Bulletin

Transparence des entreprises : Que se passe-t-il au Canada ?

Auteurs : Marie-Andrée Latreille, Michael Disney et Jonathan Bilyk

Les récentes modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») obligeront les émetteurs fermés à présenter à Corporations Canada des renseignements sur les particuliers ayant un contrôle important. Ces modifications s’inscrivent dans le cadre de l’objectif à long terme du gouvernement fédéral en matière de transparence des entreprises, qui consiste à créer un registre national de la propriété effective, accessible au public (ce qui nécessitera la coopération des provinces).

Les modifications apportées à la LCSA exigeront la déclaration régulière des renseignements sur la propriété effective

Le 23 juin 2022, les modifications à la LCSA exigeant aux émetteurs fermés de déclarer régulièrement les renseignements sur la propriété effective à Corporations Canada, ont reçu la sanction royale. Ces modifications, qui entreront en vigueur à une date ultérieure, s’inscrivent dans le cadre d’une initiative plus vaste du gouvernement fédéral visant à créer un registre public de la propriété effective pouvant être consulté afin de lutter contre l’utilisation abusive de sociétés écrans constituées en vertu du régime fédéral pour des activités illégales telles que le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Dans un contexte où l’attention internationale se porte de plus en plus sur les crimes financiers et l’efficacité des sanctions économiques, le gouvernement canadien a réaffirmé dans le budget fédéral de 2022 son engagement envers la transparence de la propriété des sociétés fédérales en accélérant l’échéance fixée précédemment pour le lancement du registre de 2025 à la fin de 2023. Les modifications à la LCSA sont incluses dans la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022 (le « projet de loi C-19 »).

Exigence actuelle de la LCSA concernant la tenue d’un registre des personnes exerçant un contrôle important

Comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin, depuis juin 2019, les sociétés régies par la LCSA (à l’exception des sociétés qui sont des émetteurs assujettis ou dont les titres sont inscrits à la cote d’une « bourse de valeurs désignée » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu) sont tenues d’établir et de tenir un registre (un « RPCI ») des particuliers ayant un contrôle important (en général, représentant les personnes physiques qui exercent un contrôle de fait sur une société, ou qui sont les détenteurs inscrits d’actions ou qui ont la propriété effective d’actions ou qui exercent un contrôle direct ou indirect sur des actions, ces dites actions comportant 25 % ou plus des droits de vote des actions votantes de la société ou représentant 25 % de la juste valeur marchande des actions en circulation de la société). Au moins une fois l’an, une société doit prendre des mesures raisonnables pour s’assurer d’identifier tous les particuliers ayant un contrôle important sur la société et que les informations contenues au registre sont exactes, complètes et à jour. Les sociétés sont également tenues de mettre à jour leur RPCI dans les 15 jours après avoir pris connaissance de toute information devant être déclarée au registre.

Toute infraction aux nouvelles dispositions peut donner lieu à de sérieuses sanctions, soit une amende pouvant atteindre 200 000 $ et/ou une peine d’emprisonnement de six mois, et s’appliquer aux sociétés et à leurs administrateurs, dirigeants ou actionnaires qui enfreignent celles-ci sciemment.

Nouvelle exigence de la LCSA concernant l’envoi de renseignements sur le RPCI à Corporations Canada

Une fois en vigueur, le projet de loi C-19 imposera aux sociétés qui doivent tenir un RPCI les obligations suivantes :

  • fournir à Corporations Canada les renseignements figurant au RPCI dès la réception d’un certificat de constitution, de fusion ou de prorogation aux termes de la LCSA;
  • fournir chaque année à Corporations Canada les renseignements figurant au RPCI;
  • fournir à Corporations Canada toute mise à jour des renseignements figurant au RPCI dans les 15 jours suivant cette mise à jour.

La forme sous laquelle ces renseignements doivent être fournis à Corporations Canada et, dans le cas des deux premières exigences, le délai dans lequel ils doivent l’être, seront prévus dans des règlements, qui n’ont pas encore été publiés.

Afin que la collecte de renseignements concernant la propriété effective puisse répondre aux objectifs qui sous-tendent la mise en œuvre des modifications, celles-ci prévoient également l’autorisation, pour Corporations Canada, de communiquer, en totalité ou en partie, les renseignements figurant au RPCI au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le « CANAFE »), à des organismes d’enquête, notamment la police et l’Agence du revenu du Canada, ou à d’autres entités déterminées.

Les sociétés publiques régies par la LCSA continueront d’être exemptées de l’obligation de tenir un registre, étant donné que les lois canadiennes sur les valeurs mobilières comportent des exigences en matière de déclaration des initiés et des actionnaires importants. Le projet de loi C-19 comprend une modification, entrée en vigueur le 23 juin 2022, qui vient préciser que la dispense relative à une « bourse de valeurs désignée » ne s’applique qu’à une société « dont des valeurs mobilières sont cotées et négociables à une bourse de valeurs désignée ».

Autres modifications de la LCSA à venir

Les changements introduits dans le projet de loi C-19 représentent la première de deux phases de modifications apportées à la LCSA en lien avec le lancement du registre public. La deuxième phase consistera en des changements nécessaires pour rendre publics et consultables, au moyen d’une interface accessible à tous, les renseignements sur la propriété effective recueillis par Corporations Canada. Nous croyons comprendre qu’Innovation, Sciences et Développement économique Canada ainsi que d’autres organismes travaillent actuellement sur les questions pertinentes au lancement du registre, notamment les préoccupations relatives à la protection de la vie privée, l’élaboration de règlements qui seront faciles à respecter et la création de l’interface. Nous nous attendons à ce que les parties prenantes soient consultées lors de la rédaction des modifications devant être apportées dans le cadre de cette deuxième phase.

Les défenseurs de la transparence des entreprises espèrent que la prochaine série de modifications, qui devrait être publiée dans une deuxième loi d’exécution du budget plus tard cette année, répondra aux préoccupations exprimées lors des débats de la Chambre des communes et du Sénat sur le projet de loi C-19. Ces préoccupations comprennent la création d’un système de registre public qui combat efficacement les crimes financiers, la vérification des données en temps opportun, l’allocation de ressources suffisantes pour créer des capacités d’enquête et d’exécution et la volonté de décourager le recours à des avocats comme prête-noms afin de protéger l’identité des propriétaires réels sous le couvert du secret professionnel de l’avocat. Cette dernière initiative pourrait s’avérer contestée à la lumière des poursuites judiciaires présentées par des ordres professionnels qui ont réussi dans le passé à faire invalider certains aspects des exigences de déclaration du CANAFE en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

Initiatives provinciales en matière de transparence des entreprises

Le registre de la LCSA, qui visait en premier lieu les sociétés fédérales, est conçu pour être étendu afin de permettre l’accès aux données sur la propriété effective recueillies par les provinces et les territoires qui souhaitent participer à ce que le gouvernement fédéral espère devenir un registre national. La plupart des provinces ont déjà adopté une certaine forme de législation en matière de transparence des sociétés.

Comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin, en août 2021, l’Assemblée nationale du Québec a sanctionné le projet de loi 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (le « projet de loi 78 »), qui n’est pas encore entré en vigueur. Une fois en vigueur, les exigences du projet de loi 78 dépasseront de loin celles de la LCSA, puisqu’elles obligeront toute personne ou entité, y compris une société, une société de personnes ou une fiducie commerciale qui est immatriculée au Registraire des entreprises du Québec (le « REQ ») et qui exerce des activités au Québec, à divulguer au REQ les renseignements sur ses bénéficiaires ultimes (sont toutefois exclus de cette obligation les émetteurs assujettis et certaines autres entités spécifiques). Le public pourra à son tour prendre connaissance des renseignements communiqués au REQ. Le projet de loi 78 a une portée beaucoup plus large que les dispositions de la LCSA et les dispositions relatives aux registres des bénéficiaires ultimes des sociétés adoptées par d’autres provinces. Ce projet de loi s’applique non seulement aux sociétés par actions, mais également aux autres entités commerciales. De plus, il s’applique non seulement aux sociétés constituées en vertu des lois du Québec, mais également à celles qui exercent des activités au Québec, mais qui ont été constituées ou formées à l’extérieur du Québec. Il reste à voir si la portée très vaste du régime du Québec pourrait être intégrée à un registre national, ou si les sociétés devront s’adapter à des régimes de déclaration sur la propriété effective qui se chevauchent.

Les modifications à la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario adoptées dans la Loi de 2021 visant à bâtir l’Ontario (mesures budgétairesobligeront les sociétés fermées à établir et à tenir un registre des particuliers ayant un contrôle important, permettront aux autorités et aux autres organismes d’enquête d’accéder aux renseignements fournis dans ce registre et imposeront des amendes aux sociétés, aux administrateurs, aux dirigeants et aux actionnaires en cas de non-conformité. Les nouvelles règles, qui s’inspirent largement des dispositions de la LCSA, entreront en vigueur le 1er janvier 2023.

La plupart des autres provinces, à savoir la Colombie-Britannique, la Saskatchewan (non encore en vigueur), le Manitoba, la Nouvelle-Écosse (non encore en vigueur), le Nouveau Brunswick, l’Île du Prince Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador, ont également adopté des lois obligeant les émetteurs fermés de tenir des registres de la propriété effective. Les dispositions de ces lois suivent largement celles de la LCSA (sans toutefois prévoir, à ce jour, l’obligation de fournir régulièrement de l’information qui sera applicable aux sociétés fédérales aux termes du projet de loi C-19).

L’Alberta, le Yukon, les Territoires du Nord Ouest et le Nunavut n’ont pas encore adopté de dispositions législatives prévoyant l’obligation pour les émetteurs fermés de tenir un registre de la propriété effective.

Répercussions pour les émetteurs fermés (et autres) au Canada

Les émetteurs fermés régis par la LCSA devront bientôt présenter régulièrement à Corporations Canada les renseignements sur la propriété effective qui figurent dans leur RPCI. La date d’entrée en vigueur de cette exigence n’a pas encore été annoncée, et les principaux détails seront mis en œuvre au moyen de règlements qui n’ont pas encore été publiés. D’autres modifications à la LCSA visant à créer un registre public des renseignements sur la propriété effective des sociétés régies par la LCSA sont attendues plus tard cette année.

Avec l’adoption progressive par les provinces de registres de la propriété effective similaires, on assiste à l’émergence de la structure éventuelle d’un registre qui, à défaut d’être national, sera multilatéral : fédéral, provincial et territorial. Les préoccupations relatives à la protection de la vie privée et les considérations d’ordre pratique, notamment le fardeau administratif imposé aux organismes gouvernementaux et aux entités commerciales privées, détermineront vraisemblablement la mise en œuvre réelle à l’échelle du Canada des exigences relatives aux RPCI et de leur accès public.

Personnes-ressources

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