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Le droit de la concurrence au Canada : FAQ concernant la conformité durant la pandémie de COVID-19

Auteur : Charles Tingley

Les perturbations que connaissent les entreprises au Canada et dans le monde entier par suite de la crise de santé publique causée par la COVID-19 soulèvent diverses questions de droit de la concurrence auxquelles il importe de répondre pour que les entreprises soient en mesure de relever les défis et de saisir les occasions associés à la pandémie. Nous présentons ci-dessous un survol des principales questions.

Le groupe de pratique Concurrence et examen de l’investissement étranger de Davies est à la disposition de ses clients qui ont besoin d’assistance ou de conseils.


  1. Y a-t-il une dispense des dispositions du droit de la concurrence au Canada applicable en temps de « crise »?

Collaboration entre concurrents

  1. Est-ce que je peux m’allier avec des concurrents pour faire face aux problèmes que pose la pandémie de COVID-19?
  2. Quelle est l’information que je peux partager avec mes concurrents pour pouvoir réagir de manière coordonnée et efficace à la pandémie de COVID-19?
  3. En raison de la perturbation des activités de notre entreprise, nous devons réexaminer d’urgence la rémunération et les avantages de nos salariés; pouvons-nous effectuer une comparaison de nos pratiques en ressources humaines et de celles de nos concurrents?

Activités de marketing

  1. Comment est-ce que je peux faire la promotion de mes produits et services pour répondre aux besoins urgents des consommateurs au cours de la pandémie?
  2. Mes concurrents augmentent le prix des biens de consommation dont la demande connaît une forte hausse; puis-je faire de même?
  3. Je ne pourrai pas fournir à tous mes clients habituels les produits qu’ils commandent ou les volumes qu’ils achètent habituellement. La Loi sur la concurrence exige-t-elle que je répartisse ma production entre les clients de manière proportionnelle ou équitable?

Planification des opérations

  1. Mon entreprise étudie différents moyens de prêter des fonds à un concurrent ou d’acquérir des actions ou des actifs d’un concurrent. Que pouvons-nous faire sans déclencher l’exigence de préavis de fusion ou les périodes d’attente?
  2. La pandémie de COVID-19 aura-t-elle une incidence sur l’examen de mon opération de fusion si elle doit faire l’objet d’un préavis selon la Loi sur la concurrence?
  3. Un concurrent envisage de quitter définitivement le marché en raison de la baisse prévue de la demande de notre produit; est-ce que je peux acquérir le concurrent ou ses actifs d’exploitation sans risquer l’intervention du Bureau de la concurrence?
  4. Je suis un investisseur étranger qui cherche à acquérir une entreprise canadienne; le système d’examen des investissements étrangers du Canada est-il fermé pour le moment?

1. Y a-t-il une dispense des dispositions du droit de la concurrence au Canada applicable en temps de « crise »?

La Loi sur la concurrence ne contient aucun mécanisme permettant la suspension temporaire de ses dispositions en cas de crise ou de situation d’urgence. Par conséquent, à moins de nouvelles mesures gouvernementales suspendant clairement l’application, en totalité ou en partie, de la Loi sur la concurrence, soit de manière générale, soit pour certains secteurs d’activité, celle-ci continue de s’appliquer à toutes les entreprises au Canada. Dans certains autres pays, dont le Royaume-Uni, le gouvernement a proposé de suspendre temporairement les lois sur la concurrence à certaines fins, mais aucune proposition de cette nature n’a été faite au Canada.

Il se pourrait que certaines autres lois fédérales canadiennes contiennent des mesures qui permettraient éventuellement des dispenses d’application des exigences de la Loi sur la concurrence dans certains cas particuliers, ou leur suspension. Par exemple, la Loi sur les transports au Canada contient des dispositions permettant au cabinet fédéral, par décret, de prendre des mesures temporaires s’il estime qu’une perturbation extraordinaire de la bonne exploitation continuelle du réseau national des transports existe ou est imminente, que le fait de ne pas prendre un tel décret serait contraire aux intérêts des exploitants et des usagers du réseau et qu’il n’existe aucune autre disposition législative pour remédier aux dommages. Un tel décret peut ordonner la prise de moyens en vue de la stabilisation du réseau national des transports, dont l’imposition de restrictions relativement à la capacité et aux prix. Toute mesure prise en vertu d’un tel décret est dispensée de l’application de la Loi sur la concurrence. (Cette disposition a été invoquée en 1999, lorsque, par décret, la Loi sur la concurrence a été suspendue afin de faciliter les discussions et les éventuels accords ou ententes entre les grandes compagnies aériennes et les autres parties intéressées concernant la restructuration de l’industrie aérienne.) Il faudra voir si des dispositions semblables seront incluses dans la législation adoptée d’urgence ou seront mises en œuvre au cours de l’évolution de la pandémie de COVID-19.

En outre, il est possible que des activités requises, ordonnées ou autorisées, expressément ou implicitement, selon la législation fédérale ou provinciale adoptée en bonne et due forme, y compris toute législation pouvant être adoptée en réponse à la COVID-19, soient dispensées de l’application de certaines dispositions de la Loi sur la concurrence conformément au principe de common law du moyen de défense fondé sur un comportement réglementé.

Le Bureau de la concurrence du Canada et le Service des poursuites pénales du Canada disposent d’un pouvoir discrétionnaire important en ce qui concerne les activités qu’ils choisissent de contester ou pour lesquelles ils décident d’intenter une action en vertu de la Loi sur la concurrence. À cet égard, et comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin du 20 mars , dernier, le commissaire de la concurrence s’est dit « déterminé […] à appliquer les lois sur la concurrence du Canada d’une manière raisonnable et fondée sur des principes » dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Dans une déclaration plus récente, le Bureau a donné, le 8 avril dernier, d’autres indications voulant que « les circonstances exceptionnelles entourant la pandémie de COVID-19 peuvent demander l’établissement rapide de collaborations entre concurrents d’envergure et de durée limitées afin d’assurer la fourniture et prestation des produits et services essentiels aux Canadiens ». Le Bureau ajoute qu’il « souhaite donc signaler qu’il s’abstiendra généralement d’exercer un contrôle dans la mesure où il y a un impératif clair en faveur de la collaboration d’entreprises à court terme dans le cadre de la réponse à la crise et où les collaborations sont entreprises et effectuées de bonne foi sans dépasser ce qui est absolument nécessaire ». Cela étant dit, dans ses déclarations récentes, le commissaire souligne également que le Bureau continuera de faire preuve de vigilance à l’égard d’ententes illégales entre concurrents et a prévenu qu’il n’y aura « aucune tolérance » envers toute tentative d’abuser de la flexibilité décrite ci-dessus ou d’une orientation informelle en vue de dissimuler un comportement non nécessaire qui enfreindrait la Loi sur la concurrence. Même dans les cas où le Bureau n’a pris aucune mesure d’application de la loi, les entreprises doivent être conscientes du risque de poursuites civiles (d’actions collectives, par exemple) en cas d’infractions à la Loi sur la concurrence pour tout comportement susceptible de contrevenir aux dispositions en matière pénale de cette loi et de causer un préjudice économique à toute personne ou entité. Pour un résumé détaillé de la déclaration du 8 avril du Bureau et de ses incidences, veuillez consulter notre bulletin du 9 avril.

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Collaboration entre concurrents

2. Est-ce que je peux m’allier avec des concurrents pour faire face aux problèmes que pose la pandémie de COVID-19?

La COVID-19 et les mesures de santé publique prises pour lutter contre celle-ci ont créé des difficultés pour les entreprises qui peuvent, dans certaines circonstances, justifier une réponse coordonnée entre concurrents. En effet, il est même possible que les autorités publiques demandent aux participants d’un secteur d’activité, et même à des concurrents directs, de collaborer en vue de cette lutte. En général, la Loi sur la concurrence interdit comme actes criminels (pouvant être l’objet d’une action en dommages-intérêts) les accords ou ententes entre concurrents visant à : fixer ou contrôler les prix, la production ou la fourniture; attribuer les ventes, les territoires, les clients ou les marchés; ou truquer les offres. Toutefois, comme l’a noté le Bureau de la concurrence dans une déclaration récente, la Loi prévoit des exceptions à cette interdiction dans certains cas, notamment lorsque la coordination entre concurrents est raisonnablement nécessaire et directement liée à un accord plus large et légal par ailleurs entre les parties. Un tel accord plus large pourrait, par exemple, inclure une coentreprise visant à maximiser la production de produits essentiels dont on est en pénurie, à gérer efficacement des problèmes de chaîne d’approvisionnement ou de livraison ou à mettre en place des normes de santé et de sécurité pour les clients, les fournisseurs, le personnel ou des tiers. Outre les interdictions ci-dessus en matière pénale, la Loi sur la concurrence contient des dispositions civiles qui permettent au Bureau de contester les accords entre concurrents qui sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché.

La Loi sur la concurrence comprend un mécanisme permettant aux parties de demander au Bureau de la concurrence un avis écrit liant celui-ci sur l’applicabilité d’une disposition de la législation sur la concurrence à une collaboration proposée entre concurrents. Toutefois, le Bureau, par le passé, a été peu désireux ou incapable de donner des avis satisfaisants en temps opportun, surtout lorsqu’il ne pouvait connaître avec certitude tous les faits pertinents. Cela étant dit, le Bureau a annoncé, le 8 avril 2020, qu’il a « créé une équipe qui évaluera les collaborations proposées et conseillera le commissaire sur l’orientation informelle qu’il peut fournir » en vue « de faciliter une prise de décision rapide afin de permettre aux entreprises de contribuer aux efforts de réponse à la crise ». Le Bureau a indiqué le type de renseignements que les parties qui souhaitent obtenir une orientation informelle doivent présenter et a prévenu que le Bureau pourrait solliciter la rétroaction de parties prenantes et de personnes-ressources du marché, notamment d’autres instances gouvernementales, et imposer des conditions relativement aux collaborations proposées. En outre, toute orientation fournie par le Bureau sera limitée dans le temps et, suivant l’expiration de la période prévue, les parties devront confirmer que la collaboration a pris fin ou demander à ce que l’orientation soit prolongée. Le Bureau a également souligné que son orientation informelle ne protégerait pas un comportement contre une éventuelle action privée et qu’elle pourrait être rendue publique par souci de transparence. Contrairement aux engagements récents du Department of Justice et de la Federal Trade Commission des États-Unis voulant qu’ils procéderaient à l’examen des projets de collaboration entre concurrents liés à la pandémie de COVID-19 dans un délai accéléré précis (c’est-à-dire 7 jours suivant la réception des renseignements requis), l’annonce du Bureau ne mentionne aucun délai précis en ce qui concerne les examens effectués dans le cadre de la nouvelle mesure. Notre bulletin du 9 avril résume plus en détail l’annonce du 8 avril du Bureau et ses incidences.

Les parties qui projettent de collaborer avec des concurrents relativement à des situations liées à la COVID-19 devraient faire appel à un avocat pour l’élaboration de leur projet. Il serait utile dans tous les cas de documenter les objectifs de rehaussement de la concurrence ou de l’efficacité ou les autres objectifs légitimes de la collaboration (dont, le cas échéant, le fait que la collaboration proposée est entreprise à la demande des autorités publiques, des clients ou d’autres parties prenantes dont les intérêts seront ainsi protégés) ainsi que les raisons pour lesquelles toute restriction de la concurrence est raisonnablement nécessaire à l’atteinte des objectifs généraux de la collaboration. La légitimité juridique des collaborations entreprises en raison de la COVID-19 devraient faire l’objet d’un examen régulier et ponctuel, particulièrement lorsqu’un changement survient dans la situation d’urgence.

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3. Quelle est l’information que je peux partager avec mes concurrents pour pouvoir réagir de manière coordonnée et efficace à la pandémie de COVID-19?

Le simple échange de renseignements entre concurrents n’est pas interdit par la Loi sur la concurrence. Toutefois, l’échange entre concurrents de renseignements sensibles du point de vue de la concurrence peut constituer une entente ou un accord interdit concernant, par exemple, les prix, la production ou l’attribution des clients ou des marchés (ou peut être considéré comme la preuve d’une telle entente ou d’un tel accord). Il se peut, également, que les communications entre concurrents soulèvent des préoccupations quant à un « affaiblissement » potentiel de la concurrence découlant de la transparence accrue des prix et de la possibilité accrue pour les concurrents de coordonner leurs stratégies commerciales sans conclure de véritables accords.

Comme c’est le cas pour les autres collaborations entre eux, les concurrents se doivent de gérer attentivement les accords ou ententes comprenant un échange de renseignements, afin d’atténuer les risques d’être l’objet de mesures d’application de la Loi sur la concurrence. À cette fin, ils doivent, notamment, apporter la preuve de l’efficacité et des autres avantages légitimes résultant du partage de renseignements. Chaque cas d’échange de renseignements doit être évalué à partir des faits qui lui sont propres; cependant, en général :

  • les renseignements à échanger devraient se limiter à ceux qui sont raisonnablement requis aux fins de l’objectif légitime poursuivi. Dans tous les cas possibles, les parties devraient chercher à atteindre leur objectif légitime par l’échange de renseignements qui ne sont pas (ou sont moins) sensibles du point de vue de la concurrence (en évitant, par exemple, l’échange de renseignements sur les intentions quant aux prix ou aux stratégies futurs ou de renseignements détaillés sur le coût des intrants);
  • lorsqu’elles doivent échanger des renseignements sensibles du point de vue de la concurrence, les parties concurrentes devraient envisager :
    • de confier à un tiers indépendant la gestion de la cueillette, du traitement et de la diffusion de ces renseignements, afin de réduire le plus possible les communications directes entre elles et la détection de renseignements sensibles portant sur des participants au marché précis;
    • de mettre en œuvre des mesures strictes de protection de la confidentialité, y compris, dans les cas appropriés, en limitant l’accès aux renseignements au sein des entreprises participantes à des équipes « neutres » composées de personnes ne participant pas directement et quotidiennement à la fixation des prix, aux activités de marketing ou à d’autres fonctions sensibles du point de vue de la concurrence;
  • les concurrents qui participent à des réunions de leur secteur d’activité devraient mettre en place les mesures de protection habituellement exigées par la législation sur la concurrence, comme le respect d’un ordre du jour approprié convenu à l’avance et l’enregistrement des discussions.

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4. En raison de la perturbation des activités de notre entreprise, nous devons réexaminer d’urgence la rémunération et les avantages de nos salariés; pouvons-nous effectuer une comparaison de nos pratiques en ressources humaines et de celles de nos concurrents?

Les sujets liés aux ressources humaines sont récemment devenus des sujets « chauds » en droit de la concurrence, en raison de plusieurs procédures très médiatisées relevant de la législation antitrust aux États-Unis et de l’affectation prioritaire des ressources de répression en matière pénale de ce pays à la lutte contre les accords de fixation des salaires et contre le débauchage des employés intervenus entre des employeurs se faisant concurrence pour la main-d’œuvre.

Au Canada, la Loi sur la concurrence n’interdit pas clairement la fixation des prix ou l’attribution des marchés en ce qui concerne l’achat (par opposition à la production ou à la fourniture) d’intrants comme la main-d’œuvre. En effet, en 2009, lorsque ses dispositions concernant le complot, comme acte criminel, ont été modifiées de manière substantielle, la mention de l’« achat » d’un produit ou d’un service a été supprimée; les lignes directrices actuelles du Bureau de la concurrence laissent supposer qu’il évaluera les accords entre concurrents concernant les achats uniquement à la lumière des dispositions civiles de la Loi sur la concurrence concernant la collaboration entre concurrents afin de déterminer s’ils sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Toutefois, étant donné l’importance des mesures d’application de la législation antitrust américaine sur les marchés du travail (possiblement au-delà des frontières américaines) et le fait que le Bureau a déclaré être en train de revoir ses lignes directrices existantes, il serait prudent d’éviter tout comportement qui pourrait être considéré comme comportant un accord avec des concurrents sur la rémunération ou l’embauche de salariés. De plus, les employeurs seraient bien avisés de suivre les mises en garde générales énoncées ci-dessus à l’égard de toute collaboration proposée avec des concurrents et toute entente de partage de renseignements conclue avec des concurrents à des fins de comparaison.

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Activités de marketing

5. Comment est-ce que je peux faire la promotion de mes produits et services pour répondre aux besoins urgents des consommateurs au cours de la pandémie?

Comme nous l’avons mentionné dans notre bulletin du 20 mars, le Bureau de la concurrence a indiqué qu’il donne la priorité, en ce qui concerne l’application de la loi, aux pratiques commerciales trompeuses de ceux qui chercheraient à profiter des consommateurs pendant la pandémie de COVID-19. Le Bureau surveille particulièrement le marché pour repérer toutes « allégations fausses et trompeuses sur la capacité d’un produit à prévenir, à traiter ou à guérir la COVID-19 ». En plus d’interdire les indications qui sont fausses ou trompeuses d’une façon importante et qui ont pour but de faire la promotion d’un produit, d’un service ou d’un intérêt commercial, la Loi sur la concurrence contient des dispositions visant expressément à assurer l’exactitude des allégations de rendement. Il y est précisé que toute allégation concernant le rendement ou l’efficacité d’un produit doit être fondée sur une épreuve antérieure suffisante et appropriée, même si l’allégation s’avère fondée par la suite.

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6. Mes concurrents augmentent le prix des biens de consommation dont la demande connaît une forte hausse; puis-je faire de même?

Rien dans la Loi sur la concurrence n’interdit à un détaillant de fixer unilatéralement ses prix pour des produits ou services, ou d’ajuster ses prix pour tenir compte de l’offre et de la demande et d’autres facteurs commerciaux pertinents, comme l’augmentation du coût des intrants. Toutefois, les prix, y compris tous les frais et droits obligatoires, doivent être clairement communiqués en amont aux consommateurs pour que ceux-ci ne soient pas induits en erreur sur le coût total. Étant donné l’augmentation des achats en ligne pendant la pandémie de COVID-19, on peut s’attendre à ce que le Bureau de la concurrence continue, voire intensifie, ses mesures d’application de la loi à l’égard des pratiques de présentation de prix partiels (consistant à appliquer des frais et des droits obligatoires à l’une des dernières étapes du processus d’achat, par exemple au moment du paiement d’une opération en ligne).

En raison des préoccupations concernant le gonflement éventuel des prix durant la pandémie de COVID-19, d’autres lois ou mesures ont été ou pourraient être adoptées par les autorités pour interdire ce type de pratique. Par exemple, le 27 mars 2020, un décret a été publié en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence de l’Ontario (la « Loi sur la protection civile ») interdisant la vente ou l’offre de vente de « biens nécessaires », y compris les masques, les gants, les médicaments sans ordonnance pour le traitement des symptômes de la COVID-19, les agents désinfectants et les produits d’hygiène personnelle, à un « prix exorbitant ». Le principe de prix exorbitant, qui n’est pas strictement limité à ce décret, inclut expressément « un prix qui est outrageusement supérieur à celui auquel des denrées semblables sont accessibles à des consommateurs semblables ». Le décret ne s’applique pas aux fabricants, aux distributeurs ou aux grossistes et se limite aux détaillants ou aux particuliers qui ne faisaient pas habituellement le commerce des « biens nécessaires » avant le 17 mars 2020, date à laquelle la situation d’urgence a été déclarée. Quiconque ne se conforme pas au décret peut se voir imposer une contravention de 750 $ ou être l’objet d’une accusation en vertu de la Loi sur la protection civile comportant une amende maximale de 100 000 $ s’il s’agit d’un particulier (ou de 500 000 $ s’il s’agit de l’administrateur ou du dirigeant d’une société) et un emprisonnement maximal d’un an, ou une amende maximale de 10 millions de dollars s’il s’agit d’une société par actions. En outre, la Loi sur la protection civile prévoit qu’une personne est coupable d’une infraction distincte pour chaque journée pendant laquelle l’infraction est commise ou se poursuit. Le décret demeure en vigueur pendant la durée de la situation d’urgence. Les consommateurs peuvent signaler tout comportement qui enfreint le décret à Protection du consommateur de l’Ontario en remplissant un formulaire de plainte ou en utilisant la nouvelle ligne téléphonique créée à cette fin.

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7. Je ne pourrai pas fournir à tous mes clients habituels les produits qu’ils commandent ou les volumes qu’ils achètent habituellement. La Loi sur la concurrence exige-t-elle que je répartisse ma production entre les clients de manière proportionnelle ou équitable?

En général, la Loi sur la concurrence n’empêche pas les fournisseurs de prendre unilatéralement des décisions concernant l’offre de leurs produits et la répartition d’une offre limitée entre leurs clients. Dans certains contextes, les politiques de bas prix de fournisseurs peuvent être remises en question pour motif de discrimination à l’encontre de personnes, mais en général, les fournisseurs ne contreviendront pas à la Loi sur la concurrence s’ils prennent unilatéralement et de bonne foi des décisions concernant la répartition d’une offre qui est limitée en raison d’une situation d’urgence telle que la pandémie de COVID-19.

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Planification des opérations

8. Mon entreprise étudie différents moyens de prêter des fonds à un concurrent ou d’acquérir des actions ou des actifs d’un concurrent. Que pouvons-nous faire sans déclencher l’exigence de préavis de fusion ou les périodes d’attente?

L’acquisition (quelle que soit la manière dont elle est faite) d’un contrôle sur une participation importante dans l’entreprise d’une autre personne (y compris un concurrent ou un concurrent potentiel) peut être examinée par le Bureau de la concurrence en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux fusions et contestée devant le Tribunal de la concurrence jusqu’à un an après sa clôture. Toutefois, seuls certains genres d’opérations (les acquisitions d’actifs, d’actions avec droit de vote et de titres de participation dans une association d’intérêts non constituée en société par actions, ainsi que les fusions et la formation d’associations d’intérêts non constituées en société par actions) doivent faire l’objet d’un avis préalable à la clôture. Les opérations qui, en général, ne font pas partie de ces catégories, comme les prêts, les acquisitions d’actions sans droit de vote et les contrats de fourniture, ne doivent pas faire l’objet d’un tel avis. Même parmi les catégories d’opérations pouvant faire l’objet d’une exigence d’avis, des limites de propriété et d’autres limites financières doivent être dépassées avant que l’exigence d’avis soit déclenchée. Par exemple :

  • les acquisitions de certaines participations minoritaires n’ont pas à faire l’objet d’un avis, notamment : (i) les acquisitions d’actions avec droit de vote ne constituant pas plus de 20 % (pour une société ouverte) ou 35 % (pour une société fermée) de l’ensemble des actions avec droit de vote de la société, ou (ii) les acquisitions de titres de participation dans une association d’intérêts non constituée en société par actions comme une société en commandite, conférant à l’acquéreur 35 % au plus des bénéfices de l’association d’intérêts ou de ses actifs au moment de sa dissolution;
  • lorsqu’un acquéreur détenait déjà, avant l’opération visée, une position minoritaire dépassant les limites de participation susmentionnées, la nouvelle opération d’acquisition ne déclenchera pas l’exigence d’avis, à moins qu’elle ne porte la proportion des actions avec droit de vote ou des titres de participation, selon le cas, de l’acquéreur à plus de 50 % de l’ensemble des actions ou des titres de participation. (Les acquisitions additionnelles par des parties détenant déjà la majorité des actions avec droit de vote d’une société ou des titres de participation dans une association d’intérêts ne doivent pas faire l’objet d’un avis);
  • malgré ce qui précède, aucune opération ne doit faire l’objet d’un avis si les parties à l’opération et l’entreprise ou les actifs visés ne dépassent pas certaines limites financières mesurées en fonction de la valeur comptable des actifs situés au Canada et du revenu brut tiré de ventes au Canada ou en direction ou en provenance du Canada.

En outre, les investisseurs non canadiens doivent être conscients du fait que les fusions et acquisitions peuvent être l’objet d’un examen de leur « avantage net » préalable à la clôture, selon les dispositions de la Loi sur Investissement Canada (bien que ces examens soient devenus moins fréquents vu les limites financières relativement élevées devant être dépassées dans la plupart des acquisitions d’entreprises canadiennes non culturelles), et que pratiquement tous les investissements dans des entreprises canadiennes peuvent potentiellement être l’objet d’un examen pour des raisons de sécurité nationale. À cet égard, la pandémie de COVID-19 a peut-être élargi le champ des entreprises pouvant être considérées comme importantes pour la sécurité nationale.

La détermination de l’applicabilité de l’exigence d’avis ou de l’exigence d’examen préalables à la fusion, conformément à la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur Investissement Canada, peut être relativement complexe, de sorte qu’il est important de consulter à cette fin un avocat dès le début du processus de planification.

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9. La pandémie de COVID-19 aura-t-elle une incidence sur l’examen de mon opération de fusion si elle doit faire l’objet d’un préavis selon la Loi sur la concurrence?

Il est important de noter que les délais que prévoit la Loi sur la concurrence n’ont pas changé. Par conséquent, à l’expiration de la période d’attente prévue et en l’absence d’une ordonnance du Tribunal de la concurrence interdisant la clôture de l’opération, les parties peuvent légalement mettre en œuvre une opération devant faire l’objet d’un préavis (en supposant qu’elles ont satisfait aux autres exigences réglementaires imposées au Canada et ailleurs). Les parties qui procèdent à la clôture sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du Bureau de la concurrence le font au risque de voir le Bureau, s’il n’a pas terminé son examen, imposer des mesures correctives avant ou après la clôture, y compris des injonctions, un dessaisissement ou une dissolution, s’il estime que l’opération est susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché quelconque.

Comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin du 20 mars, le Bureau travaille actuellement à distance et a reconnu qu’il pourrait ne pas être en mesure de respecter ses normes de service non contraignantes pour l’achèvement de l’examen de fusions. Les parties à une fusion devraient, notamment, s’assurer que des représentants compétents sont disponibles pour répondre rapidement aux demandes d’information du Bureau et, dans la mesure du possible, aider le Bureau à établir, en temps opportun, des contacts avec les intervenants des marchés, en lui transmettant les coordonnées de leurs clients et fournisseurs, par exemple. Selon l’urgence de l’opération, les parties à la fusion devraient examiner attentivement leurs stratégies pour ce qui est de la production des documents connexes de manière à pouvoir bénéficier des délais prévus par la loi au besoin. Il est conseillé de communiquer rapidement et régulièrement avec la Direction des fusions du Bureau.

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10. Un concurrent envisage de quitter définitivement le marché en raison de la baisse prévue de la demande de notre produit; est-ce que je peux acquérir le concurrent ou ses actifs d’exploitation sans risquer l’intervention du Bureau de la concurrence?

Le fait qu’une acquisition vise une entreprise en difficulté ne dispense pas l’acquéreur des exigences du Bureau de la concurrence en ce qui concerne l’application de la loi ou de l’exigence d’avis préalable décrite ci-dessus. Même si le facteur temps peut être extrêmement important pour une telle opération, il importe de respecter les exigences quant à l’avis préalable et à la période d’attente, dont le non-respect peut entraîner des amendes en matière pénale ou des sanctions importantes en matière civile. De même, il est possible qu’en procédant prématurément, c’est-à-dire avant la clôture, à l’intégration des activités de la cible, pour ce qui est des prix, des clients ou de la production par exemple, l’acquéreur s’expose au risque que ces actions prématurées soient considérées comme des infractions aux dispositions de la Loi sur la concurrence s’appliquant aux cartels.

Toutefois, il est possible que le Bureau prenne en considération des questions particulières pour déterminer si un projet d’acquisition visant une entreprise en difficulté financière soulève des problèmes en matière de droit de la concurrence suffisamment importants pour justifier des mesures correctives. En vertu de la Loi sur la concurrence, le Bureau et, en dernier ressort, le Tribunal de la concurrence, peuvent tenir compte du fait qu’une entreprise cible a fait faillite ou est susceptible de faire faillite. Les avantages, sur le plan social, de l’acquisition d’une telle cible, comme la préservation des emplois, ne seront pas directement pertinents aux fins de l’examen du Bureau. Toutefois, la preuve de la sortie probable de la cible du marché concerné permet d’affirmer que la perte du poids concurrentiel de l’entreprise défaillante après la fusion ne peut être attribuée à la fusion. Si cette argumentation centrée sur la faillite de la cible peut être fructueuse, elle peut ne pas être stratégiquement nécessaire ou souhaitable dans de nombreuses circonstances et, de plus, elle peut être difficile à étayer. Le Bureau exigera des preuves que la cible risque de devenir insolvable, d’engager une procédure de faillite volontaire, de faire l’objet d’une requête de mise en faillite ou de mise sous séquestre ou de quitter le marché de toute autre manière. En outre, le Bureau souhaitera s’assurer qu’il n’existe pas de solution de rechange à l’opération proposée susceptible de créer un niveau de concurrence considérablement plus élevé que l’opération proposée. Pour s’en assurer, le Bureau déterminera (i) s’il existe un tiers acquéreur préférable sur le plan concurrentiel (et si des recherches poussées ont été faites pour trouver un tel acquéreur); (ii) si la cible pourrait survivre en tant que concurrent sérieux en réduisant ou en restructurant ses activités; et (iii) s’il y a des chances que la liquidation de la cible entraîne une concurrence considérablement plus importante que la concurrence qui résulterait de la réalisation de la fusion proposée, en facilitant l’entrée sur le marché de concurrents ou en permettant aux concurrents réels ou potentiels de mieux se concurrencer pour obtenir les clients ou les actifs de l’entreprise, par exemple.

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11. Je suis un investisseur étranger qui cherche à acquérir une entreprise canadienne; le système d’examen des investissements étrangers du Canada est-il fermé pour le moment?

Pour le moment, les fonctionnaires chargés de l’administration de la Loi sur Investissement Canada n’ont fait aucune déclaration publique concernant l’incidence de la pandémie de COVID-19 sur l’examen des investissements étrangers et le délai nécessaire à un tel examen. Cela dit, il est possible que les répercussions généralisées de la pandémie sur les entreprises et les infrastructures essentielles du Canada accroissent la complexité et l’incertitude des examens effectués en vertu de cette loi pour déterminer si une acquisition présente un « avantage net » probable pour le Canada ou un risque potentiel pour la sécurité nationale. Il se peut, par exemple, en raison de la grave perturbation de la planification des entreprises causée par la COVID-19, et de la fragilité financière potentielle à la fois des cibles des acquisitions et des acquéreurs, qu’il soit plus difficile dans certaines circonstances pour les autorités d’évaluer l’avantage net probable d’un investissement qui est l’objet d’un examen comparativement à la situation qui existerait en l’absence de l’investissement. En outre, étant donné que les infrastructures essentielles du Canada (les soins de santé, les systèmes financiers, les transports et d’autres services clés, notamment) sont sous pression et au centre de l’attention, il est possible que le gouvernement fédéral se concentre particulièrement, pour ce qui est de l’examen des investissements étrangers, sur le maintien des capacités locales et la maîtrise des chaînes d’approvisionnement essentielles dans de nombreux secteurs d’activité. Les investisseurs étrangers qui envisagent de réaliser des opérations sensibles devraient continuer à faire appel à des conseillers juridiques et, le cas échéant, à consulter les autorités et des conseillers en relations publiques dès que possible dans le processus de planification.

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