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Les sociétés ouvertes et les obligations d’information à l’ère des médias électroniques : perspective canadienne

Auteurs : Jennifer Prieto et James R. Reid

Le prochain gazouillis ou message de votre entreprise sur les réseaux sociaux pourrait-il être diffusé en violation de la réglementation en valeurs mobilières du Canada? Selon le rapport publié par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») à la suite de l’examen des pratiques entourant l’utilisation des médias sociaux qu’ont effectué les autorités de règlementation en Alberta, en Ontario et au Québec, la réponse pourrait bien être « oui ».

Les médias sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram sont un outil de plus en plus prisé par les entreprises pour entrer en contact avec un large éventail de public. Les sociétés ouvertes qui utilisent les médias sociaux doivent toutefois s’assurer que, ce faisant, elles ne contreviennent pas aux obligations d’information qui leur incombent en vertu de la législation en valeurs mobilières et des règles des bourses de valeurs, par exemple en publiant des messages promotionnels qui transmettent malencontreusement de l’information importante aux investisseurs ou des messages émanant de dirigeants technophiles qui transmettent de l’information sélective de nature commerciale aux gens qui les suivent sur les médias sociaux.

Dans le cadre de l’examen qu’il a mené et qui fait l’objet de l’Avis 51-348 publié le 9 mars 2017, le personnel des ACVM a examiné l’information fournie sur les médias sociaux par 111 émetteurs assujettis qui n’étaient pas des fonds d’investissement. L’examen a révélé que 72 % des émetteurs assujettis faisant partie de ce groupe utilisaient activement au moins un des médias sociaux, et que 30 % d’entre eux ont pris des mesures pour améliorer leur communication d’information en réaction aux problématiques soulevées par les autorités de réglementation. Dans la plupart des cas où des incohérences entre l’information publiée et certaines obligations prévues par la législation en valeurs mobilières ont été identifiées, les émetteurs ont convenu de déposer des documents de clarification, de supprimer l’information problématique des médias sociaux ou d’améliorer leurs pratiques ou politiques de communication de l’information. Dans le cas de quatre émetteurs, la communication d’information non conforme ou sa correction ultérieure s’est traduite par une variation moyenne de 26 % du cours de l’action.

Voici les préoccupations particulières des autorités de réglementation et leurs attentes en matière de communication de l’information :

  • La communication sélective ou prématurée d’information. L’information importante doit d’abord être communiquée au public, c’est-à-dire diffusée de façon à atteindre les participants du marché dans leur ensemble. La diffusion d’information importante sur les médias sociaux ne satisfait pas à cette exigence.
  • La communication d’information partiale ou trompeuse. L’information communiquée par les émetteurs doit exposer les faits en toute impartialité, être dénuée d’observations d’ordre promotionnel, accorder la même importance aux bonnes et aux mauvaises nouvelles, donner suffisamment de précisions pour permettre aux investisseurs de comprendre la substance et l’importance du changement annoncé, et être cohérente avec l’information qui a été communiquée auparavant dans les documents qui ont été déposés auprès des autorités de réglementation.
  • L’insuffisance de politiques de gouvernance. Les émetteurs assujettis devraient appliquer à l’égard de l’information qu’ils diffusent sur les médias sociaux les politiques, les procédures et les contrôles qu’ils ont mis en place pour l’information qu’ils fournissent dans les documents règlementaires.

Ces observations sont fondées sur les règlements et les lignes directrices en matière de communication de l’information qui s’appliquent au Canada, notamment l’Instruction générale 51-201, Lignes directrices en matière de communication de l’information et le Règlement 51-102 sur les obligations d’information continue et, dans le cas des émetteurs dont les titres sont inscrits à la cote de la Bourse de Toronto (la « TSX »), les dispositions concernant l’information occasionnelle du Guide à l’intention des sociétés de la TSX et les Principes directeurs – Communications par moyens électroniques publiés par la TSX. La décision des autorités canadiennes de réglementer l’utilisation des médias sociaux au moyen de ces règlements et instructions d’application générale contraste avec le régime plus élaboré et ciblé en vigueur aux États-Unis, appelé Regulation Fair Disclosure (le « Reg FD »).

Même s’il existe des différences entre le régime canadien et le régime américain, les sociétés canadiennes ne devraient pas oublier ce qui s’est produit en 2012 lorsque le chef de la direction de Netflix a indiqué sur Facebook que le temps de visionnement de la programmation offerte par Netflix avait dépassé le milliard d’heures au cours du mois de juin. Le cours des actions de Netflix avait augmenté de 5,2 % ce jour-là et la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») avait émis un avis, connu sous le nom de « Wells Notice », indiquant qu’elle était d’avis que l’acte répréhensible était suffisamment grave pour donner ouverture à des poursuites civiles. La SEC laissait ainsi sous-entendre que le message publié sur Facebook comportait de l’information importante et ne respectait pas l’exigence selon laquelle ce type d’information doit être communiquée simultanément à l’ensemble des investisseurs.

Afin d’éviter pareilles bévues, les sociétés canadiennes qui sont des émetteurs assujettis devraient revoir leurs politiques de communication de l’information et tenir compte des recommandations suivantes :

  1. Politique concernant les médias sociaux. Les émetteurs devraient se doter d’une politique de communication de l’information qui régit de façon adéquate l’utilisation des médias sociaux. Selon le rapport des ACVM, 77 % des émetteurs n’avaient pas de politiques ni de procédures particulières pour promouvoir la gouvernance interne et la conformité à la législation en valeurs mobilières lors de l’utilisation des médias sociaux.
  2. Type d’information diffusée et moment de la diffusion de cette information. La politique sur la communication de l’information devrait préciser le type d’information qui peut être publiée ainsi que les personnes qui sont autorisées à publier de l’information sur l’émetteur et ses activités sur les médias sociaux. Si la communication d’information importante sur les médias sociaux est autorisée, l’information en question ne doit pas être publiée avant qu’elle n’ait été transmise au public par voie de communiqué ou par un autre moyen prévu par la réglementation en valeurs mobilières.
  3. Examen de l’information. Les personnes autorisées devraient examiner attentivement tous les messages avant leur publication sur les médias sociaux afin d’évaluer l’importance de l’information qu’ils contiennent et s’assurer que cette information n’est pas sélective, trompeuse, trop promotionnelle ou incohérente avec l’information qui a été communiquée auparavant.
  4. Information prospective. Les émetteurs qui publient de l’information prospective comme, par exemple, les objectifs financiers, les jalons importants d’un projet et les dates prévues de lancement d’un produit devraient indiquer les hypothèses et les facteurs importants utilisés pour établir cette information. L’information prospective devrait également être mise à jour lorsque des évènements se produisent qui rendent peu probable l’atteinte des objectifs communiqués. Le rapport des ACVM indique que, dans bon nombre de cas, l’information prospective qui est publiée sur les médias sociaux n’est pas conforme aux obligations relatives à la communication d’information de cette nature.
  5. Liens vers des documents de tiers. L’ajout de liens vers des articles de presse et des rapports d’analystes dans les messages que les émetteurs publient sur les réseaux sociaux est problématique puisque les émetteurs pourraient, en vertu de la loi, être responsables de ce contenu et tenus de le mettre à jour. Les émetteurs pourraient également être tenus d’obtenir le consentement des auteurs de ces articles et rapports d’analystes. Pour que l’information à laquelle les liens donnent accès soit considérée comme impartiale, les émetteurs devraient fournir des liens à tous les rapports d’analystes, aussi bien ceux qui ont une tonalité positive que ceux qui ont une tonalité négative, et indiquer les rapports qui n’émanent pas de sources indépendantes.

Les émetteurs canadiens devraient prendre connaissance du rapport des ACVM et profiter de l’occasion pour s’assurer que les politiques, les pratiques et les contrôles qu’ils ont mis en place à l’égard de l’utilisation des médias sociaux sont conformes aux pratiques exemplaires et à la réglementation en valeurs mobilières applicable.

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