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Un bon principe juridique ayant mal tourné : la confusion persiste à l’égard du principe de l’importance relative dans les actions en responsabilité civile pour présentation inexacte des faits

L’article suivant a d’abord été publié dans notre Rapport de 2019 sur les marchés des capitaux canadiens.

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Les organismes de réglementation des valeurs mobilières étaient animés des meilleures intentions lorsqu’ils ont conçu la réglementation relative à la responsabilité civile quant aux obligations d’information sur le marché secondaire. Toutefois, la suite des choses ayant été laissée aux tribunaux sans la supervision de ces organismes, on se trouve maintenant en présence d’un enfant indiscipliné.

Les décisions rendues dans deux affaires récentes instruites par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, soit Wong v. Pretium Resources, 2017 ONSC 3361 (l’« affaire Wong ») et Paniccia v. MDC Partners Inc., 2018 ONSC 3470 (l’« affaire Paniccia »), ont accentué l’incertitude concernant le critère qu’il convient d’appliquer pour évaluer l’importance relative d’une information aux fins de l’autorisation de poursuivre selon les dispositions visant la responsabilité civile quant aux obligations d’information sur le marché secondaire de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « LVMO »). Les émetteurs doivent être conscients de cette incertitude créée par la jurisprudence et devraient jauger leurs décisions en matière de divulgation d’information en fonction tant du « critère de l’incidence sur le marché » énoncé dans la LVMO que du « critère de l’investisseur raisonnable », qui est un seuil moins élevé.

Wong : divulguer ou ne pas divulguer? Le critère de l’« investisseur raisonnable »

Dans l’affaire Wong, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé au demandeur l’autorisation de poursuivre la société minière canadienne Pretium Resources Inc. (« Pretium ») pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire selon l’article 138.3 de la LVMO.

Les allégations dans l’affaire Wong portaient sur la décision de Pretium de ne pas divulguer les préoccupations exprimées par un consultant externe au sujet de résultats défavorables obtenus suivant l’échantillonnage de minéraux au projet phare Brucejack de Pretium. Pretium était d’avis que les préoccupations exprimées par son consultant n’étaient pas fondées et que les résultats de l’échantillonnage de minéraux étaient inexacts. Elle a donc décidé de ne pas divulguer au marché les préoccupations du consultant lorsqu’elles ont été exprimées. Le demandeur a fait valoir que la non-divulgation par Pretium des préoccupations du consultant externe dans ses communiqués, ses déclarations de changement important et ses rapports de gestion publiés pendant la période concernée constituait une présentation inexacte des faits par omission.

Même si Pretium croyait véritablement que les préoccupations exprimées par son consultant externe n’étaient pas fondées, et qu’il a finalement été prouvé que Pretium avait raison, la Cour a conclu qu’il était raisonnablement possible que le demandeur obtienne gain de cause au moment du procès et, par conséquent, a accordé au demandeur l’autorisation de poursuivre1.

La Cour a conclu que les préoccupations exprimées par le consultant concernant les résultats de l’échantillonnage de minéraux constituaient des faits importants qui devaient être divulgués par Pretium dès leur formulation par le consultant. Pour évaluer l’importance relative alléguée des préoccupations du consultant, la Cour a appliqué le « critère de l’investisseur raisonnable » et conclu qu’un investisseur raisonnable aurait considéré les préoccupations du consultant comme un élément important de sa décision d’investir ou non dans Pretium, peu importe le point de vue de la société. Fait déterminant, pour en arriver à sa conclusion quant à l’importance relative, la Cour a appliqué le critère de l’investisseur raisonnable sans tenir compte, comme il se doit, du critère pertinent prévu par la LVMO, à savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que l’information ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières de la société (c’est-à-dire, le « critère de l’incidence sur le marché »).

En ne prenant pas en considération l’incidence (le cas échéant) de la non-divulgation sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières de Pretium, la Cour s’est écartée du critère objectif de l’incidence sur le marché prévu par la LVMO au profit d’un critère constituant un seuil moins élevé pour déterminer l’importance relative de l’information en question.

Paniccia : sur les traces de Wong

Dans l’affaire Paniccia, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a suivi l’exemple de l’affaire Wong et a appliqué le critère de l’investisseur raisonnable, plutôt que le critère de l’incidence sur le marché prévu par la LVMO, pour déterminer l’importance relative des prétendues présentations inexactes de faits aux fins d’une demande d’autorisation de poursuivre selon les dispositions visant la responsabilité civile quant aux obligations d’information sur le marché secondaire de la LVMO.

Le demandeur dans l’affaire Paniccia alléguait que les documents d’information continue du défendeur, MDC Partners Inc. (« MDC »), contenaient de nombreux exemples de présentation inexactes des faits, dont les suivants :

  • MDC n’avait pas divulgué le fait que la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États-Unis l’avait assigné à comparaître;
  • MDC n’avait pas divulgué le fait qu’elle avait constitué un comité spécial chargé de procéder à un examen interne de ses contrôles internes de l’information financière; et
  • MDC n’avait pas divulgué avec exactitude la rémunération de son chef de la direction.

La Cour a rejeté la requête en autorisation de poursuivre du demandeur au motif que celle-ci présentait un « défaut fondamental », à savoir qu’aucune des présumées présentations inexactes de faits n’était importante.

Pour établir l’importance relative, la Cour a examiné individuellement les éléments qui ne faisaient pas partie de l’information divulguée par MDC pour déterminer s’il s’agissait de faits importants, et dont l’omission entraînerait une présentation inexacte des faits au sens des dispositions concernant la responsabilité civile de la LVMO. La Cour a examiné le droit en matière d’importance relative et la définition de fait important selon la LVMO et, ce faisant, a reconnu à juste titre que la définition de fait important englobe tout « fait dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur de […] valeurs mobilières » d’un émetteur (le critère de l’incidence sur le marché). Toutefois, la Cour a également cité la décision dans l’affaire Wong à l’appui de la proposition selon laquelle un fait peut être considéré comme important [TRADUCTION] « s’il existe une probabilité marquée que l’investisseur raisonnable l’estimerait important au moment de décider d’investir ou non et à quel prix » (le critère de l’investisseur raisonnable).

Même si la Cour a reconnu que le critère à l’aune duquel l’importance relative doit être déterminée, selon la LVMO, est le critère de l’incidence sur le marché, on peut soutenir qu’elle s’en est écartée en appliquant le critère de l’investisseur raisonnable pour conclure que les présumées présentations inexactes de faits n’étaient pas importantes. Heureusement pour MDC, l’application du critère de l’investisseur raisonnable au détriment du critère de l’incidence sur le marché prévu par la LVMO pour déterminer l’importance relative n’a pas eu d’effet sur l’issue de l’affaire.

Des éléments à considérer

Le point capital soulevé dans l’affaire Wong et l’affaire Paniccia est que, en ce qui concerne l’importance relative, le critère de l’investisseur raisonnable établit un seuil moins élevé que le critère de l’incidence sur le marché. Ainsi, il est possible qu’un investisseur raisonnable, au moment de prendre une décision de placement, considère comme importante une information dont il est raisonnable de s’attendre qu’elle n’aurait pas d’effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières de l’émetteur en question. La Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé cette différence critique entre les deux critères dans Cornish v. Ontario Securities Commission, 2013 ONSC 1310.

La solution serait peut-être que les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières interviennent dans les causes de responsabilité civile sur le marché secondaire pour aider à ramener cet enfant indiscipliné sur le chemin initialement tracé. D’ici là, les émetteurs devraient prendre en considération l’affaire Wong et l’affaire Paniccia pour s’assurer que l’information qu’ils divulguent respecte à la fois le critère de l’incidence sur le marché, prévu par la loi, et le critère de l’investisseur raisonnable, seuil inférieur préconisé par les tribunaux.

De plus, il importe que les émetteurs canadiens soient conscients de ce qui suit :

  • au moment d’évaluer l’importance relative, les tribunaux ne s’en remettront pas à l’appréciation professionnelle des dirigeants pour déterminer si la divulgation publique est requise;
  • l’importance relative n’est pas évaluée rétrospectivement. Comme le démontre l’affaire Wong, le fait qu’il soit ultérieurement déterminé qu’un émetteur avait raison peut ne pas constituer un facteur déterminant devant être pris en considération dans l’évaluation de l’importance relative de l’information au moment applicable;
  • la LVMO a pour objectif principal la protection des investisseurs, et l’application du droit en ce qui concerne l’importance relative sera considérée sous cet angle.

1 Pour déterminer s’il autorisera ou non un demandeur à intenter une action pour présentation inexacte des faits en vertu du paragraphe 138.8(1) de la LVMO, le tribunal examine le bien-fondé de la cause du demandeur et évalue s’« il est raisonnablement possible que l’action soit réglée au moment du procès en faveur du demandeur ».

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