Bulletin

Les propositions d’actionnaire demandant l’adoption d’un règlement sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs : une nouvelle tendance?

Auteurs : Melanie A. Shishler et Jennifer F. Longhurst

Les actionnaires de La Banque Toronto-Dominion (la « Banque TD ») ont écrit une page d’histoire hier lorsqu’ils ont approuvé, à une faible majorité, une proposition d’actionnaires demandant au conseil d’administration de prendre les mesures nécessaires afin d’adopter un règlement administratif portant sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs. Cette proposition, qui reprend les termes d’une proposition analogue soumise par le même actionnaire à la Banque Royale du Canada (la « Banque Royale »), est la première du genre à avoir été présentée au Canada. Les règlements administratifs sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs bénéficient déjà d’un vaste appui aux États-Unis; maintenant que des propositions en ce sens ont été soumises à la Banque Royale et à la Banque TD, les émetteurs canadiens feraient bien de s’attendre à ce que leurs actionnaires leur soumettent à leur tour (de manière officielle ou officieuse) des propositions prônant la mise en œuvre d’une forme ou d’une autre de mesure permettant aux actionnaires de proposer des candidats à des postes d’administrateur. Les sociétés constituées sous le régime de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO ») pourraient par ailleurs voir le droit des actionnaires de proposer des candidats à des postes d’administrateur être enchâssé dans la LSAO.

Propositions sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs et perspectives

Les propositions demandant l’adoption d’un règlement administratif sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs ont été soumises par un résident de la Nouvelle-Écosse qui est actionnaire de la Banque TD et de la Banque Royale, et ces dernières les ont incluses dans leur circulaire de sollicitation de procurations respective. Le règlement proposé, qui s’apparente à ceux qu’on trouve habituellement aux États-Unis, prévoit les modalités suivantes :

  • fixer à 3 % le pourcentage d’actions ordinaires en circulation de la banque dont l’actionnaire doit être propriétaire pour pouvoir proposer des candidats aux postes d’administrateur;
  • fixer à trois ans la période pendant laquelle un actionnaire doit avoir été propriétaire d’actions ordinaires en circulation de la banque avant de pouvoir proposer des candidats aux postes d’administrateur (par contraste, la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance (la « Coalition ») ne préconise aucune période de détention minimale dans ses recommandations de norme relative au droit des actionnaires de proposer des candidats aux postes d’administrateur);
  • limiter au quart des administrateurs en fonction le nombre maximal de candidatures que peut proposer un actionnaire;
  • imposer l’utilisation d’un formulaire de procuration universel sur lequel sont inscrits les candidats proposés par l’actionnaire et ceux proposés par la banque; et
  • permettre à l’actionnaire concerné de soumettre une déclaration d’au plus 500 mots à l’appui de chacune des candidatures qu’il propose et rendre obligatoire l’inclusion de celle-ci dans la circulaire de sollicitation de procurations de la banque.

Les conseils d’administration de la Banque TD et de la Banque Royale ont tous deux recommandé aux actionnaires de voter contre les propositions, invoquant à l’appui de cette recommandation un certain nombre de raisons, dont le fait que les propositions sont calquées sur l’approche américaine en matière d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs et ne tiennent pas compte des droits équivalents dont disposent déjà les actionnaires canadiens en vertu des lois applicables qui régissent les banques et les sociétés au Canada, droits qui ne sont habituellement pas prévus par les lois des États américains qui régissent les sociétés (à savoir, le droit de proposer des candidats aux postes d’administrateur et celui d’exiger la convocation d’une assemblée des actionnaires, dont il est question ci-après).

Malgré la recommandation défavorable du conseil d’administration de la Banque TD, la proposition relative à l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs a néanmoins été adoptée à une faible majorité, soit 52,2 %, à l’assemblée annuelle des actionnaires qui s’est tenue hier. Les actionnaires de la Banque Royale seront appelés à voter sur la proposition analogue qui leur est soumise à l’assemblée annuelle qui se tiendra le 6 avril 2017. L’agence de conseil en vote, Institutional Shareholder Services (l’ « ISS »), s’est prononcée en faveur de ces propositions, à l’instar de certains des principaux investisseurs institutionnels.

La Banque TD et la Banque Royale ont toutes deux annoncé leur intention de différer leur décision quant aux éventuelles modalités et à l’éventuelle mise en œuvre d’un règlement administratif sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs. Avant la tenue de leur assemblée des actionnaires, elles ont déclaré publiquement qu’elles avaient pris part, avec la Coalition, à des discussions sur le régime canadien d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs, et ce avant même de recevoir les propositions d’actionnaires, et que, par conséquent, elles savaient que certains actionnaires appuient le principe de l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs, mais qu’elles souhaitaient se pencher plus avant sur les modalités dont cet accès devrait être assorti. La Banque TD et la Banque Royale ont réitéré leur engagement à maintenir un dialogue ouvert avec les parties prenantes au cours de l’année qui vient et à examiner les modalités améliorées d’un régime d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs qui pourraient convenir à leur situation. Elles feront état de leurs conclusions respectives aux actionnaires dans leur circulaire de sollicitation de procurations respective de 2018.

Contexte de l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs au Canada et aux États-Unis

Question de gouvernance maintes fois soulevée au Canada et aux États-Unis ces dernières années, l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs recueille maintenant un appui significatif au sud de la frontière. Au terme de la saison des circulaires de sollicitation de procurations de 2016, la majorité des émetteurs américains qui font partie de l’indice S&P 500 avaient adopté un règlement administratif sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs. Pourtant, avant la Banque TD et la Banque Royale, aucun émetteur canadien n’avait reçu de proposition d’actionnaires demandant l’adoption d’un tel règlement, ni n’en avait adopté.

Bien au contraire, depuis que la Coalition a publié, en mai 2015, un énoncé de politique proposant une norme canadienne d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs1, à laquelle elle encourageait les sociétés ouvertes canadiennes à adhérer, le débat au Canada a surtout porté sur la question de savoir s’il est vraiment nécessaire ou souhaitable d’engager les sociétés canadiennes sur cette voie et, en admettant que ce soit le cas, sur les modalités dont devrait être assorti l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs. Certains investisseurs institutionnels et la Coalition font valoir que le droit de proposer directement des candidats aux postes d’administrateur fait partie intégrante du droit des actionnaires d’élire les administrateurs de la société et que l’apport des actionnaires dans le processus de mise en candidature servirait aussi bien la démocratie actionnariale que les sociétés. D’autres toutefois remettent en question la nécessité même d’adopter de tels règlements au Canada. Le régime juridique du Canada diffère de celui des États-Unis et la plupart des lois canadiennes qui régissent les sociétés comprennent déjà certaines dispositions permettant de proposer la candidature d’administrateurs. Par exemple, la plupart de ces lois permettent aux actionnaires qui détiennent un certain pourcentage d’actions comportant droit de vote (habituellement 5 %) de soumettre, pour inclusion dans la circulaire de sollicitation de procurations de l’émetteur, une proposition recommandant la candidature d’administrateurs de leur choix, ou encore d’exiger la convocation d’une assemblée des actionnaires à laquelle ils pourront proposer des candidats aux postes d’administrateur. Nombreux sont ceux également qui font état des différences importantes entre les marchés canadien et américain, dont la taille plus modeste du marché canadien, la capitalisation boursière moins élevée des émetteurs canadiens et le fait que les actions des émetteurs canadiens sont souvent moins liquides – différences qui ont toutes pour effet d’amplifier l’influence qu’exercent les investisseurs institutionnels au Canada et, si l’on tient compte des autres droits que les lois confèrent aux actionnaires, d’éliminer le besoin d’un régime d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs.

On trouvera des informations complémentaires sur ce sujet, sur les propositions d’actionnaires et sur les autres tendances et questions d’actualité en matière de gouvernance au Canada dans le Rapport de Davies sur la gouvernance 2016.

Les émetteurs canadiens doivent s’attendre à plus de propositions et d’initiatives sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs

Bien que les conseils d’administration n’aient pas l’obligation de mettre en œuvre les propositions d’actionnaires, même lorsque celles-ci ont été adoptées à la majorité, il serait périlleux de sous-évaluer l’importance que revêt en pratique l’adoption de la toute première proposition sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs1 par les actionnaires de la Banque TD (et peut-être de la deuxième par les actionnaires de la Banque Royale la semaine prochaine). Ainsi que nous l’avons indiqué, nous prévoyons que d’autres émetteurs canadiens, et pas seulement les banques, auront à composer avec des propositions de ce type au cours de la saison des procurations de 2018, voire plus tôt si ces émetteurs n’ont pas encore convoqué et tenu leur assemblée de 2017. Les sociétés canadiennes doivent s’attendre à ce que les actionnaires soient plus actifs sur la question de l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs.

Le Projet de loi 101 intitulé Loi modifiant la Loi sur les sociétés par actions en ce qui concerne les assemblées des actionnaires, l’élection des administrateurs et l’adoption d’une politique de rétribution des hauts responsables (Projet de loi 101) pourrait bientôt enchâsser dans la LSAO le droit de proposer des candidats à un poste d’administrateur. S’il est adopté, le Projet de loi 101, qui a récemment passé l’étape de la deuxième lecture à l’Assemblée législative de l’Ontario, entraînera la modification de la LSAO de manière à permettre aux détenteurs inscrits ou aux propriétaires véritables détenant au moins 3 % des actions ou 3 % des actions d’une catégorie ou série donnant le droit de voter à une assemblée, de proposer la candidature d’un seul particulier en vue de son élection comme administrateur. La société qui reçoit une telle proposition devra inclure le nom du candidat proposé par l’actionnaire dans son formulaire de procuration, et les actionnaires présents à l’assemblée des actionnaires pourront choisir parmi eux un président. Le Projet de loi 101 propose également de faire passer de 5 % à 3 % le seuil de détention d’actions à partir duquel les actionnaires peuvent exiger la convocation d’une assemblée.

Curieusement, le Projet de loi C-25 visant à modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») qui a été déposé en 2016 et a maintenant passé l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes, ne comprend aucune disposition élargissant les droits relatifs à la mise en candidature d’administrateurs. Le droit de présenter une proposition d’actionnaires et celui d’exiger la convocation d’une assemblée demeureraient assujettis à l’actuel seuil de détention, soit 5 % des actions comportant droit de vote. Comme près de la moitié des grandes sociétés ouvertes du Canada ont été constituées sous le régime de la LCSA, les modifications apportées à la LSAO ainsi que les différentes démarches des actionnaires pour forcer les sociétés à adopter un règlement administratif sur l’accès au processus de mise en candidature des administrateurs pourraient être prématurées. Elles pourraient entre autres entraîner des discordances, notamment au chapitre des droits des actionnaires, entre les sociétés ouvertes du Canada.

1Politique de la Coalition, « Shareholder Involvement in the Director Nomination Process: Enhanced Engagement and Proxy Access », mai 2015. Selon la norme d’accès au processus de mise en candidature des administrateurs que recommande la Coalition, les actionnaires détenant 5 % ou 3 % (selon la capitalisation boursière de la société) des actions en circulation de la société pourraient proposer la candidature d’administrateurs et les renseignements s’y rapportant devraient figurer dans les documents de sollicitation de procurations de la société, pourvu que l’actionnaire demeure détenteur du nombre requis d’actions jusqu’à la tenue de l’assemblée. Aucune autre période de détention n’est recommandée. Le nombre maximal de candidats aux postes d’administrateur que peut proposer un actionnaire est limité à trois ou, s’il est inférieur, au nombre qui correspond à 20 % du nombre d’administrateurs.

Personnes-ressources

Connexe