arrêté. Le gouvernement recueillera les commentaires du public concernant les propositions législatives jusqu’au 30 mai 2020.

Incidences

  • Étant donné que le processus d’examen lié à la sécurité nationale peut déjà être long et peut déjà être prolongé (à certaines étapes), il est difficile de comprendre la nécessité de longues prolongations supplémentaires (y compris, éventuellement, à plusieurs étapes du processus d’examen). En effet, l’adoption des propositions législatives sous leur forme actuelle créerait une forte incertitude pour les investisseurs étrangers envisageant d’investir dans des entreprises canadiennes.
  • La possibilité que le processus déjà opaque de l’examen lié à la sécurité nationale soit prolongé encore davantage risque d’avoir un fort effet décourageant sur les investissements entrants. L’incertitude du processus sera exacerbée par le pouvoir du ministre de prendre un arrêté imposant une prolongation ou une suspension en tout temps jusqu’au 30 septembre 2020, un tel arrêté pouvant s’appliquer rétroactivement au 13 mars 2020 et à tous les investissements effectués par des non-Canadiens. En d’autres termes, l’adoption des propositions législatives sous leur forme actuelle créerait en soi une forte incertitude quant à l’éventualité et à l’objet de l’exercice par le ministre de son pouvoir de prolongation (quant à savoir, par exemple, si plusieurs délais seront prolongés pour la totalité des six mois autorisés par les propositions législatives). Cette forte incertitude pourrait toutefois être atténuée si le ministre publiait en temps voulu des indications claires quant à la manière dont il entend exercer son pouvoir de prolongation et à l’éventualité qu’il l’exerce
  • Compte tenu des multiples étapes du processus d’examen lié à la sécurité nationale, si une prolongation était nécessaire, une prolongation limitée de la période initiale de 45 jours (au cours de laquelle un avis d’examen éventuel peut être donné) devrait être suffisante et permettrait de concilier la nécessité de disposer de temps supplémentaire et l’importance de donner aux investisseurs un calendrier clair et précis.

Personnes-ressources

Connexe