Bulletin

Entrée en vigueur prochaine du régime législatif du Québec visant la transparence des entreprises

Auteurs : Marie-Andrée Latreille et Jonathan Bilyk

Le 31 mars 2023 entreront en vigueur des modifications apportées à la Loi sur la publicité légale des entreprises (la « LPLE ») qui exigeront des assujettis (décrits ci-dessous) qu’ils déclarent leurs « bénéficiaires ultimes ». D’un bout à l’autre du Canada, les autorités imposent des exigences en matière de transparence qui visent à renforcer les obligations de reddition compte des entreprises et à lutter contre les crimes financiers tels que le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. En adoptant ces modifications, le Québec se joint au nombre toujours plus grand des autorités fédérales et provinciales du Canada ayant mis en place des mécanismes visant la transparence des entreprises. Vous trouverez dans notre bulletin les dernières informations sur l’ensemble des mesures prises au pays en matière de transparence des entreprises.

Le projet de loi 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises

Comme nous l’avons indiqué dans un autre bulletin, c’est le projet de loi 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (le « projet de loi 78 »), ayant reçu la sanction royale le 8 juin 2021, qui décrit les modifications apportées à la LPLE en ce qui concerne la transparence des entreprises. Depuis cette date, le gouvernement du Québec (le « gouvernement ») a pris des règlements d’application qui entreront en vigueur le 31 mars 2023. De plus, le 1er février 2023, a été présenté le projet de loi 7, Loi concernant la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 22 mars 2022 et modifiant d’autres dispositions législatives (le « projet de loi 7 »), dont l’objectif est d’apporter des modifications au projet de loi 78. Il est actuellement prévu que le projet de loi 7 entrera en vigueur le 31 mars, en même temps que les autres dispositions législatives.

Quelles sont les entreprises assujetties et tenues de se conformer?

La LPLE exige que certaines personnes ou certains groupements de personnes (appelés les « assujettis ») soient immatriculés auprès du Registraire des entreprises du Québec (le « REQ »), dont les sociétés par actions, les sociétés de personnes, les fiducies qui exploitent une entreprise, les coopératives, les entreprises individuelles et les autres groupements exerçant des activités au Québec, quel que soit leur lieu de constitution. Une société constituée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario qui exerce des activités au Québec, par exemple, serait considérée comme un assujetti aux fins de la LPLE. Le régime québécois en matière de transparence des entreprises a une portée beaucoup plus large que celle d’autres régimes canadiens, car il vise non seulement les sociétés constituées en vertu du droit du Québec, mais aussi les autres types d’entreprises (provinciales et extraprovinciales) immatriculées auprès du REQ.

L'obligation d’inscrire et de déclarer leurs bénéficiaires ultimes conformément à la LPLE s’applique à tous les assujettis, à l’exception des entreprises dispensées. La LPLE prévoit des catégories d’entreprises qui, pour des raisons réglementaires, sont dispensées des exigences en matière de transparence (les « entités dispensées »); au nombre de celles-ci on trouve les personnes morales sans but lucratif, les sociétés d’État, les émetteurs assujettis au sens de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (la « LVMQ »), certaines institutions financières indiquées dans la Loi sur les assureurs, les sociétés de fiducie, les banques, les associations au sens du Code civil du Québec (le « Code civil ») et toutes autres entités pouvant être dispensées par règlement à un moment quelconque. Depuis la publication de la liste initiale des entités dispensées dans le projet de loi 78, le gouvernement a, par règlement, indiqué que les syndicats de copropriété constitués en vertu du Code civil seront également dispensés de l’obligation de déclaration des bénéficiaires ultimes.

En général, ces dispenses sont consenties parce que d’autres mécanismes existent qui permettent de déterminer la propriété et le contrôle des entités visées, comme les obligations de déclaration des émetteurs assujettis selon la législation en valeurs mobilières ou les exigences s’appliquant aux sociétés d’État. Soulignons, toutefois, que les sociétés ouvertes qui ne sont pas des émetteurs assujettis au sens de la LVMQ ne sont pas actuellement considérées comme des entités dispensées, même si ces sociétés peuvent être soumises aux exigences de déclaration de lois sur les valeurs mobilières d’autres provinces ou territoires canadiens ou d’un autre pays (les États-Unis, par exemple) semblables pour l’essentiel aux exigences de déclaration de la législation québécoise.

La LPLE permet à des personnes ou à des groupements de personnes qui ne sont pas normalement tenus d’être immatriculés en vertu de la LPLE de demander néanmoins l’immatriculation. Nous croyons savoir que de tels assujettis volontaires ne se verront pas imposer l’obligation prévue par la LPLE de déclarer leurs bénéficiaires ultimes.

Qu’entend-on par « bénéficiaire ultime » d’un assujetti?

On considère comme le bénéficiaire ultime d’un assujetti la personne physique (ou certaines entités assimilées à des personnes physiques aux fins des obligations de déclaration en matière de transparence, dont nous traitons ci-dessous) qui satisfait à l’une quelconque des conditions suivantes :

  • elle est détentrice, même indirectement, ou bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qui lui confère la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote afférents à celles-ci;
  • elle est détentrice, même indirectement, ou bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une valeur correspondant à 25 % ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités émises par l’assujetti;
  • elle a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti (au sens de la Loi sur les impôts);
  • elle en est le commandité ou, si un commandité de l’assujetti n’est pas une personne physique, elle satisfait à l’une des conditions énoncées aux trois points ci-dessus ou est partie à une convention de vote à l’égard de ce commandité (dont nous traitons ci-dessous);
  • elle en est le fiduciaire (toute personne morale agissant à titre de fiduciaire est considérée comme une personne physique).

De plus, si des personnes physiques ont conclu une convention de vote à l’égard des titres d’un assujetti, et si leur convention de vote leur confère collectivement la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote rattachés aux titres en circulation de l’assujetti, chacune de ces personnes physiques sera considérée comme un bénéficiaire ultime de l’assujetti.

En outre, en vertu de la LPLE, le gouvernement peut, par règlement, ajouter d’autres cas dans lesquels une personne serait considérée comme un bénéficiaire ultime. Un règlement approuvé depuis l’adoption du projet de loi 78 précise qu’en plus des cas décrits ci-dessus, une personne physique sera considérée comme le bénéficiaire ultime d’un assujetti si elle contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qui confère 25 % ou plus des droits de vote rattachés à l’ensemble des actions, des parts ou des unités émises par l’assujetti ou qui représente 25 % ou plus de la juste valeur marchande de l’ensemble de ces actions, parts ou unités. Il en est de même, selon ce règlement, de la personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une entité qui est partie à une convention de vote.

Selon la LPLE, le bénéficiaire d’une fiducie sera également, dans certaines conditions, considéré comme un bénéficiaire ultime. De plus, la LPLE prévoit, dans le cas d’une société en commandite qui détient des actions d’un assujetti conférant 25 % ou plus des droits de vote rattachés aux actions, aux parts ou aux unités en circulation de l’assujetti ou de la juste valeur marchande de ces actions, parts ou unités (ou qui est partie à une convention de vote à l’égard de l’assujetti), certaines règles de transparence selon lesquelles les bénéficiaires ultimes de la société en commandite sont considérés comme les bénéficiaires ultimes de l’assujetti. En outre, l’assujetti qui est une personne physique exploitant une entreprise individuelle est présumé être le seul bénéficiaire ultime de l’assujetti en l’absence d’une déclaration contraire.

Quelles sont les entités considérées comme des bénéficiaires ultimes et dans quelles circonstances le sont-elles?

Il est important de signaler que la LPLE contient une disposition selon laquelle les entités dispensées seront considérées comme des personnes physiques aux fins de la détermination des bénéficiaires ultimes de l’assujetti. Par conséquent, un assujetti peut déclarer une entité dispensée comme son bénéficiaire ultime si l’entité dispensée, si ce n’était du fait qu’elle n’est pas une personne physique, remplirait les conditions établies pour être reconnue comme bénéficiaire ultime. C’est le cas, par exemple, d’un assujetti dont un émetteur assujetti selon la législation en valeurs mobilières du Québec détient 25 % ou plus des droits de vote rattachés à ses titres en circulation : l’assujetti peut simplement déclarer l’émetteur assujetti comme son bénéficiaire ultime. Cette disposition pratique évite à l’assujetti d’avoir à remonter la chaîne de propriété d’une entité dispensée, concession logique vu les raisons invoquées pour dispenser ces entités de l’obligation de déclarer leurs bénéficiaires ultimes (dont nous avons traité ci-dessus). Cette approche se distingue de celle d’autres régimes législatifs, comme le régime en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), lequel, selon les projets de règlement actuels, ne prévoit pas d’accorder de dispense à un émetteur assujetti détenant une participation dans une société constituée en vertu de la LCSA, ou exerçant un contrôle sur une société constituée en vertu de la LCSA, directement ou indirectement, si la participation ou le contrôle ne sont pas exclusifs.

Quels sont les renseignements à déclarer au REQ?

La LPLE impose à l’assujetti l’obligation de déposer tous les ans une déclaration auprès du REQ. Selon les modifications, cette déclaration devra inclure certains renseignements sur les bénéficiaires ultimes de l’assujetti, dont leur nom, leur domicile et, dans le cas de bénéficiaires ultimes qui sont des personnes physiques, leur date de naissance et leur adresse professionnelle, le cas échéant. Le projet de loi 7, dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 31 mars 2023, imposera également à l’assujetti l’obligation de déclarer « la condition en vertu de laquelle il l’est devenu [un bénéficiaire ultime] ». Le projet de loi 78 exige de l’assujetti qu’il précise dans sa déclaration « le type de contrôle exercé par chacun d’eux [les bénéficiaires ultimes] ou le pourcentage d’actions, de parts ou d’unités qu’ils détiennent ou dont ils sont bénéficiaires ». Toutefois, le projet de loi 7, remplacerait cette exigence plutôt vague par une exigence plus claire imposant aux assujettis l’obligation de déclarer le pourcentage d’actions détenu par leurs bénéficiaires ultimes ou sur lequel leurs bénéficiaires ultimes exercent un contrôle.

Si une personne est considérée comme le bénéficiaire ultime d’un assujetti du fait qu’elle est détentrice ou bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités lui conférant la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote afférents à l’ensemble des actions, des parts ou des unités en circulation ou qu’elle exerce un contrôle sur des actions, des parts ou des unités d’une valeur correspondant à 25 % de la juste valeur marchande de cet ensemble d’actions, de parts ou d’unités, alors l’assujetti doit déclarer le pourcentage ainsi détenu ou contrôlé en précisant dans quelle fourchette de participation il se situe : (i) de 25 % à 50 %; (ii) de plus de 50 % à 75 %; ou (iii) de plus de 75 %. De plus, l’assujetti doit déclarer la date à laquelle la personne est devenue un bénéficiaire ultime et la date à laquelle elle a cessé de l’être.

L’assujetti qui est une personne morale doit également déposer une copie d’une pièce d’identité délivrée par une autorité gouvernementale pour chacun de ses administrateurs. De plus, tous les assujettis doivent indiquer la date de naissance et le domicile de chacune des personnes physiques déclarées au REQ. L’adresse professionnelle peut être indiquée en plus de l’adresse du domicile et, dans ce cas, seule l’adresse professionnelle sera à la disposition du public (voir ci-dessous).

Qui a le droit de consulter les renseignements communiqués au REQ?

Les renseignements dont dispose le REQ peuvent généralement être consultés sans frais par le public. Par souci de protection des renseignements personnels, certains renseignements concernant les bénéficiaires ultimes inscrits dans la déclaration ne seront pas à la disposition du public, dont la date de naissance et le domicile des personnes physiques (mais seulement si une adresse professionnelle a été indiquée à la place de l’adresse du domicile), ainsi que le nom et le domicile de toute personne mineure.

À partir du 31 mars 2024, le public sera en droit, en vertu des modifications, d’effectuer une recherche dans le REQ à partir du nom d’une personne physique, contrairement à ce qui est permis en vertu d’autres lois semblables en vigueur en Amérique du Nord. De plus, une série d’entités et d’organisations gouvernementales pourra également avoir accès aux renseignements détenus par le REQ aux termes d’ententes conclues avec celui-ci.

En 2022, le gouvernement fédéral a annoncé son objectif de mettre en place un registre de la propriété effective des sociétés constituées en vertu de la LCSA, interrogeable par le public, et de constituer une plateforme à laquelle pourraient adhérer tous les régimes en matière de transparence provinciaux et territoriaux, de manière à créer un registre interrogeable pancanadien (voir à ce sujet notre bulletin). La mise en place du registre interrogeable des renseignements exigés par la LPLE progresse, mais il reste à voir si ce vaste registre pourrait être intégré à un régime national, ou si les sociétés assujetties à la fois aux exigences de transparence de la LPLE et à celles d’autres lois provinciales (ou fédérales) devront composer avec des obligations de déclaration quant à la propriété effective qui se recouvrent.

Que comportent les modifications attendues pour les assujettis?

À compter du 31 mars 2023, les assujettis devront inclure dans leur déclaration annuelle déposée auprès du REQ les renseignements exigés sur leurs bénéficiaires ultimes, ainsi que les renseignements supplémentaires décrits ci-dessus sous « Quels sont les renseignements à déclarer au REQ? ». Dans bien des cas, la collecte et la préparation de ces renseignements nécessiteront un investissement de temps considérable. Les assujettis qui souhaiteraient avoir plus de temps pour s’adapter aux nouvelles exigences peuvent déposer leur prochaine déclaration annuelle avant le 31 mars 2023 (à condition d’y avoir droit) et ainsi profiter d’une année de plus pour recueillir et préparer tous les renseignements qu’ils devront intégrer à leur déclaration annuelle suivante.

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