Bulletin

Éclaircissements de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario sur les comités spéciaux et l’information à communiquer à l’égard d’opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts : la transaction de sortie du marché de HBC – Partie II

Auteurs : Patricia L. Olasker et Veronika Stefanski

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a récemment publié les motifs de sa décision dans l’affaire concernant The Catalyst Group Inc., qui portait sur la proposition de sortie du marché de la Compagnie de la Baie d’Hudson (« HBC ») présentée par un groupe d’actionnaires majoritaires dirigé par le président du conseil exécutif de HBC, Richard Baker. La décision met en évidence les difficultés des relations entre les sociétés et leurs actionnaires importants et illustre la volonté de la Commission, précisée dans l’Avis multilatéral 61-302 du personnel des ACVM, d’examiner rigoureusement ce type d’opération.

La décision témoigne également du fait que la Commission fait un usage croissant – et ingénieux – de la divulgation obligatoire pour révéler un comportement qu’elle trouve préoccupant, mais qui ne constitue pas un acte illicite nécessitant une interdiction d’opérations sur valeurs.

Les motifs de la Commission confirment que pour ce qui est des opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important, elle examinera (i) la constitution et le mandat du comité spécial ainsi que la rigueur et l’indépendance de la procédure qu’il suit pour négocier et examiner une opération, et (ii) si cette procédure et d’autres facteurs importants pour les actionnaires minoritaires ont été communiqués de manière satisfaisante afin de permettre aux actionnaires de prendre une décision de vote éclairée.

Contexte

En février 2019, des représentants de HBC, dont M. Baker et d’autres membres de la direction, ont entamé des pourparlers avec des représentants du coentrepreneur européen de HBC, SIGNA, au sujet d’une éventuelle vente à SIGNA de la participation restante de HBC dans la coentreprise (la « vente des actifs »). Peu après, des discussions ont eu lieu entre M. Baker et des actionnaires de HBC détenant ensemble, avec M. Baker, 57,7 % des actions ordinaires de HBC en circulation (collectivement, les « actionnaires majoritaires ») concernant l’utilisation possible du produit de la vente des actifs pour financer en partie la sortie du marché de HBC. Selon la transaction de sortie du marché prévue, HBC allait racheter l’ensemble de ses actions ordinaires en circulation, autres que celles des actionnaires majoritaires, de sorte qu’à l’issue de cette transaction, HBC appartiendrait aux actionnaires majoritaires.

Le 27 mars 2019, M. Baker et d’autres membres de la direction ont informé l’administrateur indépendant principal de HBC, David Leith, du souhait de M. Baker d’étudier une proposition de transaction de sortie du marché avec les actionnaires majoritaires et du fait que la transaction de sortie du marché était subordonnée à la conclusion de la vente des actifs. M. Leith a consenti à ce que M. Baker partage certaines informations financières avec les autres actionnaires majoritaires aux fins de l’examen de la proposition de transaction de sortie du marché. De plus, M. Leith a consenti à ce que M. Baker retienne les services des conseillers juridiques antérieurs de HBC aux fins de l’évaluation initiale de la transaction de sortie du marché.

Peu après, le conseil d’administration de HBC (le « conseil ») a constitué un comité spécial d’administrateurs indépendants et lui a donné le mandat de superviser l’examen des options de HBC concernant la coentreprise avec SIGNA et certaines autres activités de HBC. À ce moment-là, le mandat du comité spécial ne comprenait pas expressément la proposition de sortie du marché. En avril et en mai 2019, le comité spécial a engagé des conseillers juridiques aux fins de la réception possible d’une proposition de sortie du marché et a tenu une réunion pour discuter de changements pouvant potentiellement être apportés à son mandat ainsi que de la nomination éventuelle de conseillers financiers et d’un évaluateur indépendant pour les besoins de la proposition. De plus, M. Baker a alors réitéré au conseil son souhait d’évaluer la possibilité d’une transaction de sortie du marché.

Le mandat du comité spécial n’a été étendu à l’étude d’une proposition de sortie du marché que le 9 juin 2019, trois jours après que le comité a reçu la lettre de proposition des actionnaires majoritaires et la version provisoire du communiqué de presse. Une fois l’étude du comité spécial terminée, le conseil a renoncé à l’accord moratoire imposé à l’un des actionnaires majoritaires potentiels afin de lui permettre de participer à la proposition de sortie du marché.

Le 10 juin 2019, HBC a annoncé la vente des actifs et quelques minutes plus tard, les actionnaires majoritaires ont annoncé leur proposition concernant la sortie du marché de HBC. De plus, les actionnaires majoritaires ont informé le comité spécial qu’aucun d’entre eux n’était intéressé par une solution de rechange qui entraînerait la vente de leurs participations dans HBC. À l’été 2019, The Catalyst Capital Group Inc. (« Catalyst ») a lancé une offre concurrente visant l’acquisition des actions de HBC.

En octobre 2019, HBC a annoncé qu’elle avait conclu une entente avec les actionnaires majoritaires en vue de la sortie du marché de HBC (la « transaction de sortie du marché »). Le 25 novembre 2019, HBC a déposé sa circulaire d’information en vue de l’assemblée extraordinaire des actionnaires convoquée aux fins du vote sur la transaction de sortie du marché. À la suite du rejet de l’offre de Catalyst par le comité spécial au motif qu’elle ne pouvait être réalisée sans l’appui des actionnaires majoritaires, Catalyst a entamé une procédure auprès de la Commission en vue de faire obstacle à la transaction de sortie du marché. Le 6 décembre 2019, le comité spécial a publié un communiqué de presse contenant des renseignements supplémentaires concernant le contexte de la vente des actifs et l’élaboration de la proposition initiale de sortie du marché.

Le 13 décembre 2019, la Commission a rendu une ordonnance provisoire reportant l’assemblée des actionnaires en vue du vote sur la transaction de sortie du marché jusqu’à la livraison par HBC à ses actionnaires d’une circulaire d’information modifiée donnant davantage de précisions sur le contexte de la transaction et la procédure d’approbation suivie par le conseil et le comité spécial.

Vous trouverez de plus amples renseignements sur les faits à l’origine du litige et les arguments présentés par les parties dans le premier bulletin de Davies à ce sujet.

Procédure du comité spécial

La Commission a jugé que la procédure suivie par HBC avait été affaiblie par la décision de M. Leith d’autoriser, de sa seule autorité, M. Baker à partager des renseignements confidentiels avec les actionnaires majoritaires, par le recours de M. Baker au service des conseillers juridiques antérieurs de HBC et par le fait que le comité spécial n’avait pas été doté des pouvoirs adéquats. De l’avis de la Commission, le lien réciproque entre la vente des actifs et la proposition de sortie du marché a créé un conflit d’intérêts qui ne pouvait être géré que par un comité spécial ayant le mandat d’examiner les deux opérations. La Commission a fait valoir que si le comité spécial avait reçu plus tôt un tel mandat, il aurait pu chercher à négocier :

  • l’échelonnement de l’annonce de la transaction de sortie du marché et de l’annonce de la vente des actifs, afin que les participants du marché aient plus de temps pour comprendre l’incidence de la vente des actifs sur la situation financière de HBC;
  • la renonciation à l’accord moratoire imposé à l’un des actionnaires majoritaires potentiels et les conditions qui seraient rattachées à cette renonciation;
  • la possibilité d’étudier des propositions supérieures.

Tout en reconnaissant que rien n’indiquait avec certitude que le comité spécial, si on n’avait pas tardé à lui confier un mandat exprès, aurait pu exercer son influence ou produire des résultats différents de façon à protéger davantage les actionnaires minoritaires, la Commission a demandé à HBC de donner dans sa circulaire modifiée des précisions sur les raisons et les conséquences de ce retard. Toutefois, la Commission a rejeté l’argument selon lequel les lacunes de la procédure suivie par le comité spécial étaient suffisantes pour déclarer une situation abusive nécessitant une interdiction d’opérations.

Irrégularités dans l’information communiquée

La Commission a constaté que HBC avait omis dans sa circulaire d’information des renseignements importants qu’elle aurait dû communiquer aux actionnaires. Après avoir examiné le communiqué de presse du 6 décembre, la déclaration sous serment de M. Leith et les éléments de preuve provenant du contre-interrogatoire de M. Leith, la Commission a conclu que la présentation des faits sur la mise en œuvre de la procédure du comité spécial et sur son mandat comportait des irrégularités. De plus, la Commission a pris connaissance de nouveaux renseignements importants révélés au cours de l’audience, notamment à l’égard de la participation directe de M. Baker à la négociation de la vente des actifs et de la préférence du comité spécial pour un délai plus long entre l’annonce de la vente des actifs et l’annonce de la proposition de sortie du marché. Par conséquent, la Commission a ordonné à HBC de modifier sa circulaire afin d’y concilier l’information donnée dans son communiqué de presse du 6 décembre et celle donnée par M. Leith dans sa déclaration sous serment et son témoignage.

Renseignements sur les avantages pour les initiés

La Commission a demandé à HBC de communiquer davantage de renseignements sur les avantages directs et indirects que ses administrateurs et dirigeants devaient tirer, sous la forme d’une rémunération incitative payable à la clôture, de la réalisation de la transaction de sortie du marché et sur les avantages dont les actionnaires majoritaires devaient bénéficier en raison de la structure fiscale proposée de la transaction de sortie du marché.

La Commission a souligné que les sommes versées à titre de rémunération incitative constituaient des renseignements importants que devaient prendre en considération les actionnaires minoritaires et que, aux fins de la négociation ou de la supervision de la négociation d’une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts important, le comité spécial devait être attentif à tous les facteurs influant sur la valeur, y compris la structure fiscale de l’opération. Étant donné le risque toujours présent, dans une opération donnant lieu à un conflit d’intérêts, que les intérêts des parties en situation de conflit soient favorisés au moment de structurer l’opération, notamment sur le plan fiscal, il est important que les avantages de la structure fiscale pour les parties en situation de conflit soient déclarés. Si le comité spécial est d’avis qu’il est nécessaire ou approprié que des avantages directs ou indirects soient conférés à certaines parties, il importe d’inclure les motifs à l’appui de cet avis dans la circulaire d’information.

Questions liées à l’évaluation

La Commission a critiqué les limites de l’évaluation immobilière obtenue par HBC pour sa propriété phare et l’effet de cette évaluation sur l’attestation d’équité et de valeur qu’a reçue le comité spécial aux fins de l’évaluation de la transaction de sortie du marché. La Commission a exigé davantage d’information sur les limites de la portée de l’évaluation immobilière en soulignant que le comité spécial avait imposé des scénarios d’évaluation à l’évaluateur et que celui-ci ne les avait donc pas sélectionnés lui-même de manière indépendante en fonction de son jugement professionnel et de ses propres évaluations. La Commission est arrivée à la conclusion qu’en raison du fait que le comité spécial s’était fié à l’évaluation immobilière, l’attestation d’équité et de valeur obtenue par HBC était également limitée et des renseignements supplémentaires devaient être donnés pour remédier à l’effet de l’évaluation immobilière sur l’attestation.

Points principaux à retenir

  • Dans cette décision, la Commission réitère les éclaircissements donnés dans l’Avis multilatéral 61-302 du personnel des ACVM concernant l’importance de suivre une procédure rigoureuse et de communiquer tous les renseignements nécessaires pour les opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important.
  • Les mesures qu’il convient de prendre pour gérer les conflits d’intérêts dès qu’ils surviennent comprennent les suivantes :
    • constituer dès le départ un comité spécial, [TRADUCTION] « avant la prise de décisions importantes et la renonciation à des droits », y compris à l’égard de la formation de groupes d’acquéreurs potentiels et du partage de renseignements confidentiels
    • assurer la participation active du comité spécial à la procédure d’évaluation et de négociation, sans ingérence ou influence inappropriée de la part des parties intéressées
    • consulter dès le départ des conseillers juridiques et financiers indépendants.
  • Il importe de communiquer aux actionnaires ce qui suit, notamment :
    • le fait que le comité spécial est autorisé à négocier les opérations ou à en superviser la négociation et à étudier des solutions de rechange;
    • une description exacte et complète de la procédure suivie par le conseil et le comité spécial et des arguments à l’appui d’une opération proposée, ainsi que tout autre renseignement important qui permettra aux actionnaires minoritaires de prendre une décision de vote éclairée;
    • la description des avantages dont bénéficieront les administrateurs et les dirigeants si l’opération est menée à terme.
  • En ce qui concerne les évaluations :
    • ni le comité spécial ni le conseil ne devrait imposer de limites à l’évaluation;
    • le comité spécial devrait vérifier le travail de l’évaluateur;
    • le comité spécial devrait s’assurer que l’évaluateur n’est l’objet d’aucune influence inappropriée.
  • Même si le Règlement 61-101 n’exige pas la constitution d’un comité spécial pour toutes les opérations visées par le Règlement, la décision rappelle aux émetteurs que s’ils constituent un comité spécial aux fins d’une opération comportant un important conflit d’intérêts, le comité sera assujetti aux mêmes exigences en matière de procédure et d’information que si sa constitution avait été prescrite par le Règlement. Il importe dans chaque cas de vérifier si des mesures efficaces ont été prises pour atténuer les risques pour les actionnaires minoritaires et pour permettre aux actionnaires de prendre une décision de vote éclairée.
  • La décision témoigne du fait que la Commission surveille de plus en plus activement la procédure suivie par les conseils d’administration et leurs prises de décision relativement aux opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts et, en même temps, démontre la retenue dont fait preuve la Commission à l’égard de l’exercice de son pouvoir d’imposer une interdiction d’opérations pour sanctionner des actes passés.

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