Dans la décision NorthWest Copper Corp. (22 décembre 2023), la British Columbia Securities Commission (la « Commission ») fournit d’importants éclaircissements sur ce qui peut être considéré comme « agir de concert » dans le cadre d’une course aux procurations. La Commission a refusé de conclure à une relation d’alliés entre un dissident et un autre actionnaire, même si l’actionnaire avait financé la campagne de sollicitation de procurations du dissident visant à remplacer les administrateurs en poste, et même s’il avait choisi l’un des candidats proposés par le dissident. Plus particulièrement, la Commission a statué comme suit :
- Celui qui prétend que des personnes sont des alliés doit présenter une preuve claire et convaincante au soutien d’une telle allégation, et non de simples spéculations ou suppositions.
- On doit fixer des critères très stricts pour pouvoir conclure à une relation d’alliés, afin de ne pas nuire à la libre circulation des renseignements et des opinions entre les actionnaires, même si cela signifie que quelques alliés resteront dans l’ombre.
Contexte
Système d’alerte et allégations de relation d’alliés
La décision NorthWest porte sur une course aux procurations lancée en vue de l’assemblée annuelle de 2023 des actionnaires de NorthWest Copper Corp. (« NWST »), société d’exploration minière cotée à la Bourse de croissance TSX. NWST prétendait que trois de ses actionnaires agissaient de concert en vue de faire remplacer ses administrateurs en poste et qu’ils ne respectaient pas les règles du système d’alerte. Selon ces règles, un actionnaire doit déposer une déclaration lorsqu’il acquiert, seul ou avec ses alliés, 10 % ou plus des actions d’un émetteur.
La question de savoir si une personne agit de concert doit être tranchée en fonction des faits, bien qu’il arrive que des personnes soient présumées ou réputées être des alliés. Fait important pour la sollicitation de procurations, on présumera que des personnes agissent de concert si elles ont conclu une convention, un engagement ou une entente pour exercer de concert les droits de vote rattachés à des titres.
Principaux faits
Bien que la Commission mentionne que deux des trois actionnaires, à savoir l’actionnaire dissident et son sympathisant (l’« actionnaire no 2»), ont pu agir en vue d’atteindre un objectif commun, le nombre d’actions de NWST qu’ils détenaient, sans les actions du troisième actionnaire (qui était le plus important des trois), n’atteignait pas le seuil de 10 % établi par le système d’alerte. La Commission a donc axé ses motifs sur la question de savoir si le plus important actionnaire (l’« actionnaire no 3 ») agissait de concert avec le dissident ou avec l’actionnaire no 2.
Voici les principaux faits sur lesquels reposent les conclusions de la Commission.
- En avril 2023, l’actionnaire no 2, ayant déjà fait part au dissident de ses préoccupations concernant la direction de NWST, discute avec l’actionnaire no 3 de la possibilité de remplacer un ou deux administrateurs en poste de NWST.
- En mai, l’actionnaire no 2 informe l’actionnaire no 3 qu’une liste de candidats est en voie d’être constituée, et l’actionnaire no 3 propose l’ajout du nom de son avocat personnel à cette liste.
- Plus tard en mai, le dissident avise NWST qu’il prévoit présenter une liste concurrente de candidats aux postes d’administrateur à la prochaine assemblée annuelle de NWST. Le dissident déclare qu’il n’agit de concert avec personne.
- En juin, le dissident communique avec les conseillers juridiques de l’actionnaire no 3 pour leur demander si celui-ci contribuerait aux coûts de la campagne de sollicitation de procurations du dissident. L’actionnaire no 3 acquiesce, déclarant plus tard qu’il a fourni les fonds parce qu’il ne voulait écarter aucune possibilité. Ayant déjà investi des millions de dollars dans NWST, il considérait que l’investissement de 50 000 $ à 100 000 $ supplémentaire était le geste prudent à faire pour protéger ses intérêts. L’actionnaire no 3 ne s’est pas engagé à soutenir les candidats proposés par le dissident.
- En juillet, NWST communique avec l’actionnaire no 3 pour négocier une convention de soutien selon laquelle il serait tenu de soutenir les administrateurs en poste et d’apporter du financement par capitaux propres à NWST en échange de la nomination de son candidat parmi la liste de candidats de la direction. Les deux autres actionnaires n’étaient pas au courant de ces négociations.
- En août, le dissident remet un nouvel avis de son intention de présenter une liste de candidats aux postes d’administrateur à l’assemblée annuelle. Le dissident signale qu’il n’agit de concert avec « personne d’autre que les personnes indiquées ci après », renvoyant manifestement au passage de son avis indiquant que « les coûts de la sollicitation de procurations concernant les candidats seront supportés par l’actionnaire qui les présente et [l’actionnaire no 3] ».
- En apprenant l’existence de l’entente de financement, NWST a mis fin à ses discussions avec l’actionnaire no 3.
- Plus tard en août, le dissident communique pour la première fois directement avec l’actionnaire no 3 et lui demande son soutien à l’égard de sa liste de candidats.
- NWST a demandé au dissident de déposer une déclaration selon le système d’alerte indiquant qu’il agissait de concert avec des personnes qui, collectivement, ont la propriété de 10 % ou plus des actions de NWST. Après le refus du dissident, NWST a déposé sa plainte à la Commission.
Principales conclusions
La seule formation d’un groupe ne déclenche pas l’obligation de déclaration selon le système d’alerte
La Commission a confirmé que la seule formation d’un groupe d’alliés qui détient collectivement un nombre d’actions atteignant le seuil de 10 % prévu par le système d’alerte n’oblige pas au dépôt d’une déclaration selon ce système. L’obligation d’un groupe à ce titre n’est déclenchée que lorsqu’un membre du groupe acquiert par la suite des actions de l’émetteur. La formation d’un groupe comptant une personne qui dépose déjà une déclaration selon le système d’alerte à l’égard de l’émetteur obligerait cette personne à mettre à jour sa déclaration si la formation du groupe constitue un changement dans un fait important que contient sa déclaration en vigueur.
La déclaration selon le système d’alerte s’applique aux alliés qui sollicitent des procurations
La Commission a rejeté l’argument des actionnaires voulant que le régime de déclaration selon le système d’alerte n’est censé s’appliquer aux relations entre alliés que si elles sont liées à une offre d’achat publique, soulignant que le libellé concernant la déclaration selon le système d’alerte porte sur l’acquisition de titres en général et que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont expressément mentionné que l’objectif du régime de déclaration selon le système d’alerte est de permettre aux investisseurs de prévoir non seulement d’éventuelles offres publiques d’achat, mais aussi les situations liées aux procurations. La Commission s’est appuyée sur ces considérations et sur une décision judiciaire de l’Alberta rendue précédemment (Genesis Land Development Corp. v Smoothwater Capital Corporation) pour établir que [traduction] « la notion de relation d’alliés s’applique à la sollicitation de procurations en vue de faire élire une autre liste de candidats proposés, même s’il n’y a aucune offre publique d’achat ou de rachat ». La Commission a toutefois invité les ACVM à clarifier les dispositions législatives à cet égard.
Éléments à considérer pour établir l’existence d’une relation d’alliés dans le contexte d’une course aux procurations
La Commission a relevé qu’il n’y avait aucun objectif commun précis entre les trois actionnaires pouvant impliquer une forme de consensus sur la façon d’exercer les droits de vote rattachés à leurs actions. Bien que la Commission ait conclu que l’actionnaire no 2 et l’actionnaire no 3 ont discuté de leurs préoccupations concernant la direction de NWST, elle a affirmé que la simple présence d’intérêts compatibles ne constitue pas un plan d’action ou un engagement à suivre une ligne de conduite. De l’avis de la Commission, l’objectif de l’actionnaire no 2 semblait être de remplacer l’ensemble du conseil d’administration en place, tandis que l’actionnaire no 3 semblait vouloir faire élire son représentant au conseil d’administration par tous les moyens possibles.
Comme l’actionnaire no 3 négociait avec NWST pour obtenir un résultat tout à fait différent, l’argument selon lequel il était engagé dans une entreprise commune avec les deux autres actionnaires n’a pas été retenu. La contribution financière de l’actionnaire no 3 à la sollicitation du dissident ne permettait pas d’établir que ce premier ait participé à la planification ou à la préparation de la sollicitation. La Commission a conclu que les sommes consacrées par l’actionnaire no 3 à la sollicitation n’avaient aucune conséquence particulière pour lui et elle a accepté le témoignage de l’actionnaire no 3 dans lequel il affirmait n’avoir cherché qu’à ne fermer aucune porte. En fin de compte, ces éléments ont ébranlé le principal argument de NWST, à savoir que l’actionnaire no 3 n’aurait pas consenti à financer une course aux procurations sans avoir également l’intention de voter en faveur de la liste de candidats du dissident.
Pour établir l’existence d’une relation d’alliés, la preuve doit être claire et convaincante
La Commission s’est refusée à conclure à l’existence d’une relation d’alliés en s’appuyant sur une preuve circonstancielle. En plus de l’existence d’une entente de financement entre l’actionnaire no 3 et le dissident, NWST a fait état d’autres situations où les actionnaires no 2 et no 3 se seraient concertés, notamment le fait que l’actionnaire no 2 ait facilité la participation de l’actionnaire no 3 à un placement privé précédent de NWST en envoyant à l’actionnaire no 3 la convention de souscription pour le financement (rien ne permettait d’affirmer que l’actionnaire no 3 avait autorisé l’actionnaire no 2 à négocier en son nom) et le fait que la société de prêt commercial de l’actionnaire no 3 ait accordé un financement à l’actionnaire no 2, ce qui a permis à ce dernier d’acheter des actions de NWST dans le cadre du même placement privé (les fonds ont été avancés dans le cadre d’un prêt commercial ordinaire et n’étaient pas liés à une utilisation précise).
Au cours des conversations entre la direction de NWST et l’actionnaire no 2 en 2023 et auparavant, ce dernier a aussi laissé entendre qu’il existait un certain degré de concertation entre lui et l’actionnaire no 3, notamment en mentionnant qu’il contrôlait un bloc d’actions important et que l’actionnaire no 3 souhaitait être représenté au conseil d’administration. La Commission a souligné que, bien qu’il soit possible que l’actionnaire no 2 ait cru avoir conclu avec l’actionnaire no 3 une entente selon laquelle ce dernier appuierait la liste de candidats du dissident, ce que le dissident ou l’actionnaire no 2 pensait de leur relation avec l’actionnaire no 3 n’était pas pertinent pour l’analyse; [traduction] « si l’actionnaire no 3 n’était pas lui-même engagé dans une démarche active et coordonnée visant à faire élire la liste de candidats du dissident lors de l’assemblée générale annuelle, il n’agissait pas de concert avec les autres défendeurs. »
Selon la Commission, [traduction] « avant d’établir qu’une situation est telle qu’elle est présentée, la Commission doit évaluer la force de la preuve circonstancielle par rapport au caractère raisonnable d’autres explications qui pourraient être données au sujet des mêmes circonstances ». Comme l’actionnaire no 3 a fourni d’autres explications crédibles et plausibles concernant la preuve présentée par NWST, la Commission a conclu que NWST n’est pas parvenue à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les trois actionnaires ont activement collaboré à l’atteinte d’un objectif commun.
En fin de compte, de l’avis de la Commission, l’application d’un critère peu exigeant pour établir l’existence d’une relation d’alliés aurait un effet défavorable sur la démocratie actionnariale :
Nous sommes d’avis que le critère applicable pour établir que les parties agissent de concert est, à juste titre, relativement exigeant, comme le reflètent la présomption et la disposition déterminative prévues par le Règlement 62-104. La déclaration des blocs d’actions est importante, mais la libre circulation de l’information et des opinions entre les actionnaires d’une société ouverte l’est tout autant. Selon nous, il est préférable de demander une preuve claire et convaincante que les parties ont agi de concert et, ce faisant, de courir le risque que certains groupes opèrent dans l’ombre, plutôt que d’ajouter foi à des spéculations et de créer un climat qui paralyse les discussions entre les actionnaires.
Points à retenir
- La libre circulation de l’information et des opinions entre les actionnaires est une caractéristique importante du marché public, et l’application des règles régissant les relations d’alliés ne doit pas créer un climat qui paralyse la discussion entre les actionnaires.
- L’obligation de déclaration selon le système d’alerte n’est pas déclenchée par la simple formation d’un groupe qui détient collectivement un nombre d’actions atteignant le seuil de 10 % établi dans le cadre du régime de déclaration selon le système d’alerte. Cette obligation ne s’applique que lors d’une acquisition ultérieure d’une action de l’émetteur par un membre du groupe.
- La simple présence d’intérêts compatibles ne constitue pas en soi un plan d’action ou un engagement à suivre une ligne de conduite.
- Afin d’établir l’existence d’une relation d’alliés, il est nécessaire de tenir compte des faits et de s’appuyer sur une preuve claire et convaincante. Pour que des personnes soient considérées comme agissant de concert dans le cadre de la sollicitation de procurations en vue d’un vote en faveur d’une liste de candidats d’un dissident, il faut généralement que ces personnes agissent dans un objectif commun précis et qu’elles aient une certaine entente mutuelle sur la façon dont les droits de vote rattachés aux actions seront exercés.