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Une pénalité imposée suite à l’application de la règle générale anti-évitement entrainera l’inéligibilité aux contrats publics au Québec

Auteurs : Louis-Martin O’Neill, Élisabeth Robichaud, Agnès Pignoly et Patrice Labonté

La Loi visant principalement à instituer le Centre d’acquisitions gouvernementales et Infrastructures technologiques Québec (la « Loi ») a été sanctionnée le 21 février 2020 par l’Assemblée nationale du Québec. Elle met en place au sein du processus d’approvisionnement gouvernemental des mesures visant à combattre les opérations d’évitement fiscal abusives. Ces nouvelles dispositions sont un incitatif additionnel pour les contribuables à être vigilants en vue de divulguer leurs transactions à l’Agence du revenu du Québec (l’« ARQ »). Il est attendu qu’elles auront une portée d’application large, nécessitant une attention particulière pour toute entreprise faisant affaire avec le Gouvernement du Québec.

Ces dispositions, qui avaient été annoncées lors du budget présenté le 21 mars 2019, prévoient qu’une entreprise sera inscrite pendant cinq ans au registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (le « RENA »), lorsque celle-ci ou une personne qui lui est liée aura fait l’objet d’une pénalité imposée suite à l’application de la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ »). Les entreprises peuvent éviter de se voir imposer une pénalité en vertu de la RGÉ (une « Pénalité RGAÉ »), et donc de se voir inscrire au RENA, en divulguant à l’avance certaines transactions à l’ARQ.

La Loi prévoit que les contribuables ont jusqu’au 21 avril 2020 pour faire une dénonciation tardive, dans certaines circonstances. Tel que mentionné ci-dessous, tout contribuable concerné a un intérêt à évaluer s’il se qualifie pour une dénonciation tardive et s’il est approprié d’en faire une dans les circonstances.

La pénalité imposée suite à l’application de la RGAÉ

Lorsqu’ils participent à une opération d’évitement fiscal considérée abusive, les contribuables sont susceptibles de se voir cotiser en vertu de la RGAÉ. Depuis 2009, la Loi sur les impôts du Québec prévoit que les contribuables cotisés en vertu de la RGAÉ encourent une pénalité, qui correspond depuis 2017 à 50 % de l’avantage fiscal supprimé. Une pénalité est également applicable aux promoteurs impliqués dans une telle opération. Dans l’un ou l’autre des cas, cette pénalité n’a pas d’équivalent au niveau fédéral.

Il est possible d’éviter la Pénalité RGAÉ pour toute opération spécifique en divulguant celle-ci, auprès de l’ARQ, dans la forme et selon les délais prescrits. Cette divulgation est obligatoire dans le cas de certains types d’opérations. Elle peut aussi être faite de façon préventive, par le contribuable qui a réalisé une opération ou par la personne membre de la société de personnes qui a réalisé une opération.

Les nouvelles dispositions

La Loi prévoit une série de modifications à la Loi sur les contrats des organismes publics (la « LCOP ») et aux lois fiscales québécoises ayant des conséquences sur l’éligibilité à contracter ou sous-contracter avec des organismes publics, en particulier :

  • Lorsqu’une Pénalité RGAÉ aura été cotisée à l’endroit d’une « entreprise » (personne morale, personne physique qui exploite une entreprise individuelle ou société de personnes) ou d’une personne qui lui est liée, cette entreprise ou la personne qui lui est liée sera réputée avoir été déclarée « coupable » d’une Pénalité RGAÉ.
  • Une personne sera réputée avoir été déclarée « coupable » lorsque les délais d’opposition ou d’appel de cette cotisation seront échus ou qu’un règlement définitif de la cotisation en opposition ou devant un tribunal compétent confirmera la pénalité.
  • Lorsqu’une entreprise ou une personne qui lui est liée sera réputée avoir été déclarée « coupable » d’une Pénalité RGAÉ, l’entreprise sera inscrite pendant cinq ans au RENA et deviendra automatiquement inéligible aux contrats publics pour cette période.
  • Le sens de « personne liée » pour ces dispositions doit s’interpréter selon la définition prévue à la LCOP, qui prévoit ce qui suit :
    • dans le cas d’une personne morale, les personnes qui lui sont liées sont ses administrateurs, ses autres dirigeants, de même que toute personne détenant des actions de son capital-actions qui lui confèrent au moins 50% des droits de vote; et
    • dans le cas d’une société de personnes, ses associés et ses autres dirigeants.
  • Dans le cas d’une Pénalité RGAÉ imposée à l’encontre d’un actionnaire qui est une « personne liée » à l’entreprise, l’inscription de celle-ci au RENA sera automatique. Dans le cas d’une Pénalité RGAÉ imposée à l’encontre de toute autre « personne liée » à l’entreprise, l’inscription de celle-ci au RENA ne sera effectuée que si la pénalité découle d’une opération mise en place dans le cadre de l’exercice des fonctions de cette personne au sein de l’entreprise.
  • Un renseignement contenu dans un dossier fiscal pourra désormais être communiqué par l’ARQ à l’Autorité des marchés publics (AMP), sans le consentement du contribuable.
  • L’AMP, qui gère le RENA, pourra y consigner tout renseignement relatif aux Pénalités RGAÉ ainsi reçu de l’ARQ et le considérer dans le cadre du renouvellement, de l’émission ou de la révocation d’une autorisation de contracter ou sous-contracter avec un organisme public.

Divulgations tardives

L’inéligibilité faisant suite à l’imposition d’une Pénalité RGAÉ ne s’appliquera qu’à l’égard d’une vérification ou d’une enquête de l’ARQ ou de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») ayant débuté après le 20 avril 2020.

Les nouvelles dispositions prévoient également une période transitoire jusqu’au 21 avril 2020 pour qu’un contribuable puisse effectuer une divulgation tardive portant sur une ou des opérations n’ayant pas déjà fait l’objet d’une divulgation, dans la mesure où l’on ne puisse raisonnablement considérer que le contribuable savait ou aurait dû savoir qu’il faisait l’objet d’une vérification ou d’une enquête de l’ARQ ou de l’ARC au moment de la divulgation, le cas échéant.

Impact des nouvelles dispositions

L’inéligibilité potentielle d’une entreprise aux contrats publics peut entrainer de lourdes conséquences économiques lorsqu’elle contracte de manière significative avec des organismes publics. Toute entreprise visée a donc intérêt à réviser ses opérations ayant des impacts fiscaux afin d’évaluer s’il est opportun d’effectuer, d’ici au 21 avril 2020, une divulgation tardive pour toute opération susceptible de faire l’objet d’une cotisation RGAÉ. À l’avenir, les contribuables contractant avec le gouvernement québécois devront par ailleurs être particulièrement vigilantes dans la mise en place de leurs opérations ayant des impacts fiscaux, puisque toute opération susceptible d’enclencher la RGAÉ pourrait potentiellement affecter leur habileté à poursuivre leurs activités en cas de défaut de divulgation dans la forme et selon les délais prescrits.

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