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COVID-19 : La communication de l’information au public au Canada en temps de pandémie

Auteurs : David Wilson, Robert S. Murphy et Steven J. Cutler

Les émetteurs canadiens aux prises avec les incidences de la pandémie de COVID-19 sur leurs activités se concentrent à juste titre sur la santé et la sécurité de leurs employés et clients, sur la continuité des affaires et sur la gestion du risque. Toutefois, alors qu’ils jonglent avec chacune de ces questions et toutes les autres questions névralgiques qui découlent de la pandémie, ils doivent également composer avec leurs obligations en matière de communication de l’information.

Au stade actuel, il se peut que l’incertitude quant à l’ampleur et à la durée de la pandémie empêche une bonne partie des émetteurs de mesurer les répercussions qu’aura la COVID-19 sur leurs activités, et ce, même s’ils en subissent déjà les contrecoups de façon directe et importante. Il semble toutefois de plus en plus évident que la pandémie aura une incidence importante sur la plupart des émetteurs. En raison de ce degré d’incertitude, les émetteurs canadiens devront décider, presque en temps réel, quelle information communiquer sur les incidences qu’a la pandémie sur leurs activités, et à quel moment ils doivent le faire, afin de satisfaire à leurs obligations d’information1. Au moment de prendre ces décisions, ils devront également s’assurer que les contrôles et procédures qu’ils ont mis en place pour la communication de l’information et leur contrôle interne en matière de communication de l’information financière demeurent efficaces, malgré les contraintes qu’entraînent les mesures prises pour limiter la propagation de la COVID-19.

Dates limites pour la communication. Malgré les perturbations qu’entraîne la pandémie pour toutes les entreprises, l’obligation d’information continue et occasionnelle qui incombe aux émetteurs assujettis canadiens continue de s’appliquer — à une seule exception limitée près. Le 23 mars 2020, les autorités en valeurs mobilières du Canada ont accordé aux émetteurs une prorogation de délai de 45 jours pour le dépôt des documents d’information continue qu’ils devaient par ailleurs déposer au plus tard le 1er juin 20202. Ces documents comprennent les états financiers, les rapports de gestion, les notices annuelles et les rapports techniques. Cette prorogation pourrait représenter une bonne nouvelle pour les émetteurs qui auront la difficile tâche de présenter de l’information pertinente sur la pandémie dans leurs prochaines communications périodiques; toutefois, la prorogation est accompagnée de certaines conditions qui pourraient en limiter l’utilité (par exemple, les émetteurs doivent publier régulièrement une mise à jour sur les événements importants touchant leurs activités). En outre, cette prorogation ne libère aucunement les émetteurs de leur obligation de communiquer immédiatement tout changement important ou, dans certaines circonstances (notamment à l’occasion de l’achat ou de la vente de leurs titres), de communiquer tous les faits importants, ni ne les libère de leur obligation de communiquer au public les incidences importantes de la pandémie avant de pouvoir discuter de ces questions avec des analystes ou des investisseurs institutionnels ou que des initiés n’effectuent des opérations sur leurs titres.

Changements importants. Les émetteurs canadiens ont une obligation d’information occasionnelle (ou en temps opportun) qui fait en sorte qu’ils doivent publier un communiqué advenant tout changement important touchant leurs affaires, dès qu’un tel changement survient. On entend par « changement important » tout changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital qui constitue un « fait important » (c’est-à-dire, un fait dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des titres de l’émetteur)3. En raison de l’incertitude et de l’évolution constante de la situation entourant la pandémie de COVID-19, il pourrait être difficile d’établir avec précision le moment où un tel changement important s’est produit. La pandémie, au-delà de ses répercussions sur l’économie en général, et des incidences qui en découlent sur le prix des marchandises et la demande des consommateurs, pourrait occasionner toutes sortes de conséquences importantes propres à chacun des émetteurs. La COVID-19 et les diverses mesures prises pour en limiter la propagation, notamment celles du gouvernement, peuvent venir entraver de façon importante les activités de l’émetteur et de ses employés, en plus d’entraîner des perturbations pour ses fournisseurs et clients. Il est également possible qu’elles fassent augmenter les frais engagés pour accéder aux chaînes d’approvisionnement, aux clients et aux marchés qui sont essentiels aux activités de l’émetteur, ou qu’elles limitent un tel accès ou le retardent. Il se pourrait également que les sources de capital et de liquidités ainsi que le coût du capital d’un émetteur soient touchés de manière défavorable, notamment en raison d’un manquement aux clauses restrictives de nature financière par lesquelles il est lié. Les émetteurs devraient être particulièrement vigilants à l’égard des incidences de la pandémie qui pourraient les toucher plus durement que d’autres sociétés du même secteur.

Facteurs de risque. Les émetteurs devraient se demander si les facteurs de risque qui figurent dans les derniers documents qu’ils ont déposés méritent d’être étoffés ou mis à jour pour tenir compte des nouveaux risques ou des risques plus précis auxquels leur entreprise est exposée en raison de la pandémie. Les risques antérieurement communiqués, bien qu’adéquatement décrits au moment de leur publication, pourraient maintenant ou bientôt devenir trop généraux, trop limités ou par ailleurs périmés étant donné l’évolution constante des conséquences de la pandémie. Une mise à jour s’avèrera particulièrement nécessaire dans les cas où les risques peuvent faire en sorte que les indications financières ou d’autres énoncés prospectifs importants communiqués précédemment ne se matérialisent pas. Les émetteurs devraient également apporter les changements correspondants à leur mise en garde concernant les énoncés prospectifs afin de pouvoir se prévaloir de la défense prévue par la loi en ce qui concerne la responsabilité découlant de toute information fausse ou trompeuse se trouvant dans de tels énoncés. Même si les facteurs de risque concernant la pandémie publiés par des émetteurs comparables peuvent donner des pistes aux émetteurs pour la préparation et la mise à jour de leurs propres facteurs de risque, chaque émetteur doit moduler ses facteurs de risque en fonction des circonstances qui lui sont propres au moment en question, notamment en déclarant la matérialisation de toute circonstance qui faisait partie des risques envisagés communiqués antérieurement.

Indications. Le traitement devant être réservé aux indications financières et à celles concernant les activités est l’une des questions les plus épineuses liées à la communication d’information qui se posent en raison de la pandémie. Dans son rapport de gestion, l’émetteur est tenu de mentionner tout événement ou toute circonstance découlant de la COVID-19 survenu pendant la période visée par le rapport qui est raisonnablement susceptible de faire en sorte que les résultats réels diffèrent considérablement de toute information prospective importante communiquée antérieurement pour une période qui n’est pas encore close, ainsi que les différences prévues. Toutefois, dans certaines circonstances, il pourrait être souhaitable ou nécessaire de procéder à une mise à jour plus hâtive par voie de communiqué. La question de savoir si une telle mise à jour devrait être faite est une décision complexe qui dépend des faits de chaque émetteur et qui doit être prise au cas par cas. Une mise à jour pourrait ne pas représenter une option valable pour l’émetteur qui, bien qu’ayant des doutes au sujet de ses indications, ne dispose pas de suffisamment d’information pour en publier de nouvelles ou n’est pas prêt à revenir entièrement sur celles-ci. L’émetteur qui se trouve dans une telle situation devrait éviter de formuler tout énoncé qui pourrait être considéré comme venant confirmer ou entériner ses indications, par exemple en les incluant sans modification dans un prospectus ou un autre document de placement. Il importe de noter que selon la législation canadienne en valeurs mobilières, les émetteurs ne doivent pas communiquer des indications financières à moins, entre autres, que celles-ci soient fondées sur des hypothèses qui sont raisonnables dans les circonstances. En conséquence, que la mise à jour soit faite au moyen du rapport de gestion ou d’un communiqué antérieur à celui-ci, compte tenu de l’incertitude considérable entourant les incidences de la pandémie, certains émetteurs pourraient être forcés ou choisir de revenir sur leurs indications antérieures et faire savoir qu’ils ont l’intention de communiquer de nouvelles indications uniquement une fois qu’ils seront en position de le faire.

Rapport de gestion et états financiers. Les émetteurs devront traiter des incidences de la pandémie dans leur prochain rapport de gestion dans la mesure nécessaire pour donner une idée juste de leur situation financière, de leur performance financière et de leurs flux de trésorerie. Outre les impacts réels pour la période visée par le rapport, les émetteurs devront aborder la question de la pandémie et tout impact prévu dans la mesure où il s’agit d’une tendance, d’un événement ou d’une incertitude qui est raisonnablement susceptible d’avoir une incidence sur leurs activités. Cette obligation s’ajoute à celle (dont il est question sous la rubrique « Indications » qui précède) de mettre à jour les énoncés prospectifs importants. Les émetteurs devront collaborer avec leurs auditeurs afin de s’assurer que leur rapport de gestion et leurs états financiers traitent des incidences comptables et financières de la pandémie, notamment en ce qui concerne les principales hypothèses qui sous-tendent les estimations comptables cruciales. En dernier lieu, les émetteurs doivent se demander si leurs contrôles et procédures de communication de l’information et leur contrôle interne à l’égard de l’information financière demeurent efficaces. Les émetteurs dont les activités sont fortement perturbées, notamment parce que l’accès à leurs installations est restreint en raison des restrictions en matière de déplacement et des mesures d’éloignement social visant à limiter la propagation de la COVID-19, pourraient devoir modifier ou remplacer ces contrôles et procédures pour en assurer l’efficacité. Toute modification apportée à ces contrôles et procédures ainsi que toute lacune importante ou tout manquement au titre de leur efficacité devra être communiqué.

Communication anticipée/communication sélective et opérations d’initiés. Même en l’absence d’un changement important qui lui est propre, et avant la publication du prochain communiqué concernant ses résultats, un émetteur pourrait être tenu ou pourrait choisir de communiquer au public les incidences de la pandémie sur ses activités. Bien que les répercussions mondiales de la pandémie de COVID-19 soient de notoriété publique, les incidences propres à un émetteur à un moment donné peuvent constituer un fait important qui n’est pas généralement connu. Diverses circonstances peuvent faire en sorte que des incidences de la pandémie propres à un émetteur doivent, aux termes de la loi, faire l’objet d’une communication anticipée. Les émetteurs doivent s’assurer d’avoir communiqué de façon générale tous les faits importants avant d’effectuer des opérations sur leurs titres ou que leurs initiés en effectuent (afin de ne pas s’exposer à des actions en responsabilité pour présentation inexacte des faits et pour se conformer aux interdictions visant les opérations d’initiés) et avant d’entreprendre toute discussion avec des analystes et des investisseurs institutionnels (afin d’éviter toute communication sélective et violation des interdictions concernant la communication d’information privilégiée)4. Dans de telles circonstances, les émetteurs devront aborder les incidences réelles et raisonnablement probables de la pandémie de divers points de vue (notamment, s’il y a lieu, en mettant à jour leurs prévisions). Même s’il n’est pas tenu de le faire, un émetteur peut volontairement communiquer de façon anticipée de l’information concernant la pandémie en vue de conserver la confiance des marchés financiers qui auront ainsi la certitude de disposer d’une information à jour.

Nous avançons tous en terres inconnues. Une seule approche en matière de communication de l’information ne pourra pas s’appliquer à tous les émetteurs; chacun devra examiner les faits et les circonstances qui lui sont propres et tirer les conclusions qui s’imposent selon l’évolution de la situation. En raison des incidences sans précédent et incertaines de la pandémie de COVID-19 sur les activités des émetteurs, en cas de doute, nous invitons les émetteurs à consulter leurs avocats en droit des valeurs mobilières. Ceux-ci pourront les aider à déterminer le moment et la manière de communiquer l’information liée à la pandémie.

1 Cet article fait le tour des principaux enjeux touchant les obligations d’information continue au Canada. Le 6 mai 2020, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié une présentation qui fournit aux émetteurs canadiens des indications générales sur la façon de communiquer l’incidence qu’a la pandémie de COVID-19 sur leur entreprise, leur situation financière et leurs résultats d’exploitation. Les émetteurs canadiens qui sont assujettis à des obligations de communication aux États-Unis devront également tenir compte des questions entourant celles-ci.

2 La Securities and Exchange Commission des États-Unis a adopté une mesure analogue à l’égard des rapports qui devaient être déposés dans ce pays entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Cependant, cette mesure ne s’applique pas aux émetteurs canadiens qui déposent des rapports aux États-Unis selon le régime d’information multinational, étant donné que la date limite de dépôt de documents selon ce régime correspond à la date limite fixée pour les documents correspondants au Canada. De plus amples renseignements sur la dispense accordée par la SEC sont fournis dans la publication suivante : La SEC accorde un assouplissement provisoire aux déposants touchés par la COVID-19.

3 Une décision d’effectuer un tel changement prise par le conseil d’administration ou la direction générale de l’émetteur (s’ils estiment que le conseil d’administration l’approuvera probablement) constitue également un « changement important ».

4 De plus, la Bourse de Toronto exige que les émetteurs inscrits communiquent l’information importante les concernant en temps opportun.

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