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L’attestation d’équité à la suite de l’affaire InterOil: l’usage dans le marché

L’article suivant a d’abord été publié dans notre Rapport de 2019 sur les marchés des capitaux canadiens.

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Au Canada, l’usage en matière d’attestations d’équité dans les opérations de fusions et d’acquisitions continue d’évoluer à la suite de la décision de la Cour d’appel du Yukon de 2016 dans l’affaire InterOil Corporation v. Mulacek. Dans cette décision, la Cour d’appel du Yukon a empêché l’acquisition d’InterOil Corporation par ExxonMobil selon un plan d’arrangement au motif que l’arrangement n’était ni équitable ni raisonnable pour les parties dont les intérêts étaient visés par celui-ci, en raison en partie des lacunes de l’attestation d’équité qu’avait obtenue le conseil d’administration d’InterOil. Par la suite, la Cour suprême du Yukon a approuvé la deuxième tentative d’acquisition d’InterOil par ExxonMobil selon un plan d’arrangement, après que le conseil d’administration d’InterOil eut obtenu une attestation d’équité solide et détaillée. En dépit des nombreuses analyses formulées à la suite de la décision InterOil, les incidences de cette dernière ne sont toujours pas parfaitement claires deux ans plus tard. Par conséquent, les émetteurs et leurs conseillers financiers continuent de devoir mettre en balance l’intérêt de présenter une attestation d’équité détaillée aux actionnaires et les coûts d’une divulgation plus poussée, compte tenu des circonstances particulières de chaque opération.

La ligne de conduite suivie au Canada

Au Canada, même si la loi n’exige pas la production d’une attestation d’équité pour une opération d’acquisition, une telle attestation est produite dans presque tous les cas où l’opération est appuyée par le conseil d’administration. Ce dernier demande habituellement à un conseiller financier de produire une attestation d’équité contribuant à démontrer qu’il s’est acquitté de ses obligations fiduciaires lorsqu’il a approuvé l’opération.

Contrairement aux États-Unis où, en général, la ligne de conduite des émetteurs a été de présenter une description détaillée de l’analyse financière sur laquelle repose l’attestation d’équité, au Canada, avant la décision dans l’affaire InterOil, on se limitait à obtenir une attestation sommaire, sans description de l’analyse financière sous-jacente. De plus, en général, le conseiller financier qui produit l’attestation reçoit en contrepartie une rémunération au résultat. Les informations concernant l’analyse financière sous-jacente n’ont été fournies que dans le contexte d’opérations visées par le Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières (la Norme multilatérale 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières dans les provinces autres que le Québec) (le « Règlement 61-101 »), qui exige l’obtention d’une évaluation officielle réalisée par un évaluateur indépendant dans certaines circonstances ainsi que la présentation d’informations connexes.

Les autorités judiciaires et de réglementation s’étaient penchées sur la question de l’usage des attestations d’équité dans le marché avant la décision InterOil. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO »), dans sa décision de 2009 sur l’opération proposée entre Hudbay Minerals Inc. et Lundin Mining Corporation, avait conclu qu’une attestation d’équité préparée par un conseiller financier recevant une rémunération au résultat n’aidait pas les administrateurs à démontrer qu’ils se conformaient à leurs obligations fiduciaires1.

L’année suivante, la CVMO est intervenue dans la restructuration du capital de Magna International Inc. (« Magna ») dans des circonstances où, notamment, l’émetteur n’avait pas obtenu d’attestation d’équité. La CVMO a exigé que Magna transmette plus de renseignements à ses actionnaires, y compris des précisions sur l’analyse financière de l’opération sous-jacente obtenue de ses conseillers financiers2.

En 2014, la Cour supérieure de l’Ontario a remis en question l’usage courant des attestations d’équité en refusant d’admettre en preuve l’attestation déposée par Champion Iron Mines Limited au motif que celle-ci ne présentait aucune analyse financière significative3. Toutefois, dans deux décisions ultérieures concernant les affaires Re Bear Lake Gold Ltd. et Re Patents Royal Host Inc., les tribunaux de l’Ontario ont conclu qu’il n’y avait pas lieu de procéder autrement que selon l’usage courant dans le cas d’opérations non contestées4.

La norme InterOil

En 2016, ExxonMobil a convenu d’acquérir InterOil selon un plan d’arrangement régi par le Yukon. Le conseil d’administration d’InterOil a approuvé l’opération après avoir obtenu une attestation d’équité sommaire, conforme à l’usage du marché, auprès d’une grande banque d’affaires qui devait être rémunérée au résultat.

Même si l’arrangement avait été approuvé par plus de 80 % des actionnaires, la Cour d’appel du Yukon (composée de juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique) a jugé qu’il n’était ni équitable ni raisonnable, en partie à cause des lacunes de l’attestation d’équité sur laquelle le conseil d’administration d’InterOil avait fondé sa décision. Parmi les autres « signaux d’alarme » déclenchés par le processus d’approbation du conseil d’administration, la Cour a mentionné le fait que le conseiller financier ayant dressé l’attestation d’équité soit rémunéré au résultat, que le montant exact de sa rémunération au résultat ne soit pas divulgué et que l’attestation d’équité incluse dans la note d’information ne comprenne pas l’analyse financière sous-jacente du conseiller financier.

InterOil a poursuivi l’opération et, en fin de compte, a versé 4 millions de dollars américains pour obtenir une attestation d’équité détaillée auprès d’un conseiller financier indépendant moyennant des honoraires fixes. La note d’information établie à l’occasion de la deuxième tentative de réalisation de l’opération contenait des renseignements détaillés sur l’évaluation d’InterOil et la contrepartie payable aux actionnaires selon les modalités de l’arrangement, ainsi que les méthodes employées par le conseiller financier et une analyse de valeur. La Cour suprême du Yukon a approuvé l’opération retravaillée et ainsi donné son aval à l’établissement d’une nouvelle norme minimale selon laquelle les plans d’arrangement doivent s’appuyer sur une attestation d’équité détaillée obtenue moyennant des honoraires fixes.

Avis 61-302 du personnel des ACVM

Le 27 juillet 2017, le personnel de cinq des autorités de réglementation des valeurs mobilières provinciales du Canada a publié l’Avis multilatéral 61-302 du personnel des ACVM (l’« Avis »)5, dans lequel il précise ses attentes concernant le rôle du comité spécial dans les « opérations donnant lieu à un conflit d’intérêts important » et décrit les obligations d’information liées aux attestations d’équité.

L’avis confirme que le conseil d’administration et le comité spécial ont le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il y a lieu ou non d’obtenir une attestation d’équité et de fixer les modalités de la rémunération du conseiller financier produisant l’attestation. Toutefois, l’avis stipule que lorsqu’une attestation d’équité est obtenue, la note d’information doit inclure des renseignements sur :

  • les modalités de la rémunération du conseiller financier et son examen par le conseil ou le comité spécial
  • toute autre relation ou entente entre le conseiller financier et l’émetteur ou une partie intéressée qui pourrait influer sur l’indépendance de l’attestation
  • un résumé de la méthode employée et de l’information et de l’analyse sous-jacentes à l’avis
  • la pertinence de l’attestation d’équité pour le conseil et le comité spécial.

Contrairement aux tribunaux du Yukon dans les décisions concernant l’affaire InterOil, le personnel des ACVM n’exige pas dans son avis une rémunération fixe pour le conseiller financier qui dresse l’attestation d’équité ni la divulgation du montant exact de sa rémunération.

Tendances sur le marché à la suite de l’affaire InterOil

La série de décisions dans l’affaire InterOil ne tient pas compte de la législation s’appliquant aux attestations d’équité de territoires canadiens autres que le Yukon et la Colombie-Britannique; toutefois, dans l’ensemble du Canada, l’usage tend vers une divulgation élargie de l’analyse financière sous-jacente aux attestations d’équité. Les conseillers financiers devraient être prêts à produire une attestation d’équité comprenant au moins des précisions sur la méthode d’évaluation utilisée pour toute opération faisant l’objet d’une telle attestation.

De plus, depuis l’affaire InterOil, on remarque sur le marché une légère réorientation vers les ententes de rémunération à honoraires fixes. La majorité des arrangements d’une valeur supérieure à 100 millions de dollars canadiens ont été l’objet d’au moins une attestation d’équité produite en contrepartie d’honoraires fixes. Cependant, une grande majorité d’émetteurs continuent de choisir de ne pas divulguer le montant des honoraires versés aux conseillers financiers.

Dans le cas d’opérations pour lesquelles une évaluation officielle telle que prévue par le Règlement 61-101 n’était pas requise, mais pour lesquelles une attestation d’équité a tout de même été présentée, l’usage tend vers la divulgation dans l’attestation de précisions supplémentaires sur la méthode employée par le conseiller financier. De telles attestations d’équité détaillées ont été obtenues pour la majorité des opérations examinées.

Il existe plusieurs exemples d’émetteurs qui se sont écartés de la norme d’information fixée à la suite de l’affaire InterOil et qui ont plutôt produit une forme « hybride » d’information précisant la méthode d’évaluation employée par le conseiller financier sans toutefois divulguer l’analyse financière détaillée sous-jacente à l’attestation d’équité. Par exemple, lors de l’acquisition de TIO Networks par PayPal, en 2017, l’attestation d’équité obtenue par TIO Networks contenait une description détaillée des méthodes employées par le conseiller financier, mais ne comprenait pas une analyse de valeur du type de celle recommandée à la suite de l’affaire InterOil. Une ligne de conduite semblable a été suivie en 2018 pour les opérations d’acquisition de Klondex Mines Ltd. par Hecla Mining Company et de Primero Mining Corp. par First Majestic Silver Corp. Étant donné les coûts supplémentaires qu’engendre la production d’une information détaillée et d’une deuxième attestation d’équité, nous nous attendons à ce que de nombreux émetteurs privilégient ce niveau d’information médian pour les opérations non contestées.

À retenir

Le niveau d’information optimal d’une attestation d’équité et la structure de rémunération appropriée continuent de dépendre des circonstances particulières de l’opération, dont l’existence perçue d’un conflit, la solidité du processus d’approbation du conseil d’administration, le territoire de compétence de l’émetteur et la probabilité d’une contestation de la part d’un actionnaire ou d’une offre de la part d’un « intrus ».

Dans le cas d’opérations non contestées, il n’est peut-être pas nécessaire de se procurer une attestation d’équité détaillée par un conseiller financier indépendant en contrepartie d’honoraires fixes. Il est généralement recommandé de veiller à la transparence de la structure de rémunération du conseiller financier (sans nécessairement préciser le montant de la rémunération). Dans chaque cas, la question pertinente est de savoir si l’information présentée aux actionnaires est juste et appropriée afin de leur permettre de prendre une décision de vote éclairée.

1 Re Hudbay Minerals Inc., 32 O.S.C.B. 1082, para 264.

2 Re Magna International Inc. (motifs de la CVMO); Re Magna International Inc., 2010 ONSC 4123.

3 Re Champion Iron Mines Limited, 2014 ONSC 1988, para 17.

4 Re Bear Lake Gold Ltd., 2014 ONSC 3428, para 16; Re Patents Royal Host Inc., 2014 ONSC 3323.

5 Voir l’Avis multilatéral 61-302 du personnel des ACVM, Examen du personnel et commentaires sur le Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières. Voir les sous-titres « Conseillers financiers et attestations d’équité » et « Attestations d’équité ». Cet Avis a été publié par le personnel des organismes de réglementation des valeurs mobilières de l’Ontario, du Québec, de l’Alberta, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick.

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