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Le Canada promulgue une loi mettant en œuvre l’Instrument multilatéral parrainé par l’OCDE

Auteurs : Nathan Boidman, Michael N. Kandev, Marc André Gaudreau Duval, Sammy Cheaib et Jesse A. Boretsky

Le Canada a promulgué une loi mettant en œuvre la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, parrainée par l’OCDE (l’« Instrument multilatéral »). Cette promulgation en date du 21 juin 2019 représente l’avant-dernière étape de la ratification par le Canada de l’Instrument multilatéral, qui s’achèvera par la prise d’un décret autorisant la signature de l’instrument de ratification. Il est prévu que le Canada notifiera l’OCDE d’ici quelques mois de la ratification de l’Instrument multilatéral.

La ratification et la notification étant essentiellement des formalités, l’Instrument multilatéral pourrait prendre effet, à l’égard des conventions fiscales bilatérales du Canada appelées « conventions fiscales couvertes », dès le 1er janvier 2020 aux fins des retenues d’impôts et le 1er avril 2020, pour les années d’imposition commençant à cette date, à toutes les autres fins.

L’Instrument multilatéral n’est pas une convention fiscale autonome; plutôt, il met en œuvre certaines mesures du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting) (le « projet BEPS ») de l’OCDE sans qu’il soit nécessaire de procéder individuellement pour chacune des conventions fiscales visées à des négociations bilatérales et à une mise en application. L’Instrument multilatéral exige des pays participants qu’ils acceptent les normes minimales du projet BEPS en ce qui a trait aux mesures contre les stratégies de chalandage fiscal et concernant le règlement des différends, et qu’ils permettent l’adoption d’un certain nombre de dispositions facultatives dans leurs conventions fiscales.

Le Canada a désigné 75 de ses 93 conventions fiscales comme des conventions fiscales couvertes et chacune de celles-ci sera visée par l’Instrument multilatéral si le Canada et le cosignataire de la convention en question (qui a également désigné sa convention fiscale avec le Canada comme convention fiscale couverte) ratifient l’Instrument multilatéral en vertu de leurs lois respectives. Il importe de noter que la ratification de l’Instrument multilatéral par le Canada n’aura aucune incidence sur sa convention fiscale avec les États-Unis, ce pays n’ayant pas signé l’Instrument multilatéral. La convention avec les États-Unis comporte déjà des dispositions complexes et détaillées, y compris une disposition d’arbitrage obligatoire et contraignant et une clause détaillée de « limitation des avantages ». La liste des conventions fiscales couvertes exclut également les conventions intervenues avec l’Allemagne et la Suisse, même si ces pays sont signataires de l’Instrument multilatéral. Cependant, le Canada a annoncé qu’il entamait la renégociation bilatérale de ses conventions avec l’Allemagne et la Suisse.

Au moment où il a signé l’Instrument multilatéral, en 2017, le Canada a indiqué qu’il adopterait les normes minimales convenues par l’OCDE concernant l’utilisation abusive des conventions fiscales et le règlement des différends, ainsi que les dispositions sur l’arbitrage obligatoire et contraignant. Par contre, le Canada a initialement formulé des réserves faisant en sorte que la plupart des dispositions facultatives de l’Instrument multilatéral ne s’appliqueraient pas à ses conventions fiscales couvertes. Le 28 mai 2018, toutefois, le Canada a annoncé qu’il avait l’intention de lever certaines réserves à l’égard de quatre des dispositions facultatives, lesquelles font maintenant partie de la loi mettant en œuvre l’Instrument multilatéral, soit les dispositions :

  • exigeant une période de détention de 365 jours, de manière à ce que seules les sociétés détenant des actions pendant plus de 365 jours puissent bénéficier des taux inférieurs de retenue d’impôts s’appliquant aux dividendes selon la convention (article 8);
  • permettant une période de détermination rétrospective sur 365 jours du respect de la condition préalable à l’exemption des gains en capital réalisés sur la vente d’actions (ou de droits semblables dans une entité) ne tirant pas un certain pourcentage de leur valeur de biens immobiliers (immeubles) (article 9);
  • concernant les modes de résolution des cas d’entités ayant une double résidence (article 4);
  • visant à permettre aux signataires d’une convention d’éliminer la double imposition au moyen de crédits pour impôts étrangers plutôt que d’exemptions (article 5).

En ce qui a trait aux normes minimales convenues par l’OCDE concernant le droit aux avantages prévus par une convention fiscale, le Canada a opté pour la règle du critère des objets principaux. Cette règle est une règle anti-abus générale servant à déterminer si l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction est d’obtenir des avantages prévus par une convention fiscale d’une manière non conforme à l’objet et au but des dispositions de la convention en question. Le gouvernement fédéral a annoncé son intention de négocier d’une manière bilatérale, s’il y a lieu, l’inclusion de dispositions détaillées de limitation des avantages dans ses conventions, en plus ou en remplacement de l’application de la règle du critère des objets principaux. Le commentaire de l’OCDE sur cette règle n’est pas particulièrement instructif, et la portée et l’incidence de la règle sont actuellement un sujet d’un grand intérêt et d’une grande incertitude dans les milieux de la planification fiscale internationale.

Le gouvernement fédéral n’a pas annoncé son intention de lever sa réserve à l’égard du paragraphe 4 de l’article 7, qui permettrait expressément aux autorités compétentes d’accorder en tout ou en partie, dans des circonstances appropriées, des avantages prévus par une convention fiscale qui seraient autrement refusés selon la règle du critère des objets principaux. Étant donné le libellé très large de la règle, cette réserve peut poser un problème pour les fonds de capital-investissement et les autres organismes de placement collectifs pouvant être résidents de plusieurs territoires.

Une fois qu’il aura ratifié l’Instrument multilatéral, le Canada n’aura plus la possibilité de formuler de nouvelles réserves limitant l’application de l’Instrument multilatéral à ses conventions fiscales couvertes. Toutefois, il pourra lever des réserves afin de mettre en application des dispositions facultatives de l’Instrument multilatéral qui étaient jusque-là inapplicables. Ainsi, même après la ratification de l’Instrument multilatéral, il est possible que dispositions supplémentaires entrent en vigueur et modifient certaines conventions fiscales couvertes.

Les investisseurs étrangers au Canada devraient passer en revue leurs dispositions à la lumière de l’entrée en vigueur prévue de l’Instrument multilatéral et de son incidence sur les conventions fiscales couvertes du Canada.

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