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Le Canada met un frein aux investissements des sociétés d’État étrangères dans les minéraux critiques

Auteurs : Mark Katz, Charles Tingley et Dajena Pechersky

Le gouvernement du Canada a annoncé, le 28 octobre 2022, l’adoption d’une nouvelle politique (la « politique ») régissant les investissements par des entreprises d’État dans les minéraux critiques aux termes de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »). À la suite de la publication de la politique, le gouvernement a annoncé, le 2 novembre 2022, qu’il avait ordonné à trois investisseurs chinois de se départir de leurs participations dans de petites entreprises minières canadiennes non constituées en société qui exercent des activités dans le secteur des minéraux critiques.

La politique, qui est décrite plus en détail ci-après, prévoit qu’un investissement dans des entreprises canadiennes du secteur des minéraux critiques par des entreprises d’État étrangères et des parties liées ne sera approuvé à la suite de l’examen de l’« avantage net » qu’« à titre exceptionnel » lorsqu’une telle approbation est requise. Il faut également s’attendre à ce qu’un tel investissement fasse l’objet d’un examen exhaustif relatif à la sécurité nationale. Cela témoigne d’un durcissement marqué de la position du gouvernement du Canada à l’égard de l’investissement des entreprises d’État étrangères dans le secteur canadien des minéraux critiques. L’annonce subséquente par le gouvernement de trois ordonnances de dessaisissement envoie également un signal fort aux investisseurs (et aux alliés du Canada), à savoir que le Canada est sérieux dans sa nouvelle approche.

Ce qu’il importe de savoir sur la politique

  1. La politique vise 31 minéraux que le gouvernement canadien juge « critiques ». Le gouvernement estime que ces minéraux, notamment l’aluminium, le cuivre, la potasse, l’uranium, le magnésium et le zinc, sont des actifs stratégiques essentiels à la prospérité future et à la sécurité nationale du Canada. Par conséquent, il travaille également à l’élaboration d’une stratégie sur les minéraux critiques qui vise à soutenir le développement des capacités industrielles et l’accès aux minéraux critiques et à attirer des investissements importants pour développer les actifs stratégiques du pays, allant des mines à la fabrication. La politique devrait être envisagée dans ce contexte, c’est-à-dire comme un outil précisant les types d’investissements que le gouvernement canadien ne souhaite pas attirer.
  2. La politique s’applique aux investissements à toutes les étapes de la chaîne de valeur des minéraux critiques, y compris l’exploration, le développement et la production ainsi que la transformation et le raffinage des ressources. Son champ d’application est plutôt large compte tenu du fait que, par le passé, les terrains d’exploration n’étaient pas assujettis à l’examen de l’avantage net prévu par la LIC. Il n’y a toutefois jamais eu de restriction quant au champ d’application de l’examen relatif à la sécurité nationale. La politique laisse par ailleurs en suspens certaines questions, notamment quant à l’applicabilité de ses dispositions à un terrain d’exploration ou à une mine en exploitation qui ne contient que des traces ou des quantités non commerciales d’un minéral essentiel, insuffisantes pour la production.
  3. La politique ne vise pas seulement les investisseurs qui sont des entreprises d’État étrangères. Elle s’applique également aux « investisseurs privés considérés comme étant étroitement liés à des gouvernements étrangers, soumis à leur influence ou susceptibles d’être contraints de se conformer à des directives extrajudiciaires de la part de » gouvernements étrangers, en particulier de gouvernements aux vues « divergentes » ou « hostiles ».
  4. La politique a une incidence sur les deux processus d’examen aux termes de la LIC : l’examen du critère de l’avantage net et l’examen relatif à la sécurité nationale. L’examen du critère de l’avantage net s’applique à certaines acquisitions du contrôle d’entreprises canadiennes par des investisseurs étrangers qui dépassent certains seuils financiers déterminés, tandis que l’examen relatif à la sécurité nationale s’applique à tous les investissements étrangers effectués au Canada, sans égard à la valeur de l’opération ou à l’acquisition du contrôle d’une société. Concrètement, le nombre d’examens de l’avantage net a considérablement diminué au cours des dernières années en raison de la hausse des seuils. Par conséquent, la politique pourrait avoir une plus grande incidence sur la mise en œuvre du processus d’examen relatif à la sécurité nationale aux termes de la LIC, dont la portée et le champ d’application sont plus larges.
  5. En ce qui a trait à l’examen de l’avantage net, la politique énonce que les investissements effectués par des entreprises d’État étrangères (ou des investisseurs privés, tel qu’il est indiqué ci-dessus) ne seront approuvés qu’« à titre exceptionnel ». La politique énumère plusieurs facteurs qui seront pertinents pour cette détermination (dont bon nombre sont tirés d’une politique d’application générale aux investissements d’entreprises d’État déjà en vigueur), notamment :
    1. la mesure dans laquelle un État étranger est susceptible d’exercer un contrôle opérationnel et stratégique direct sur l’entreprise canadienne à la suite de la transaction;
    2. le degré de concurrence qui existe dans le secteur et la possibilité d’une concentration importante de la propriété étrangère dans le secteur à la suite de la transaction;
    3. la gouvernance d’entreprise et la structure hiérarchique de l’entreprise d’État étrangère, y compris la question de savoir si elle respecte avant tout les normes canadiennes en matière de gouvernance d’entreprise et les lois et pratiques canadiennes, notamment les principes du libre marché dans ses activités au Canada;
    4. la probabilité que l’entreprise canadienne visée par l’acquisition poursuive ses activités à des fins commerciales, par exemple, l’endroit où les produits seront exportés ou transformés; la participation de Canadiens à ses activités au Canada et ailleurs; l’effet de l’investissement sur la productivité et le rendement industriel au Canada; le soutien à la poursuite de l’innovation et la recherche-développement au Canada; et les niveaux appropriés de dépenses d’immobilisations pour maintenir la compétitivité de l’entreprise canadienne à l’échelle internationale.
  6. En ce qui a trait à l’examen relatif à la sécurité nationale, la politique prévoit que la participation d’entreprises d’État étrangères ou d’investisseurs privés influencés par des États étrangers à un investissement étayerait la conclusion « selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que l’investissement est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada ». Les investisseurs qui sont des entreprises d’État étrangères peuvent par conséquent s’attendre à ce que leur investissement fasse l’objet d’un examen approfondi devant déterminer si l’investissement peut ou non aller de l’avant. Les facteurs pouvant être pris en compte par le gouvernement lors d’un tel examen comprennent les suivants :
    1. la taille, la portée et l’emplacement de l’entreprise canadienne;
    2. la nature et la valeur stratégique pour le Canada des actifs miniers ou de la chaîne d’approvisionnement en jeu;
    3. le degré de contrôle ou d’influence qu’une entreprise d’État serait susceptible d’exercer sur l’entreprise canadienne, la chaîne d’approvisionnement et l’industrie;
    4. l’effet que la transaction pourrait avoir sur la capacité des chaînes d’approvisionnement canadiennes d’exploiter l’actif ou d’accéder à d’autres sources (y compris l’offre intérieure);
    5. les circonstances géopolitiques actuelles et l’effet potentiel sur les relations entre pays alliés.
  7. La politique a déjà été mise en œuvre. Le gouvernement canadien a fait montre de la rigueur de sa nouvelle politique en ne tardant pas à annoncer qu’il avait ordonné à des investisseurs chinois de se dessaisir de leur participation dans trois entreprises canadiennes exerçant des activités dans le secteur des minéraux critiques :
    1. Sinomine (Hong Kong) Rare Metals Resources Co., Ltd. a dû se départir de son investissement dans Power Metals Corp., une société minière établie à Vancouver. Une opération, annoncée initialement en décembre 2021, avait permis à Sinomine d’acquérir une participation de 5,7 % dans Power Metals, qui possède des actifs d’exploration de césium, de lithium et de tantale au Canada (tous considérés comme des « minéraux critiques » par le gouvernement canadien). Les parties avaient également conclu en mars 2022 un contrat d’achat visant l’ensemble de la production future de Power Metals. Sinomine est le plus grand fournisseur de produits de césium au monde et un important fournisseur de produits de lithium.
    2. Chengze Lithium International Ltd., deuxième transformateur de lithium en importance en Chine, a dû se départir de son investissement dans Lithium Chile Inc., dont le siège social est situé à Calgary. Dans le cadre d’une opération annoncée initialement en avril 2022 et réalisée en mai, Chengze avait acquis une participation d’environ 19 % dans Lithium Chile ainsi que le droit de nommer deux administrateurs. Les terrains d’exploration de Lithium Chile sont tous situés au Chili ou en Argentine; aucun n’est situé au Canada.
    3. Zangge Mining Investment (Chengdu) Co., Ltd., un producteur chinois de lithium et de potassium, a dû se départir de son investissement dans Ultra Lithium Inc., une société de développement de ressources établie à Vancouver ayant des actifs d’exploration de lithium au Canada, aux États Unis et en Argentine. Une opération initialement annoncée en mai 2022 avait permis à Zangge d’acquérir une participation d’environ 14 % dans Ultra Lithium. Zangge et Ultra Lithium avaient également conclu une convention subséquente en juin 2022 aux termes de laquelle Zangge obtenait une participation de 65 % dans une filiale argentine d’Ultra Lithium, qui possède un terrain d’exploration en Argentine.

On ignore la façon dont le gouvernement a été informé de ces opérations, car elles ne semblent pas avoir fait l’objet d’un dépôt d’avis obligatoire aux termes de la LIC. Toutefois, comme on l’a vu antérieurement, le gouvernement utilisera différentes sources d’information pour repérer de façon proactive les investissements qui pourraient être préoccupants.

Incidences

  1. La Politique représente un changement de cap important dans l’approche du gouvernement canadien. Même s’il était déjà clair que les investissements étrangers dans les minéraux critiques étaient susceptibles de soulever des préoccupations en matière de sécurité nationale et si les investissements d’entreprises d’État étrangères faisaient déjà l’objet d’un « examen approfondi » (du moins en théorie), la politique établit une nouvelle approche systématique et beaucoup plus stricte à l’égard des investissements d’entreprises d’État étrangères dans les sociétés canadiennes qui exercent des activités liées aux minéraux critiques. Les principes énoncés dans la politique contrastent nettement avec l’attitude du gouvernement à l’égard de l’investissement réalisé plus tôt cette année par une entreprise d’État chinoise, Zijin Mining Group, dans Neo Lithium Corp., lequel a été autorisé sans avoir fait l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale officiel. On a reproché cette décision au gouvernement canadien, ce qui a incité un comité parlementaire à demander la tenue d’un examen relatif à la sécurité nationale approfondi de tous les investissements effectués dans le secteur des minéraux critiques par des entreprises d’État de régimes autoritaires. L’adoption de la politique semble également avoir été influencée par des considérations géopolitiques plus générales, alors que le Canada adopte maintenant une position plus critique envers la Chine (la ministre des Affaires étrangères a récemment qualifié la Chine de « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice ») et promeut le développement de relations économiques plus étroites avec des démocraties « amies » plutôt qu’avec des pays autoritaires « aux vues divergentes ».
  2. La politique pourrait viser un large éventail d’opérations. La politique s’applique non seulement aux entreprises d’État étrangères, mais aussi aux investisseurs privés qui peuvent avoir des liens avec des gouvernements étrangers ou qui sont autrement soumis à leur influence. En effet, à première vue du moins, deux des sociétés chinoises auxquelles on a ordonné la liquidation de leurs investissements dans les minéraux critiques sont des sociétés ouvertes dont on ne saurait dire sans équivoque si l’actionnaire majoritaire est un gouvernement ou une entreprise d’État. Cela confirme l’importance de bien connaître l’investisseur afin d’évaluer les enjeux potentiels liés à un investissement projeté. De plus, comme en témoignent les récentes décisions rejetant certains investissements, le gouvernement canadien peut interdire les investissements minoritaires et les opérations même lorsqu’aucun actif minier situé au Canada n’est en cause. Le gouvernement peut également dénouer des investissements déjà réalisés, vraisemblablement sans faire grand cas de l’incidence qu’une telle décision pourrait avoir sur le cours des actions des sociétés canadiennes concernées.
  3. La politique vise principalement les investisseurs issus de pays dont les gouvernements ont des « vues divergentes » ou sont « hostiles ». Bien qu’elle ne comprenne aucune mention expresse en ce sens, la politique semble viser principalement les investisseurs des pays considérés comme peu scrupuleux, notamment la Chine, la Russie (qui est également visée par une politique distincte en raison du conflit en Ukraine) et d’autres pays semblables. Elle ne prévoit toutefois pas nécessairement d’interdiction absolue de tous les investissements d’entreprises d’État étrangères dans le secteur des minéraux critiques. Les entreprises d’État étrangères de territoires « amis » peuvent être en mesure de convaincre le gouvernement que leurs investissements sont à l’avantage net du Canada et ne posent aucun risque pour la sécurité nationale, compte tenu plus particulièrement des facteurs énoncés dans la politique. Celle-ci pourrait en fait ouvrir de nouvelles possibilités d’investissement. Le gouvernement canadien a reconnu que sa position restrictive privera les entreprises canadiennes d’une source traditionnelle et importante de capitaux et il a exprimé son intention d’aider les acteurs nationaux du secteur des minéraux critiques à obtenir les investissements dont ils ont besoin. Lorsque les circonstances s’y prêtent, cela pourrait comprendre des investissements d’entreprises d’État de pays dont le gouvernement a des « vues similaires » à celles du Canada.
  4. La planification et la communication précoces sont essentielles. L’approbation aux termes de la LIC doit figurer au premier plan de la planification des transactions pour les entreprises d’État étrangères (ou les investisseurs privés liés) qui envisagent d’investir dans le secteur des minéraux critiques du Canada. Cela comprend l’évaluation des risques par les parties et leurs conseillers, ainsi que la rédaction dans les contrats de clauses appropriées qui tiennent compte de ces risques. Il est important de noter que les parties devraient également examiner la possibilité de tenir des consultations préalables à l’investissement avec le gouvernement. À tout le moins, les investisseurs qui ne sont pas assujettis à l’obligation d’obtenir l’approbation préalable aux termes de la LIC (par exemple, parce que leurs investissements sont inférieurs aux seuils pertinents entraînant un examen selon le critère de l’avantage net ou parce qu’ils ne font l’acquisition que de participations minoritaires) devraient songer à profiter de l’occasion pour informer le gouvernement de la transaction suffisamment tôt avant la clôture afin de s’assurer que tous les éventuels enjeux soient abordés et réglés avant la réalisation de l’investissement. Autrement, ils pourraient faire l’objet d’un examen postérieur à la clôture et d’éventuelles sanctions. En effet, les investissements dans des participations minoritaires peuvent maintenant faire l’objet d’un examen jusqu’à cinq ans après la clôture, sauf en cas de dépôt d’un avis volontaire aux termes de la LIC.
  5. On s’attend à une plus grande divulgation des résultats des examens relatifs à la sécurité nationale. Le gouvernement du Canada a toujours fait preuve de beaucoup de circonspection lorsqu’il s’agissait de rendre publics le déclenchement et les résultats de ses examens relatifs à la sécurité nationale. Toutefois, lors de l’annonce de ses trois décisions de bloquer les investissements chinois dans les minéraux critiques, le gouvernement a déclaré qu’il avait maintenant l’intention de rendre publics les détails des examens relatifs à la sécurité nationale qui ont mené à une ordonnance de blocage ou de dessaisissement d’un investissement ou à une autorisation de procéder uniquement si des mesures d’atténuation sont mises en place. Par conséquent, les investisseurs étrangers (et non seulement les entreprises d’État) et les entreprises canadiennes qui envisagent d’effectuer des investissements pouvant faire l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale aux termes de la LIC devraient prévoir avec soin la possibilité que la transaction projetée (ainsi que le refus d’y donner suite au terme de l’examen relatif à la sécurité nationale) puisse être rendue publique à un moment donné. Il en va de même pour les investisseurs étrangers qui établissent au Canada une nouvelle entreprise susceptible de soulever des préoccupations liées à la sécurité nationale.

La politique ne constitue certainement pas le dernier effort dans le cadre des modifications susceptibles d’être apportées à la LIC. Le gouvernement du Canada s’est engagé à continuer d'adapter le cadre de la LIC de manière à garantir la prospérité soutenue du pays et à répondre aux menaces changeantes à la sécurité nationale. Compte tenu de la teneur et du ton de la politique, de telles modifications rendront vraisemblablement le processus d’examen aux termes de la LIC encore plus rigoureux, du moins pour certains investisseurs.

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