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Questions fiscales concernant les sociétés en difficulté

Auteurs : Christopher Anderson, Sharon Ford et Ryan Abrahamson

Les restrictions des activités sociales et commerciales rendues nécessaires par la pandémie de COVID-19 ont causé une pression économique inédite. Même si les gouvernements ont mis en œuvre des mesures de relance budgétaires et monétaires tout aussi inédites, des entreprises souffriront de la situation et certaines devront restructurer leurs dettes ou prendre d’autres moyens pour surmonter la crise. Nous présentons ci-après un survol des principaux sujets fiscaux qui peuvent être pertinents pour une entreprise envisageant de restructurer ses dettes, ainsi que certaines autres questions fiscales devenues plus importantes en raison de l’incidence de la pandémie de COVID-19 sur l’économie.

Règles sur les remises de dettes

La Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR ») contient un ensemble de règles détaillées et complexes concernant le traitement des remises de dettes. En général, les règles sur les remises de dettes s’appliquent lorsqu’il y a règlement ou extinction d’une dette et que la juste valeur marchande de la contrepartie du règlement ou de l’extinction est inférieure au montant de la dette. Malgré que des règles diffèrent s’appliquent en cas de saisie immobilière, en général, les règles sur les remises de dettes considèrent la différence entre le montant réglé de la dette et le montant versé pour la régler comme une remise visée par les règles décrites ci-dessous. Ces règles s’appliquent également aux opérations de remisage de dettes, dans lesquelles une partie liée acquiert une dette pour moins de 80 % de son montant sans toutefois l’annuler. Il est important de noter que le fait de modifier les modalités existantes d’une dette ou d’accepter de reporter sans annuler les obligations de paiement liées à une dette ne devrait pas être considéré comme une remise de dette.

Les règles régissant le règlement de dettes au moyen d’une contrepartie de juste valeur marchande inférieure comportent une exception importante, qui s’applique aux refinancements « dette pour dette ». Dans le cas d’un tel refinancement, c’est le montant en capital de la nouvelle dette, et non sa juste valeur marchande, qui est utilisé pour déterminer s’il y a remise de dette. Cette exception facilite le remplacement d’une dette à court terme par une dette à long terme ou d’autres restructurations de dette comportant le remplacement d’une dette par une autre sans que la restructuration entraîne les conséquences associées à une remise de dette. Par contre, dans le cas de la conversion d’une dette en actions, c’est la juste valeur marchande des actions émises pour régler la dette qui sera généralement utilisée pour déterminer si la restructuration entraîne les conséquences associées à une remise de dette.

Dans certains cas limités, une société par actions canadienne peut émettre une catégorie spéciale d’« actions privilégiées émises dans une situation de difficultés financières » pour régler une dette. Aux fins des règles sur les remises de dettes, le capital versé de toutes telles actions privilégiées émises en règlement d’une dette sera considéré comme un paiement du montant en capital de la dette plutôt qu’un paiement de la juste valeur marchande des actions. Il est possible qu’un prêteur canadien puisse recevoir, en franchise d’impôt, des dividendes sur des actions privilégiées émises dans une situation de difficultés financières, et il pourrait être possible de refinancer un prêt à taux d’intérêt élevé auprès d’un prêteur canadien à coût réduit au moyen d’actions privilégiées émises dans une situation de difficultés financières.

En cas de remise de dette, le montant remis est automatiquement appliqué afin de réduire les reports de perte en avant du débiteur (les pertes autres qu’en capital étant réduites avant la réduction des pertes en capital nettes). S’il reste un montant remis après l’élimination du solde des reports de pertes en avant, le débiteur peut opter afin de l’appliquer pour réduire la fraction non amortie de son coût en capital et de ses frais de ressources. Si ces comptes sont épuisés, il peut l’appliquer à la réduction du prix de base rajusté de certaines immobilisations ou à la réduction de ses pertes en capital pour l’année en cours. S’il lui reste encore un montant de remise de dette après ces applications facultatives, le débiteur doit inclure 50 % du montant restant de la remise de dette dans son revenu (le « montant remis sur une dette inclus»). Les règles concernant les débiteurs qui sont des sociétés de personnes diffèrent à plusieurs égards.

Certaines règles permettent de minimiser l’incidence du montant remis sur une dette inclus . Afin d’éviter d’avoir à l’inclure dans leur revenu, une entreprise peut choisir de transférer ce montant à une personne liée et de l’utiliser pour réduire les attributs fiscaux de celle-ci. Une entreprise peut également avoir droit à une provision permettant de répartir sur cinq ans l’inclusion du montant remis sur une dette inclus dans le revenu. Enfin, sous réserve de certaines restrictions, les entreprises insolvables ne sont généralement pas tenues d’inclure le montant remis sur une dette inclus dans leur revenu.

En plus des règles sur les remises de dettes, la LIR prévoit qu’une dépense déduite selon la méthode de la comptabilité d’exercice qui est une somme due à une personne ayant un lien de dépendance et qui reste impayée après la fin de la troisième année doit être rajoutée au revenu de la troisième année. De même, toute rémunération accumulée à la fin de l’année qui n’est pas payée dans les 180 jours suivant la fin de l’année est réputée ne pas être une dépense dans l’année où elle a été accumulée, et sera plutôt déductible lorsqu’elle sera payée.

Soutien gouvernemental

Les paiements de soutien versés par le gouvernement, y compris la subvention salariale d’urgence du Canada et la partie non remboursable du compte d’urgence pour les entreprises canadiennes, doivent généralement être inclus dans le revenu de l’année où ils sont reçus. Toutefois, le contribuable peut éviter d’avoir à le faire s’il choisit de réduire le montant d’une dépense connexe engagée au cours de la même année d’imposition et de certaines autres années d’imposition.

Report des échéances des déclarations de revenus et des paiements d’impôts

L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), étant donné les conséquences économiques difficiles de la pandémie de COVID-19, a reporté la date d’échéance de certaines opérations fiscales d’ordre administratif, comme la production des déclarations de revenus et les paiements d’impôt sur le revenu. Il importe toutefois de noter que si l’échéance des paiements d’impôts sur le revenu a été reportée dans la plupart des cas, les paiements des sommes retenues à la source sur la rémunération des employés et des retenues d’impôt doivent être faits comme d’habitude. Vous trouverez une description complète des mesures d’allègement visant la production des documents fiscaux et le paiement des impôts dans notre bulletin intitulé Mesures fiscales et autres mises en œuvre au Canada en réponse à la pandémie de COVID-19.

Retenues d’impôt sur les paiements aux non-résidents

L'évolution de la situation d'une société en difficulté pourrait faire en sorte que des paiements effectués dans le cours normal de ses activités, comme les paiements de loyers, d’intérêts ou de redevances, assujettis à la retenue d’impôt prévue par la partie XIII de la LIR.

Si, par exemple, un emprunteur canadien manque à ses obligations au titre d’un contrat de crédit et qu’un prêteur étranger réalise la garantie donnée pour le prêt, qui consiste en actions de l’emprunteur, il est possible que les paiements d’intérêts futurs de l’emprunteur au prêteur soient l’objet d’une retenue d’impôt canadien. Premièrement, ces paiements peuvent être assujettis à une retenue d’impôt canadien en raison du lien de dépendance entre l’emprunteur et le prêteur, étant donné que par suite de la réalisation de la garantie, le prêteur possède suffisamment d’actions de la société emprunteuse pour que les parties soient considérées comme liées ou ayant, dans les faits, un lien de dépendance quelconque.1 Il est également possible que la réalisation de la garantie constituée d’actions de l’emprunteur entraîne une acquisition de contrôle et un fait lié à la restriction de pertes pouvant restreindre la capacité de reporter les pertes en avant.

Deuxièmement, il est possible qu’à la suite de la réalisation de la garantie constituée d’actions de l’emprunteur, le prêteur étranger soit en possession d’un nombre suffisant d’actions de l’emprunteur pour être considéré comme un « actionnaire non-résident déterminé » aux fins des règles concernant la « capitalisation restreinte », de sorte que les intérêts du prêt pourraient effectivement être transformés en versement de dividendes, notamment aux fins des retenues d’impôts. Si un paiement d’intérêts est assujetti à une retenue d’impôt dans de telles circonstances, il sera important d’examiner le contrat de crédit en question pour déterminer si une majoration pour impôts est nécessaire ou si l’emprunteur peut payer les intérêts sans tenir compte de la retenue.

D’autres paiements faits dans le cours normal des activités, comme les paiements de loyers et de redevances, peuvent être assujettis à la retenue d’impôt canadien si le bénéficiaire canadien de ces paiements cède ses droits, conformément au contrat de location ou de redevances applicable, à un cessionnaire étranger, par exemple un fonds d’investissement étranger en difficulté. Dans de telles circonstances, la personne qui verse à un non-résident du Canada des frais, des commissions ou d’autres sommes pour des services rendus au Canada est tenue de retenir à la source 15 % de ces paiements en vertu de l’article 105 du Règlement de l’impôt sur le revenu (Canada). Par conséquent, la personne au Canada qui verse un tel paiement à un cessionnaire non-résident devrait faire preuve de prudence au moment de déterminer si elle a une obligation de retenue au motif que le paiement qu’elle verse vise des services rendus au Canada.

Information importante pour les créanciers

En général, le détenteur d’une dette qui a été remise aura le droit de déclarer une perte pour cession de dette, qui sera une perte au titre du revenu ou une perte en capital selon la façon dont la dette était traitée par le créancier. Lorsque le créancier est affilié au débiteur, et dans certains autres cas, la réalisation de la perte peut être refusée ou différée en fonction d’une ou de plusieurs règles applicables.

Lorsqu’un créancier saisit le bien d’un débiteur ou d’un tiers (comme une caution) en raison d’une dette, il sera généralement réputé avoir cédé la dette à son prix de base rajusté et avoir acquis le bien saisi à un coût égal à celui de la dette. Par conséquent, en général, le créancier ne réalisera pas de gain ou ne subira pas de perte à la suite de la saisie du bien, tant qu’il n’aura pas cédé le bien. Le détenteur d’une créance est généralement tenu d’inclure dans son revenu toute somme reçue ou recevable au titre d’intérêts dans la mesure où il n’a pas inclus ces intérêts dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure.

Si un créancier convient de renoncer aux paiements d’intérêts ou de reporter les paiements d’intérêts que lui doit un emprunteur en difficulté, l’ARC considère qu’une renonciation aux intérêts qui n’a aucun effet juridique, de sorte que le créancier conserve le droit légal de recevoir les intérêts, n’élimine pas l’obligation de les inclure dans son revenu conformément aux dispositions sur l’inclusion des revenus d’intérêts. Toutefois, l’ARC a reconnu, dans les cas où la renonciation est juridiquement contraignante à la fois pour le créancier et le débiteur, que le créancier n’aurait pas le droit légal de recevoir les intérêts pour la période visée par la renonciation et, par conséquent, que les intérêts ne devraient pas être considérés comme étant à recevoir, reçus ou courus et que leur inclusion dans le revenu ne devrait pas être exigée.

Lorsque des intérêts sont reportés d’une année d’imposition à une autre, la créance sous-jacente peut être considérée comme une « créance visée » produisant des intérêts réputés courus pour le créancier pour l’année d’imposition au cours de laquelle les intérêts sont reportés.

Par conséquent, il importe que le créancier qui a l’intention de renoncer définitivement à des intérêts dresse à cette fin avec l’emprunteur un accord juridiquement contraignant. Il est possible que la renonciation soit considérée comme juridiquement contraignante du seul fait que les parties concluent un accord modifiant leur accord initial. Il convient de faire preuve de prudence et de ne pas modifier fondamentalement la créance initiale pour éviter que celle-ci soit considérée comme ayant été cédée et qu’une nouvelle créance soit considérée comme ayant été créée, une telle novation pouvant entraîner des conséquences fiscales supplémentaires imprévues pour les parties. En revanche, lorsque les intérêts sont reportés à une année d’imposition ultérieure, le créancier peut néanmoins être tenu d’inclure dans son revenu les intérêts réputés courus sur les montants reportés.

Certains créanciers qui sont des institutions financières (aux fins des règles d’évaluation à la valeur du marché de la LIR) ou des contribuables dont l’activité ordinaire comprend le prêt d’argent peuvent avoir droit à une provision pour créances douteuses. Le créancier qui déduit une provision pour créance douteuse n’est généralement pas tenu d’inclure les revenus d’intérêts associés à la créance durant la période où celle-ci est considérée comme une créance douteuse. Les contribuables qui ne sont pas des institutions financières devraient également avoir droit à une provision pour créances douteuses; cependant, celle-ci ne leur permettra de déduire que les intérêts et non le capital d’une créance.

Versement de paiements compensatoires à des non-résidents

Le versement de paiements compensatoires peut avoir lieu dans bien des cas où des entreprises en difficulté cherchent à restructurer certains accords commerciaux. Dans sa décision récente dans l’affaire Pangaea, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une lettre d’entente prévoyant le versement d’un paiement compensatoire à un actionnaire non-résident pour faciliter la vente de l’entreprise était une clause restrictive aux fins de la LIR et que le paiement compensatoire devait ainsi être assujetti à une retenue d’impôt. Le paiement avait été versé en contrepartie du consentement (légalement nécessaire) de l’actionnaire à l’égard de la vente. La Cour est arrivée à la conclusion que la lettre d’entente était visée par la définition relativement large du terme « clause restrictive », qui s’étend, en général, à tout accord, engagement ou droit qui vise à influer, de quelque manière que ce soit, sur l’acquisition ou la fourniture de biens ou de services par le contribuable.

On considère depuis longtemps que le sens donné au terme « clause restrictive » dans la LIR s’applique aux accords de non-concurrence et aux accords semblables (même si, en raison du libellé général de la définition, sa portée soulève certains doutes). Selon la décision dans l’affaire Pangaea, de nombreux accords, engagements ou droits pourraient potentiellement être considérés comme des clauses restrictives à des fins fiscales. Il importe que les sociétés en difficulté qui versent des paiements à des non-résidents dans le cadre d’une restructuration ou d’un refinancement soient conscientes de la possibilité que ces paiements soient considérés comme ayant trait à des clauses restrictives, en particulier si l’accord, l’engagement ou le droit sous-jacent pourrait être réputé influer sur l’acquisition ou la fourniture de biens ou de services par le payeur. Il importe également de prendre en considération, lorsqu’un tel paiement est versé à un non-résident, l’obligation d’effectuer une retenue d’impôt et de verser l’impôt retenu, ainsi que la nécessité éventuelle de négocier une majoration pour le montant d’une telle retenue.

Sommes retenues ou perçues réputées détenues en fiducie

Toutes les sommes devant être déduites ou retenues en vertu de la LIR, y compris les retenues à la source sur la rémunération des employés et les sommes retenues sur les paiements versés aux non-résidents, sont réputées détenues en fiducie pour Sa Majesté la Reine et sont payables selon les modalités prévues par la LIR. En général, le droit de l’ARC (au nom de Sa Majesté la Reine) de recouvrer ces sommes a priorité sur les sûretés de tous les autres créanciers garantis (y compris dans le contexte d’une procédure de faillite régie par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »)) et les sommes sont réputées i) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la partie les ayant retenues et ii) appartenir en propriété effective à Sa Majesté la Reine. Il a été dit que la fiducie réputée confère à l’ARC une « super priorité » sur les déductions à la source et les autres sommes retenues. Les sommes perçues au titre de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») ou de la taxe de vente harmonisée (la « TVH ») qui n’ont pas encore été versées sont également réputées détenues en fiducie, sauf dans le contexte d’une procédure de faillite régie par la LFI ou d’une procédure d’insolvabilité régie par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada).

Responsabilité des administrateurs

L’ARC a annoncé que les versements de TPS et de TVH échus à compter du 27 mars 2020 et avant le 1er juin 2020 sont reportés jusqu’à la fin de juin 2020. Cependant, le versement des sommes retenues à la source et des retenues d’impôt n’a pas été reporté. Il importe que les administrateurs de sociétés soient conscients du fait qu’ils sont responsables, à la fois selon la LIR et la Loi sur la taxe d’accise (Canada) (la « LTA ») des sommes retenues ou perçues qui n’ont pas encore été versées, comme les retenues à la source sur la rémunération des employés aux fins de l’impôt sur le revenu et la TPS et la TVH perçues en vertu de la LTA sur des produits ou services, ainsi que des intérêts et pénalités connexes, le cas échéant.

Les administrateurs peuvent se prévaloir d’une défense de diligence raisonnable si leur responsabilité est invoquée, en vertu de la LIR ou de la LTA, pour non-versement des sommes exigées. La défense de diligence raisonnable peut être invoquée lorsque l’administrateur a fait preuve, pour empêcher le manquement, de la diligence, de la précaution et de la compétence dont ferait preuve une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Le délai de prescription prévu par la LIR et la LTA prend fin deux ans suivant la date à laquelle l’administrateur a cessé d’être administrateur de la société en question.

Pour minimiser leur responsabilité personnelle, il importe que les administrateurs de sociétés en difficulté s’assurent que des systèmes rigoureux soient en place aux fins de la déduction et du versement dans les délais requis des retenues à la source exigées par la loi aux fins de l’impôt sur le revenu, ainsi que de la perception et du versement de la TPS et de la TVH. Si une société a reporté le versement de la TPS et de la TVH jusqu’en juin, les administrateurs devront veiller à ce que la société effectue les versements reportés au plus tard le 30 juin 2020, sans quoi l’ARC peut les considérer comme responsables des sommes non versées.

En plus d’être responsables du versement des sommes exigées par la LIR et la LTA, les administrateurs peuvent être responsables des retenues non versées au titre du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi.

1 La Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis pourrait éviter ce résultat aux créanciers américains admissibles.

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