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Le Bureau de la concurrence met à l’épreuve les nouvelles dispositions de la loi canadienne concernant l’indication de prix partiel

Auteur : Charles Tingley

Le 18 mai 2023, le commissaire de la concurrence du Canada a déposé une requête (en anglais seulement) en vertu des dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») alléguant que Cineplex Inc. donne des indications fausses ou trompeuses au public sur son site Web et son application mobile concernant les prix de ses billets de cinéma. Le commissaire cherche à obtenir une ordonnance du Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») afin, entre autres choses, d’interdire les indications de prix, d’obliger Cineplex à dédommager les consommateurs touchés (jusqu’à concurrence de la somme totale payée pour les produits en question) et d’imposer à Cineplex une sanction administrative pécuniaire (une « SAP ») d’un montant devant être établi par le Tribunal. En vertu des dispositions civiles récemment modifiées concernant les indications trompeuses, le Tribunal peut imposer des SAP allant jusqu’à 10 millions de dollars canadiens ou, si elle est plus élevée, jusqu’à trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement (ou, si ce bénéfice ne peut être déterminé raisonnablement, jusqu’à 3 % des recettes globales brutes annuelles du défendeur).

Les arguments du Bureau de la concurrence

La poursuite du Bureau de la concurrence (le « Bureau ») porte sur ce que le Bureau allègue être des « frais de réservation en ligne » fixes et obligatoires qui sont ajoutés au prix initial des billets de cinéma pendant le processus d’achat sur le site Web et l’application mobile de Cineplex. Le Bureau allègue que la façon dont Cineplex ajoute les frais de réservation en ligne au prix de ses billets est contraire aux dispositions civiles de la Loi concernant les indications trompeuses, qui ont été modifiées en juin 2022 afin de désigner comme une indication trompeuse toute « indication d’un prix qui n’est pas atteignable en raison de frais obligatoires fixes [...] sauf si les frais obligatoires ne représentent que le montant imposé sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale ».

Dans sa requête, le Bureau décrit la séquence d’invites sur le site Web ou l’application de Cineplex qui, selon lui, enfreint les dispositions de la Loi concernant l’indication de prix partiel. Premièrement, les consommateurs accèdent au site Web ou lancent l’application de Cineplex et choisissent le film qu’ils souhaitent voir ainsi que la date, l’heure, le cinéma, le format du film ou d’autres options. Deuxièmement, les consommateurs doivent accéder à leur compte Cineplex afin d’être redirigés vers la page des billets, où ils voient pour la première fois les prix des billets qu’ils ont choisis. Troisièmement, après avoir indiqué le nombre de billets qu’ils souhaitent acheter, les consommateurs sont invités à procéder à leur achat, et des frais de réservation en ligne fixes et non remboursables sont alors ajoutés au prix.

Le Bureau allègue que la séquence décrite ci-dessus permet de conclure qu’il s’agit d’une indication de prix interdite selon les nouvelles dispositions de la Loi concernant les indications de prix partiel, et que le processus d’achat en ligne de Cineplex induit les consommateurs en erreur quant au prix réel de ses billets de cinéma :

  • Emplacement de l’information sur les frais sur la page Web. Le Bureau affirme que Cineplex affiche de manière visible les prix des billets de cinéma dans le haut de la page Web, tandis que les consommateurs doivent faire défiler la page jusqu’au bas pour voir une mention des frais de réservation en ligne.
  • Utilisation de rubans flottants. Le Bureau allègue que l’utilisation d’un ruban flottant qui reste visible en tout temps et invite le consommateur à « continuer » élimine la nécessité de faire défiler la page jusqu’à l’emplacement où les frais de réservation en ligne sont indiqués. Le Bureau note également que le ruban flottant contient un « sous-total » (et, plus tard dans le processus, un « total ») en petits caractères qui inclut les frais de réservation en ligne, mais qui ne décrit pas ces frais ni ne les ventile, de sorte qu’un calcul mental est nécessaire afin de réaliser que des frais ont été ajoutés au prix initial du billet.
  • Autres indices d’urgence. Le Bureau affirme par ailleurs qu’un compte à rebours est affiché à chaque étape du processus d’achat, et il estime que cet indice d’urgence incite les consommateurs à terminer leurs achats le plus rapidement possible et peut les empêcher de prendre connaissance des coûts supplémentaires affichés dans le sous-total ou le total ou de faire défiler la page jusqu’au bas, où sont affichés les frais de réservation en ligne.

Il convient de souligner que, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, la requête du Bureau n’allègue pas que les frais de réservation en ligne sont totalement cachés aux consommateurs. En effet, les consommateurs semblent être en mesure de prendre connaissance du montant des frais de réservation en ligne en cliquant sur un lien situé vis-à-vis les frais lorsque ceux-ci sont affichés pour la première fois à l’écran. L’argument essentiel soulevé dans la requête du Bureau est plutôt que les frais ne sont pas suffisamment ou clairement divulgués aux consommateurs pendant le processus d’achat. En outre, le Bureau reconnaît que les frais de réservation en ligne peuvent être réduits ou ne pas s’appliquer si le consommateur est membre de certains programmes de fidélité de Cineplex.

La réponse initiale de Cineplex

Cineplex n’a pas encore déposé de réponse officielle à la requête du commissaire, qui a été déposée le 18 mai 2023; cependant, le même jour, Cineplex a publié un communiqué (en anglais seulement) dans lequel elle affirmait qu’elle allait « demander une décision rapide » et s’attendait « à voir cette action en justice rejetée, car elle n’est pas fondée ». Dans son communiqué, Cineplex précise également que les frais de réservation en ligne sont « entièrement facultatifs et permettent de sélectionner les sièges à l’avance » et que « les invités de Cineplex peuvent également acheter leurs billets directement dans leur cinéma local sans avoir à payer ces frais de réservation modestes ».

Principaux points à retenir

  1. Les indications de prix partiel ou les « frais indésirables » continueront à faire l’objet de mesures d’application rigoureuses au Canada. La requête du Bureau est une indication claire que le Bureau surveillera la manière dont les entreprises appliquent des frais supplémentaires (non gouvernementaux) dans le processus d’achat. Cette procédure est cohérente avec les mesures d’application antérieures du Bureau alléguant l’indication de prix partiel dans les secteurs de la location d’automobiles et de la vente de billets sportifs et culturels, qui ont conduit à un certain nombre de consentements entre 2016 et 2020. Elle s’inscrit également dans la foulée des demandes formulées par les élus, ici et aux États-Unis, en faveur de l’élimination des « frais indésirables », qui ont suscité une attention politique accrue dans le contexte inflationniste actuel. Le budget fédéral de 2023 mentionne brièvement que le gouvernement s’efforce de réduire les « frais indésirables » pour les Canadiens et note que les types de frais susceptibles d’être ciblés comprennent les « frais d’itinérance des télécommunications élevés, les frais d’événement et de concert, les frais de bagages excessifs et les frais d’expédition et de fret injustifiés ».
  2. Le Bureau dispose de nouveaux pouvoirs conférés par le Parlement pour faire appliquer la Loi sur la concurrence, y compris le pouvoir d’imposer des sanctions civiles plus lourdes. La mesure d’application contre Cineplex démontre également les efforts déployés par le Bureau de la concurrence pour appliquer les nouvelles dispositions de la Loi concernant l’indication de prix partiel, qui sont entrées en vigueur il y a moins de 12 mois, soit en juin 2022. Une autre modification récente de la Loi – à savoir le renforcement des sanctions civiles maximales pour les pratiques commerciales trompeuses – pourrait également s’appliquer dans cette affaire. Comme il est indiqué ci-dessus, le Bureau de la concurrence peut désormais imposer des SAP allant jusqu’à trois fois l’avantage tiré de la conduite contestée ou, si l’avantage ne peut être raisonnablement déterminé, jusqu’à 3 % des recettes mondiales brutes annuelles du défendeur. Dans son avis de requête, le Bureau de la concurrence affirme que Cineplex a tiré 17 millions de dollars canadiens de ses frais de réservation en ligne au cours de la période de neuf mois se terminant le 31 mars 2023, citant les rapports trimestriels et annuels de Cineplex.
  3. Les entreprises devraient examiner la manière dont leurs indications en ligne sont présentées aux consommateurs dans différents formats et sur différents appareils. La requête du Bureau nous rappelle que la divulgation adéquate dans le domaine du marketing numérique peut dépendre des caractéristiques et des limites des canaux de communication en ligne. Les allégations du Bureau indiquent que divers facteurs contextuels pouvant être présents dans un environnement numérique, comme le défilement, les rubans flottants, la taille de la police et les « indices d’urgence », peuvent avoir une incidence sur le comportement d’un consommateur et, par conséquent, l’impression générale transmise à ce dernier. La requête donne un aperçu de la ligne de pensée du Bureau en matière d’application de la loi en ce qui concerne le marketing en ligne et, en particulier, la séquence des étapes lorsqu’un client interagit avec un site Web ou une application pour choisir et acheter des produits.
  4. Si elle est portée devant les tribunaux, cette affaire pourrait donner lieu à une interprétation judiciaire utile des nouvelles dispositions de la Loi concernant l’indication de prix partiel. Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la Loi concernant l’indication de prix partiel en juin 2022, le Bureau n’a pas publié de lignes directrices sur la manière dont il appliquera celles-ci. Les nouvelles dispositions considèrent comme trompeuse l’« indication d’un prix qui n’est pas atteignable en raison de frais obligatoires fixes », mais il n’est pas clair quelles combinaisons d’indications de prix et d’information sur les frais entrent ou non dans le champ d’application de ces dispositions et, en particulier, dans quelle mesure, le cas échéant, il est permis de présenter séparément les prix et les frais obligatoires fixes (non gouvernementaux).

Étant donné que les frais de réservation en ligne de Cineplex sont, dans les faits, divulgués aux consommateurs (qui peuvent obtenir de l’information supplémentaire en cliquant sur un lien) et sont indiqués dans le total, cette affaire peut fournir des indications sur le moment où une divulgation supplémentaire (dans un avertissement ou un message cliquable) peut être suffisante pour éviter de faire l’objet d’une allégation d’indication de prix partiel ou monter une « défense de diligence raisonnable » afin de contester l’imposition d’une SAP. En outre, le communiqué de Cineplex laisse présager un éventuel débat juridique sur la question de savoir si des frais fixes sont considérés comme « obligatoires » lorsqu’ils peuvent être évités en utilisant un autre moyen pour acheter le produit ou le service en question. On peut également se demander si les frais en question sont « fixes », puisque, selon la requête du Bureau, les frais de réservation en ligne de Cineplex peuvent varier ou ne pas s’appliquer selon que le consommateur participe ou non à certains programmes de fidélisation ou d’adhésion.

Davies possède une vaste expérience en matière de défense et de négociation de règlement dans le cadre d’affaires de publicité trompeuse ayant trait aux dispositions sur les indications trompeuses de la Loi sur la concurrence. Pour en savoir plus sur notre expérience dans ce domaine, veuillez communiquer avec un membre de notre équipe.

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