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Les modifications à la LSAO pourraient servir à limiter les droits des actionnaires

Auteurs : Patricia L. Olasker et Jonathan Bilyk

Le 3 avril 2023, le gouvernement de l’Ontario a présenté un projet de loi omnibus (le « projet de loi 91 ») qui propose certaines modifications positives et d’autres préoccupantes à la réglementation des assemblées d’actionnaires prévue par la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO »). L’inclusion d’une disposition autorisant les sociétés à limiter les modalités selon lesquelles les assemblées d’actionnaires peuvent être tenues devrait amener les parties prenantes à s’interroger sur le caractère non limitatif de cette disposition et la possibilité d’abus, en particulier en ce qui concerne les assemblées contestées, par exemple lors de courses aux procurations ou d’assemblées convoquées à la demande d’activistes.

Assemblées des actionnaires en format hybride prévues par la LSAO

Pour ce qui est des modifications positives, le projet de loi 91 propose de faciliter plus explicitement la tenue d’assemblées des actionnaires hybrides prévues par la LSAO. En particulier, le projet de loi propose un nouveau paragraphe 94(2), qui énonce que, à moins d’une stipulation contraire dans les statuts ou les règlements administratifs d’une société, les assemblées des actionnaires « peuvent se tenir entièrement par un ou plusieurs moyens de communication téléphonique ou électronique ou par une combinaison de présence en personne et d’un ou plusieurs moyens de communication téléphonique ou électronique ». Par conséquent, si rien ne l’interdit dans les documents constitutifs d’une société, celle-ci peut tenir une assemblée des actionnaires entièrement en personne, entièrement en ligne ou en combinant les deux formats.

Le droit des sociétés de limiter la façon de tenir une assemblée devrait être revu

L’ajout du paragraphe 94(3) proposé dans le projet de loi 91 est cependant moins favorable. Le paragraphe 94(3) prévoit qu’une société peut, dans ses statuts ou ses règlements administratifs, a) « limiter la ou les modalités selon lesquelles une assemblée des actionnaires peut se tenir », conformément au paragraphe 94(2), et b) « préciser les exigences qui s’appliquent à l’égard de la tenue d’une assemblée des actionnaires » selon l’une des modalités mentionnées au paragraphe 94(2) ou selon les modalités prévues par les statuts ou les règlements administratifs adoptés en vertu de l’alinéa a).

Faute de débats ou de consultations sur la teneur du paragraphe 94(3), il est difficile de comprendre quel est l’objectif de la modification. À notre avis, l’alinéa 94(3)b) vise à permettre à la société de définir certaines normes minimales de communication pour la tenue d’assemblées en ligne et hybrides. De plus, l’alinéa 94(3)a) pourrait avoir pour objet de permettre à une société de restreindre la tenue d’assemblées en certains formats (par exemple, interdire les assemblées entièrement en ligne, sauf en cas d’urgence). Si tel est le cas, le paragraphe 94(2) et l’alinéa 94(3)a) semblent se chevaucher, car chacun permet sans équivoque à la société de définir les conditions préalables au choix d’un format d’assemblée en particulier.

Ce qui est encore plus préoccupant toutefois est le caractère apparemment non limitatif du paragraphe 94(3). Interprété de manière littérale, le paragraphe offre aux sociétés une grande latitude pour créer des règles sur la tenue des assemblées des actionnaires. Par exemple, à la lecture du paragraphe 94(3), les sociétés semblent pouvoir établir des règles différentes pour les assemblées convoquées à la demande d’un actionnaire ou d’autres types d’assemblées contestées en vue de rendre plus difficile pour les actionnaires d’exercer leurs droits fondamentaux, notamment le droit de proposer des candidats au poste d’administrateur ou de voter pour l’élection d’administrateurs. Bien que les efforts d’une société visant à inclure des exigences discriminatoires dans ses documents constitutifs pourraient ne pas résister à une contestation judiciaire, les frais liés au litige (sans parler de la difficulté d’obtenir une date d’audience dans les délais) rendraient ce recours hors de portée de la plupart des actionnaires qui, contrairement à la société, devraient en assumer personnellement la charge.

Le projet de loi 91 propose l’ajout du paragraphe 94(4), lequel prescrit que toutes les personnes qui ont le droit d’assister à une assemblée des actionnaires puissent y « participer de façon suffisante ». Il s’agit certes d’une exigence importante, mais elle ne répondrait pas aux préoccupations exposées précédemment, car elle ne concerne que l’égalité des droits liés à la participation à une assemblée en particulier, mais pas l’égalité des droits entre les dirigeants et les actionnaires pour ce qui est du choix du format de l’assemblée.

Plutôt que de laisser les tribunaux déterminer la portée du paragraphe 94(3) (et/ou les agences de conseil en vote qui, en l’absence de précisions législatives, pourraient définir leurs propres normes sur ce qu’une société ouverte peut inclure dans ses documents constitutifs), les « limites » et les « exigences » autorisées par le paragraphe 94(3) devraient être énoncées dans le projet de loi pour réduire au minimum le risque d’abus et garantir des normes de gouvernance égales et équitables pour la tenue des assemblées des actionnaires, notamment :

  • fournir à l’alinéa 94(3)a) des exemples de « modalités » selon lesquelles une assemblée des actionnaires peut se tenir, ou prévoir que les « modalités » autorisées seront prescrites par voie réglementaire;
  • établir clairement qu’une « assemblée des actionnaires » désigne l’ensemble des assemblées des actionnaires et que les règles mises en place par les sociétés concernant les modalités selon lesquelles une assemblée peut se tenir doivent s’appliquer également à l’ensemble des assemblées des actionnaires, qu’elles soient ou non contestées.

Si cette brèche n’est pas refermée, les modifications à la LSAO proposées dans le projet de loi 91 pourraient créer un terreau fertile d’où naîtront des batailles inutiles et prévisibles lors de courses aux procurations.

Le projet de loi 91, qui a pour titre abrégé Loi de 2023 visant à réduire les formalités administratives pour une économie plus forte, est à l’étape de la deuxième lecture et a été soumis au Comité permanent de la justice. S’il est approuvé, les modifications entreront en vigueur le 1er octobre 2023.

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