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Les lois sur les valeurs mobilières du Canada ont le bras long : la Cour suprême en confirme la portée transfrontalière

Dans sa récente décision Sharp c. Autorité des marchés financiers, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a confirmé la compétence du Tribunal administratif des marchés financiers du Québec (le « TAMF »), tribunal administratif provincial consacré aux valeurs mobilières, à l’égard de défendeurs de l’extérieur de la province.

Les juges majoritaires (7 contre 1) ont statué que le TAMF avait compétence sur les défendeurs de l’extérieur de la province (i) en raison de l’existence d’un « lien suffisant » entre la province et les défendeurs, qui auraient pris part à un stratagème frauduleux de manipulation de titres ayant des liens importants avec le Québec; et (ii) parce que l’application extraterritoriale de la réglementation des valeurs mobilières est conforme aux principes d’ordre et d’équité, étant donné surtout la nature transfrontalière de la manipulation de titres et de la fraude en valeurs mobilières.

Principaux points à retenir

  • Même si les motifs de la CSC portent avant tout sur le principe juridique selon lequel le Code civil du Québec (CCQ) est le point de départ approprié pour analyser la compétence des autorités du Québec, le principal point à retenir est que la nature transfrontalière de la réglementation des valeurs mobilières au Canada peut justifier l’application transnationale des règles.
  • Par conséquent, à moins qu’une loi ne stipule le contraire, les lois sur les valeurs mobilières provinciales peuvent s’appliquer à des non-résidents lorsqu’un « lien suffisant » ou un « lien réel et substantiel » existe entre la province et ces personnes, et lorsque l’application de ces lois à des non-résidents n’est pas contraire aux principes d’ordre et d’équité. Dans de telles circonstances, la compétence juridictionnelle des autorités ou des décideurs provinciaux en matière de valeurs mobilières peut s’étendre à des défendeurs non-résidents.
  • Ces critères juridiques s’appliquent partout au Canada et permettent ainsi une approche analytique uniforme à l’égard de l’application des règles en matière de valeurs mobilières.

Décision

La CSC a confirmé en premier lieu que le CCQ est le « fondement des autres lois du Québec », y compris aux fins de la détermination de la compétence des autorités administratives de la province. Toutefois, la CSC a statué que le TAMF n’avait pas en l’espèce compétence en vertu du CCQ, puisque la nature de la procédure administrative introduite n’était pas visée par les règles du CCQ en matière de compétence.

La CSC est néanmoins arrivée à la conclusion que le TAMF avait compétence sur les défendeurs de l’extérieur de la province en l’espèce. D’abord, elle a statué qu’en vertu de la loi qui l’institue, le TAMF est investi d’une compétence juridictionnelle lui permettant « d’exercer toutes les fonctions et tous les pouvoirs prévus » par la Loi sur les valeurs mobilières (Québec), ainsi que par d’autres lois, et ce « en fonction de l’intérêt public ».

Ensuite, appliquant le critère bien établi en matière d’applicabilité extraterritoriale de dispositions législatives provinciales provenant de l’arrêt Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, la CSC a statué que la législation en valeurs mobilières du Québec pouvait s’appliquer en l’espèce à des défendeurs de l’extérieur de la province pour les motifs suivants :

  • Il existe un lien suffisant entre la province et les défendeurs de l’extérieur de la province :
    • ils se seraient servis du Québec comme « façade » d’un stratagème allégué de type « gonflage et largage »;
    • ils ont pris part à des activités de marketing ou de financement en lien avec le stratagème et ont ciblé en partie des résidents du Québec;
    • la société par l’entremise de laquelle les défendeurs ont exécuté leur stratagème était une émettrice assujettie du Québec;
    • l’administrateur de cette société était un résident du Québec.
    • De plus, la CSC a déclaré que la détermination du lien suffisant doit prendre en compte la nature transnationale de la réglementation des valeurs mobilières, ainsi que l’intérêt public de s’attaquer à la manipulation du marché international.
  • La compétence du TAMF est conforme aux principes d’ordre et d’équité :
    • elle est équitable pour les défendeurs de l’extérieur de la province qui choisissent d’accéder au marché québécois des valeurs mobilières;
    • elle n’est pas contraire aux principes d’ordre ou de courtoisie interprovinciale, en raison surtout de la nature transfrontalière de la manipulation de titres et de la fraude en valeurs mobilières; par conséquent, les organismes de réglementation de plusieurs ressorts peuvent exercer leur compétence à l’égard du même stratagème allégué.
  • En fin de compte, comme la manipulation de titres et la fraude contemporaines en valeurs mobilières sont transnationales, les tribunaux doivent adopter une approche souple et téléologique.

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