Bulletin

Force majeure et inexécutabilité en période de pandémie de COVID-19

Auteurs : Matthew Milne-Smith et Maura O’Sullivan

La pandémie mondiale de COVID-19 crée des difficultés sans précédent et changeantes pour les entreprises qui tentent de remplir leurs obligations contractuelles malgré les interruptions de la chaîne d’approvisionnement, les pénuries de main-d’œuvre, les fermetures ordonnées par les autorités gouvernementales et les baisses inattendues de la demande. Dans ces circonstances, la clause contractuelle de force majeure ou le principe d’inexécutabilité selon le droit des contrats pourraient être invoqués par les entreprises si une résolution négociée n’est pas possible.

Force Majeure

La clause de force majeure a généralement pour effet de libérer une partie contractante d’une obligation lorsque survient un événement indépendant de la volonté de l’une ou l’autre des parties qui rend impossible l’exécution du contrat conformément à ses modalités. Sous le régime de la common law, en Ontario, par exemple, le contrat doit contenir une clause de force majeure explicite pour qu’une partie puisse invoquer la force majeure. Il n’est pas possible de simplement interpréter le contrat comme s’il contenait une clause de force majeure. En général, on énumère dans cette clause les types d’événements qui peuvent constituer un cas de force majeure, on définit la procédure selon laquelle la partie touchée par la force majeure doit en aviser l’autre partie et on décrit l’obligation de la partie touchée d’en atténuer les effets le plus possible. La clause peut prévoir une option de résiliation du contrat si le cas de force majeure n’est pas résolu dans un délai déterminé.

Si les tribunaux respectent généralement la répartition des risques établie par les parties contractantes en donnant effet à la clause de force majeure, ils y appliquent par ailleurs les principes d’interprétation contractuelle de manière restrictive. Selon la jurisprudence limitée qui existe en cette matière, la partie invoquant la force majeure doit démontrer ce qui suit :

  • premièrement, l’événement invoqué pour l’application de la clause de force majeure doit être suffisamment dramatique et inhabituel pour constituer un cas de force majeure; des circonstances ordinaires ou même légèrement hors de l’ordinaire — comme le mauvais temps, un faible ralentissement de la chaîne d’approvisionnement ou d’autres obstacles qui interrompent couramment le flux de travail dans un milieu de travail donné — ne sont pas des justifications suffisantes;
  • deuxièmement, l’événement doit être tel qu’il rend l’exécution du contrat impossible ou en fait une charge extrêmement lourde ou en entrave l’exécution d’une autre manière jusqu’au degré précisé dans la clause. Le tribunal examine cette question en voyant si d’autres moyens étaient à la disposition de la partie et lui auraient permis de remplir ses obligations. Le fait que l’exécution du contrat soit devenue non rentable n’est pas une justification suffisante;
  • troisièmement, l’événement qui survient ne doit pas résulter de « l’acte, de la négligence, de l’omission ou du manquement » de la partie qui invoque la clause.

Événements déclencheurs

La question de savoir si la pandémie de COVID-19 a déclenché ou non l’application d’une clause de force majeure dépendra vraisemblablement du libellé précis de la clause et, en particulier, des événements de force majeure qui y sont énumérés. De nombreuses clauses prévoient explicitement une pandémie ou une épidémie, mais, dans certains cas, d’autres termes tels que « acte de la nature » (act of God) ou « catastrophe naturelle » peuvent s’appliquer à une pandémie. Selon le secteur d’activité de la partie, les clauses qui mentionnent la possibilité de révision des lois et règlements en vigueur seront probablement de plus en plus pertinentes, au fur et à mesure que les gouvernements locaux, provinciaux et municipaux officialiseront et appliqueront, au moyen de décrets ou de mesures législatives, leurs recommandations en matière de fermeture d’entreprises et de distanciation sociale.

Autres éléments à prendre en considération

  • Les clauses de force majeure sont fortement liées au contexte et doivent être interprétées à la lumière des faits pertinents.
  • Lorsqu’elles examinent leurs contrats pour évaluer la possibilité d’un recours fondé sur la clause de force majeure, les parties devraient vérifier toute stipulation de préavis.
  • Dans la mesure du possible, les parties contractantes devraient tenter d’en arriver à une solution négociée plutôt que de recourir à la voie judiciaire, au vu surtout du ralentissement actuel des tribunaux, qui risque d’entraîner de longs retards.
  • Il importe d’examiner toutes les possibilités pour limiter les dommages résultant de l’incapacité à exécuter le contrat.
  • Les parties devraient vérifier si leur police d’assurance pertes d’exploitation, le cas échéant, s’applique aux pertes liées à la COVID-19 (voir notre article « COVID-19 : Questions entourant les réclamations d’assurances ».
  • Les parties devraient envisager sérieusement d’inclure une clause de force majeure dont le libellé traite expressément des pandémies dans leurs contrats futurs.

Inexécutabilité

Si un contrat ne contient pas de clause de force majeure, ou si le libellé de la clause de force majeure est inapplicable au problème auquel la partie fait face et qui l’empêche de remplir ses obligations contractuelles en raison de la pandémie de COVID-19, il est possible que la partie puisse invoquer le principe d’« inexécutabilité » prévu par le droit des contrats.

Selon ce principe, un contrat est inexécutable si : (i) un événement imprévu se produit, (ii) celui-ci se produit sans qu’il y ait faute de l’une ou l’autre des parties contractantes et (iii) l’incidence radicale de celui-ci sur les obligations contractuelles est telle qu’il ne peut plus exécuter le contrat comme prévu. Il n’est toutefois pas nécessaire que l’exécution soit littéralement impossible. Il peut y avoir inexécutabilité lorsque les circonstances dans lesquelles l’exécution est demandée rendraient celle-ci radicalement différente de l’obligation prévue par le contrat. L’inexécutabilité d’un contrat a pour conséquence de mettre fin aux obligations contractuelles des parties. Comme c’est le cas pour la clause de force majeure, l’applicabilité du principe d’inexécutabilité à tout litige lié à la COVID-19 nécessitera un examen contextuel approfondi du contrat et de l’incidence de la pandémie sur celui-ci ainsi que sur les obligations des parties.

Autres éléments à prendre en considération

  • Les clauses de force majeure peuvent servir à répartir les risques connus. Par contre, le principe d’inexécutabilité ne protège les parties que contre les risques qui étaient imprévus au moment de la conclusion du contrat. Il pourrait donc être difficile pour les parties d’invoquer le principe d’inexécutabilité pour justifier la résiliation de contrats conclus après que les risques posés par la COVID-19 étaient largement connus.
  • La résiliation d’un contrat en raison de son inexécutabilité ne signifie pas nécessairement qu’aucune somme n’est due par les parties. Selon la Loi sur les contrats inexécutables de l’Ontario, des sommes peuvent être exigées en compensation des coûts engagés ou des avantages accumulés relativement au contrat jusqu’à sa résiliation.
  • Il pourrait être plus difficile d’invoquer le principe d’inexécutabilité s’il s’agit d’un contrat à long terme, car la durée de la pandémie de COVID-19 est actuellement inconnue. Le tribunal saisi d’un litige concernant un contrat de longue durée pourrait être moins enclin à considérer qu’un bouleversement temporaire dû à la COVID-19 constitue l’incidence radicale sur les obligations contractuelles nécessaire à l’application du principe d’inexécutabilité.

Connexe