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Le Canada resserre les critères d’approbation en vertu de la Loi sur Investissement Canada pour l’acquisition d’entreprises du secteur des minéraux critiques

Auteurs : John Bodrug, Jim Dinning et Umang Khandelwal

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada (le « ministre ») a publié récemment une Déclaration ministérielle sur l’examen de l’avantage net des entreprises canadiennes du secteur des minéraux critiques. Les opérations visant d’importantes sociétés minières canadiennes exerçant des activités essentielles dans le domaine des minéraux critiques qui doivent faire l’objet d’un examen de l’avantage net prévu par la Loi sur Investissement Canada (la « LIC ») « ne seront considérées comme présentant un avantage net que dans les circonstances les plus exceptionnelles ». Parallèlement, le ministre a annoncé qu’il approuve l’acquisition du contrôle, par Glencore, pour la somme de 6,9 milliards de dollars américains, d’Elk Valley Resources, l’entreprise de Ressources Teck Limitée exerçant des activités liées au charbon sidérurgique, moyennant d’importants engagements pris au terme d’un examen de l’avantage net prévu par la LIC qui a duré sept mois.

La déclaration ministérielle vient confirmer la rigueur des examens auxquels les investissements étrangers sont soumis dans le secteur des minéraux critiques. Bien que la déclaration ne ferme pas la porte à l’octroi d’approbations dans le cadre du régime de l’examen de l’avantage net dans le secteur et que les opérations continueront d’être examinées au cas par cas, l’approbation ne sera accordée que lorsque les faits permettront de conclure que l’acquisition aura vraisemblablement pour effet de promouvoir la protection et l’accroissement du leadership stratégique du Canada dans le développement des chaînes de valeur des minéraux critiques.

La déclaration ministérielle s’applique à tous les investisseurs étrangers, et, sur ce point, va au-delà de la surveillance qu’exerçait déjà le gouvernement canadien sur les investissements des entreprises d’État étrangères dans les minéraux critiques, mais elle ne vise que les opérations assez importantes pour commander un examen de l’avantage net. La déclaration ne s’applique pas aux investissements minoritaires ne donnant pas le contrôle, aux financements par emprunts, aux acquisitions de contrôle qui n’atteignent pas les seuils déclencheurs d’examen de l’avantage net (ce qui comprend la plupart des acquisitions visant des sociétés d’exploration de minéraux critiques), aux acquisitions de sociétés minières qui ne sont pas du secteur des minéraux critiques ou aux acquisitions de sociétés dont les activités fondamentales ne sont pas liées aux minéraux critiques.

De même, l’approbation de l’opération Glencore-Elk Valley illustre la rigueur de l’examen des investissements étrangers lorsque l’opération est médiatisée et sensible sur le plan politique, y compris l’obligation potentielle de prendre des engagements de longue durée, ainsi que l’attention portée aux considérations environnementales lors de l’examen de l’avantage net.

Déclaration ministérielle sur l’examen de l’avantage net des entreprises canadiennes du secteur des minéraux critiques

L’acquisition directe du contrôle d’une entreprise canadienne par un investisseur non canadien qui dépasse des seuils financiers déterminés doit faire l’objet de l’approbation prévue par la LIC, qui est accordée si l’investissement est vraisemblablement à l’avantage net du Canada. L’évaluation de l’avantage net porte notamment sur l’incidence de l’opération sur l’économie, la productivité, l’efficience, le progrès technologique, l’innovation, la compétitivité et les politiques industrielles du Canada, ainsi que sur la participation canadienne dans l’entreprise acquise. Les seuils financiers qui déclenchent l’examen d’une opération (sauf dans le secteur culturel) sont élevés. Pour la plupart des investisseurs du secteur privé, le seuil est d’au moins 1,326 milliard de dollars canadiens au titre de la valeur d’affaire de l’entreprise canadienne (1,989 milliard de dollars canadiens pour les investisseurs provenant de pays avec lesquels le Canada a conclu un accord commercial déterminé). Aussi, les examens de l’avantage net sont assez rares, le ministre n’ayant effectué que six examens au cours du dernier exercice.

En règle générale, les investisseurs étrangers parviennent à obtenir l’approbation quant à l’avantage net d’acquisitions dans le secteur minier et d’autres secteurs s’ils fournissent au gouvernement canadien des engagements suffisants au sujet de l’exploitation future de l’entreprise canadienne (voir l’analyse de l’opération Glencore ci-après). Toutefois, et plus spécialement dans le contexte changeant de la sécurité nationale, le gouvernement canadien s’est récemment concentré davantage sur les investissements étrangers dans le secteur des minéraux critiques. (Le gouvernement canadien considère actuellement 34 minéraux comme critiques.) À cet égard, en 2022, le ministre a publié une Politique concernant les investissements étrangers par des entreprises d’État dans les minéraux critiques dans le cadre de la Loi sur Investissement Canada, selon laquelle l’acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne liée aux minéraux critiques par une entreprise d’État étrangère ne sera considérée comme étant à l’avantage net du Canada « qu’à titre exceptionnel ». De plus, la participation d’une entreprise d’État étrangère dans un investissement visant une unité canadienne exploitée au Canada dans le secteur des minéraux critiques étayera la conclusion du ministre selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que l’investissement est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada.

La déclaration ministérielle récente confirme que le gouvernement canadien surveille de très près les investissements dans le secteur des minéraux critiques. Il y est en effet précisé que les investissements étrangers qui doivent faire l’objet d’une approbation suivant un examen de l’avantage net touchant « d’importantes sociétés minières canadiennes exerçant des activités essentielles dans le domaine des minéraux critiques […] ne seront considéré[e]s comme présentant un avantage net que dans les circonstances les plus exceptionnelles ». Il est important de noter que la déclaration ne vise pas seulement les investisseurs qui sont des entreprises d’État étrangères.

Lors d’une séance d’information organisée par le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada environ une semaine après la publication de la déclaration ministérielle (la « séance d’information »), un représentant du gouvernement a déclaré que les opérations continueraient d’être examinées au cas par cas.

Voici les principaux éléments de la déclaration ministérielle.

Application à tous les investisseurs étrangers

Contrairement à la politique de 2022 en matière de minéraux critiques du ministre, qui ne s’applique qu’aux investissements effectués par des entreprises d’État étrangères et des entités privées étroitement liées à des gouvernements étrangers, la déclaration ministérielle récente s’applique de prime abord à tous les investisseurs étrangers, qu’ils soient ou non des entreprises d’État et qu’ils proviennent ou non de pays dont les gouvernements ne partagent pas les valeurs du gouvernement canadien.

Incidences sur les examens relatifs à la sécurité nationale

La déclaration ministérielle ne s’applique qu’aux examens de l’avantage net (qui ne peuvent être effectués que dans les cas où il y a acquisition du contrôle d’une entreprise canadienne, soit, en règle générale, l’acquisition de titres conférant au moins le tiers des droits de vote), et non aux examens relatifs à la sécurité nationale (qui peuvent être effectués à l’égard d’un éventail beaucoup plus large d’investissements comprenant les petits investissements minoritaires).

La limitation du champ d’application de la déclaration ministérielle aux seuls examens de l’avantage net signifie que la déclaration n’a pas pour objet de limiter les investissements minoritaires d’investisseurs étrangers privés dans des entreprises canadiennes de minéraux critiques (pour financer le développement et l’expansion, par exemple). En effet, la déclaration ministérielle énonce clairement que « [l]e Canada est favorable aux investissements étrangers et reconnaît qu’ils sont importants, en particulier pour les petites entreprises canadiennes, afin de faire progresser les activités liées à l’exploration et au développement de gisements ».

Il reste à savoir si la déclaration doit être interprétée comme une indication que l’acquisition, par des investisseurs étrangers privés, du contrôle de petites sociétés canadiennes du secteur des minéraux critiques qui ne commande pas l’approbation quant à l’avantage net sera désormais plus susceptible de faire l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale prévu par la LIC.

Actifs fondamentaux

À la séance d’information, les représentants du gouvernement ont laissé entendre que la déclaration ministérielle ne s’applique qu’aux investissements dans des actifs « fondamentaux ». La déclaration ne signale donc pas un resserrement des critères d’examen pour l’acquisition de sociétés dont les activités ou les actifs liés aux minéraux critiques sont négligeables ou non fondamentaux. Bien que ce qui serait considéré comme « fondamental » par le ministre ne soit pas clair, il a été indiqué, lors de la séance d’information, que l’acquisition de sociétés d’exploration à un stade préliminaire et la vente d’actifs de moindre envergure, qui sont en soi susceptibles de tomber sous les seuils déclencheurs d’examen de l’avantage net, ne seraient pas visées par la déclaration ministérielle. Par exemple, une société dont les mines de minéraux non critiques la placent au-dessus du seuil déclencheur d’examen de l’avantage net pourrait ne pas être visée par la déclaration ministérielle uniquement du fait qu’elle exerce également des activités minimes d’exploration à un stade préliminaire de minéraux critiques ou qu’elle possède quelques actifs dans ce domaine.

Sociétés minières canadiennes importantes

De même, on ne précise pas, dans la déclaration ministérielle, ce qui sera considéré comme une société minière canadienne « importante » exerçant des « activités essentielles dans le domaine des minéraux critiques ». Il a toutefois été indiqué, à la séance d’information, que la déclaration ministérielle se concentre sur les « grandes entreprises dont le siège social se trouve au Canada et qui mènent des activités d’exploitation de minéraux essentiels [sic] ». On y a également souligné l’importance de protéger et d’accroître le leadership stratégique du Canada dans le développement des chaînes de valeur des minéraux critiques, ce qui semble toucher non seulement l’exploration, l’extraction, le traitement, la fabrication de produits en aval et le recyclage comme tels, mais aussi la gestion de ces activités.

À la séance d’information, il a été confirmé qu’une société canadienne exerçant peu ou pas d’activités liées aux minéraux critiques au Canada mais qui possède des mines ou exerce des activités liées aux minéraux critiques à l’extérieur du Canada est visée par la déclaration ministérielle et pourrait faire l’objet d’un examen exhaustif. On a aussi laissé entendre que le ministre pourrait considérer qu’une entreprise a son siège social au Canada si elle exerce d’importantes activités de gestion au Canada, même si celles ci ne sont pas exercées uniquement au Canada.

En particulier, l’acquisition directe d’une entreprise canadienne (p. ex., une entité constituée au Canada ayant des actifs, des employés et un établissement au Canada), que celle-ci, en définitive, appartienne ou non à des Canadiens ou soit ou non sous le contrôle de Canadiens, pourrait donner lieu à un examen de l’avantage net prévu par la LIC, c’est-à-dire que l’acquisition d’entreprises canadiennes contrôlées par des étrangers peut être assujettie à l’examen. Il reste à savoir si la déclaration ministérielle sera appliquée à l’acquisition d’entreprises canadiennes qui sont déjà contrôlées par des étrangers et, le cas échéant, comment elle sera appliquée.

Cas exceptionnels

Dans les cas où l’acquisition du contrôle d’une société canadienne est visée par la déclaration ministérielle, il reste à clarifier ce qui constituerait « les circonstances les plus exceptionnelles » dans lesquelles l’approbation quant à l’avantage net serait accordée et la fréquence à laquelle une telle approbation serait accordée. Il semble raisonnable de penser que le seuil d’approbation sera plus bas pour des investisseurs de pays avec lesquels le Canada entretient des relations commerciales étroites que pour des entreprises d’État étrangères de pays moins alignés sur les valeurs canadiennes. La situation financière de la société canadienne et l’absence d’un acheteur canadien viable seraient normalement prises en compte dans le cadre de l’examen de l’avantage net. À la séance d’information, les représentants du gouvernement ont confirmé que le niveau de concurrence et la concentration de propriété étrangère dans le secteur, ainsi que la question de savoir si des investissements de capitaux suffisants sont prévus pour maintenir la société canadienne parmi les leaders mondiaux (comme il en est question dans la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques), sont également pertinents lors d’un examen de l’avantage net. Par exemple, il a été dit, à la séance d’information, que le ministre peut juger favorablement une acquisition assujettie à l’examen qui augmente sensiblement l’importance stratégique et la valeur de l’entreprise canadienne comme élément constitutif d’une chaîne de valeur plus intégrée dont les avantages profiteront vraisemblablement au Canada.

À court terme à tout le moins, les incertitudes associées à la déclaration ministérielle risquent d’avoir un effet dissuasif sur les investissements étrangers dans le secteur canadien des minéraux critiques et sur la croissance du secteur. Les sociétés d’exploitation de minéraux critiques qui pensent avoir de la difficulté à obtenir du financement et avoir peu de possibilités de sortie si elles se constituent en sociétés par actions et s’inscrivent à la cote d’une bourse de valeurs du Canada pourraient être démotivées et décider de faire des affaires dans un autre pays.

La publication de la déclaration ministérielle a sans doute été influencée par le climat politique qui règne actuellement au Canada, qui a entraîné un environnement généralement plus protectionniste et des modifications législatives récentes importantes qui étendent la portée de la législation canadienne en matière d’investissement étranger et de concurrence, changements qui ont reçu le soutien de tous les grands partis politiques. Seul le temps permettra de savoir si un environnement semblable pour l’examen des investissements perdurera après l’élection fédérale qui doit se tenir en octobre 2025 au plus tard.

Engagements de Glencore-Elk Valley aux termes de la LIC

Comme il est mentionné ci-dessus, la déclaration ministérielle a été publiée en même temps que l’annonce de l’approbation de l’acquisition d’Elk Valley par Glencore, accordée sous réserve d’importants engagements pris au terme d’un examen de l’avantage net.

En 2023, Glencore a lancé une offre hostile en vue d’acquérir la totalité de Ressources Teck Limitée, importante société canadienne de ressources qui produit notamment du cuivre et du zinc. Cette opération a été abandonnée au vu de la forte opposition qu’elle a suscitée.

Glencore et Teck ont par la suite annoncé une entente négociée selon laquelle Glencore acquerrait Elk Valley, entreprise de Teck exerçant des activités liées au charbon. (Signalons que le charbon ne figure pas sur la liste des minéraux critiques du Canada.) En annonçant l’approbation de cette acquisition à l’issue de l’examen de l’avantage net, le ministre a souligné les conditions strictes de son approbation et les engagements considérables pris par Glencore au soutien de l’opération. Glencore a également publié un résumé détaillé de ses engagements, qui incluent les engagements suivants d’une durée de 10 ans :

  • établir et maintenir un siège social canadien pour Elk Valley à Vancouver, en Colombie Britannique;
  • maintenir deux bureaux régionaux pour Elk Valley dans l’Ouest canadien;
  • veiller à ce que la majorité des administrateurs d’Elk Valley soient canadiens;
  • veiller à ce qu’au moins 66 % des postes de haute direction et de cadre chez Elk Valley soient occupés par des Canadiens.

Glencore a aussi pris un engagement de cinq ans selon lequel Elk Valley maintiendra un nombre important d’emplois au Canada. La durée de 10 ans de bon nombre de ces engagements est plus longue que ce qui est normalement requis, des durées de 3 à 5 ans étant habituellement acceptées pour la plupart des engagements pris dans le cadre d’un examen de l’avantage net.

Glencore a également fourni des engagements importants concernant la préservation et la gérance de l’environnement. L’entreprise a convenu de demeurer redevable du paiement de toute obligation environnementale découlant de la législation canadienne jusqu’à la fin de 2050, même si elle vend ou se départit par ailleurs d’Elk Valley auparavant, à moins que le ministre ne soit convaincu que les modalités de la vente prévoient adéquatement la gérance des obligations environnementales. Glencore s’est aussi engagée à investir la somme additionnelle de 350 millions de dollars canadiens dans des activités de remise en état et de fermeture au cours des cinq prochaines années. Ces engagements environnementaux ont pu être inspirés en partie par les pressions exercées par des groupes environnementaux, et notamment par une pétition officielle enjoignant au gouvernement de s’assurer qu’Elk Valley ait les ressources nécessaires pour s’acquitter de ses obligations de remise en état si elle devait être séparée du groupe de Teck et devenir une société autonome.

En outre, dans son communiqué, le ministre indiquait que Teck s’était engagée à réinvestir une part considérable du produit de la vente d’Elk Valley dans son portefeuille de croissance lié au cuivre. (Signalons que le cuivre figure sur la liste des minéraux critiques du Canada.) Le processus d’approbation d’une opération en vertu de la LIC s’attache normalement aux plans et aux engagements de l’investisseur étranger, et non à l’emploi du produit que prévoit le vendeur. Bien que le ministre puisse prendre en compte un large éventail de facteurs pour évaluer si un projet d’opération sera vraisemblablement à l’avantage net du Canada, nous n’avons connaissance d’aucune autre opération à l’égard de laquelle le ministre a obtenu du vendeur un engagement en vue de l’approbation quant à l’avantage net.

La portée et la durée de certains engagements vont au-delà de ce qui est normalement requis pour obtenir une approbation à la suite de l’examen de l’avantage net. Cependant, ces engagements ne sont peut-être pas indicatifs de manière générale, étant donné les circonstances particulières de l’opération, dont la forte médiatisation à la fois de l’acquisition initiale proposée de Teck et des préoccupations environnementales importantes associées à Elk Valley.

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