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Concurrence et examen de l’investissement étranger : principales tendances et questions à suivre en 2019

Dans nos prévisions annuelles de 2019 sur ce que l’avenir nous réserve au chapitre du droit de la concurrence et de l’examen de l’investissement étranger au Canada, nous présentons les grandes questions et tendances qui, selon nous, mériteront d’être surveillées cette année. La nomination prochaine du nouveau commissaire de la concurrence, les élections fédérales à venir à l’automne 2019, ainsi que les décisions et les lignes directrices d’intérêt qui ont émané ou émaneront bientôt du Bureau de la concurrence, des tribunaux judiciaires et du Tribunal de la concurrence ne manqueront pas d’avoir une incidence importante sur les entreprises du Canada.

Nouvelle direction au Bureau de la concurrence et année de transition

L’année 2019 en sera une de transition au Bureau de la concurrence, le mandat d’un an du commissaire par intérim Matthew Boswell prenant fin le 31 mai 2019. Le gouvernement fédéral devrait annoncer la nomination d’un commissaire au début de l’année.

La personne qui sera investie de cette fonction orientera vraisemblablement les politiques et les priorités du Bureau pour les cinq prochaines années. Bien que le commissaire par intérim Boswell, dans la foulée du commissaire John Pecman, ait maintenu le cap sur l’économie et l’innovation numériques, le nouveau commissaire pourrait très bien privilégier d’autres thèmes, dont les mesures d’application des dispositions civiles et pénales de la loi, ou mettre l’accent sur d’autres secteurs de l’économie.

Nous surveillerons la transition de près, car nous nous attendons à ce que le choix du prochain commissaire ait une incidence importante sur bon nombre des autres tendances dont il est question ci-après. Par exemple, si le nouveau commissaire est issu des rangs du Bureau, il ne faudra pas s’attendre, selon nous, à ce que les orientations actuelles du Bureau soient modifiées en profondeur. En revanche, un nouveau venu pourrait choisir de remodeler les priorités du Bureau.

L’économie numérique

En phase avec les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour faire en sorte que le Canada tire parti avec brio des occasions qu’offre l’économie numérique au chapitre de l’activité économique et des investissements, les questions touchant l’économie numérique et la promotion de l’innovation demeureront vraisemblablement au centre des priorités du Bureau liées à l’application de la loi et à la promotion de la concurrence en 2019. D’ailleurs, selon le Plan annuel 2018-2019 du Bureau, ce dernier compte mener des enquêtes sur plus de 45 questions touchant l’économie numérique (voir notre publication sur le plan annuel du Bureau pour l’année 2018-2019).

Le Bureau s’emploie également à renforcer sa capacité d’application de la loi dans le domaine du numérique pour mieux comprendre les technologies nouvelles et celles en évolution, comme les algorithmes de tarification et les technologies de la chaîne de blocs. À cet effet, le Bureau a créé un nouveau poste d’agent en chef responsable des lois relatives à l’économie numérique afin de renforcer les connaissances et les capacités du Bureau dans ce domaine. À notre connaissance, ce poste reste à pourvoir, et le Bureau cherche à l’extérieur de ses rangs une personne possédant l’expertise pertinente.

En toute vraisemblance, les questions liées à l’économie numérique s’inviteront dans le débat à l’occasion de la prochaine élection. Nous suivrons donc de près l’évolution de la position du Bureau et de ses priorités en matière d’application de la loi à cet égard, tout particulièrement sous la gouverne du prochain commissaire et compte tenu de l’attention accrue accordée dans le monde aux questions entourant les mégadonnées, en particulier celles de savoir s’il faut réglementer les « monopoles de données » (dataopolies) et comment les algorithmes pourraient servir à faciliter la collusion. (Pour une analyse approfondie de l’émergence des algorithmes et des questions que leur utilisation soulève sur le plan de la concurrence, lire cet article [en anglais] cosigné par l’associée de Davies Anita Banicevic.)

S’il est vrai que les efforts de coordination entre le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et le Bureau de la concurrence sont limités par les pouvoirs que la loi leur confère respectivement, il reste que le Bureau de la concurrence dispose de pouvoirs d’application de la loi plus étendus et qu’il classe la communication inadéquate des politiques relatives à la protection de la vie privée et à la collecte de données parmi les pratiques commerciales trompeuses contraires à la Loi sur la concurrence. On peut donc s’attendre à ce que le Bureau sévisse plus énergiquement contre les politiques inadéquates ou trompeuses en matière protection de la vie privée et de collecte de données à compter de 2019.

Allongement des délais d’examen des fusions et augmentation des frais de dépôt

Dans le cadre de l’examen de plusieurs fusions récentes, dont celles entre Luxottica et Essilor, entre Dow et Dupont, entre Bayer et Monsanto et entre Agrium et Potash Corp, il a fallu plus d’un an avant d’obtenir les approbations requises des autorités de réglementation de la concurrence à l’échelle mondiale. Ainsi qu’en faisait état l’associé de Davies John Bodrug au Globe and Mail (dans un article en anglais), ces opérations illustrent une tendance préoccupante à l’allongement des délais d’examen des fusions ainsi que les risques dont les sociétés doivent tenir compte avant d’opter pour une fusion stratégique. Au Canada, le délai d’examen moyen des fusions complexes par le Bureau a considérablement augmenté ces dernières années, passant d’environ 36 jours en 2015-2016 à près de 53 jours en 2017-2018.

De plus, le 1er mai 2018, le Bureau a augmenté les frais de dépôt des préavis de fusion, qui sont passés de 50 000 dollars canadiens à 72 000 dollars canadiens. Le Bureau a également annoncé que les frais de dépôt seraient dorénavant assujettis à l’inflation et révisés chaque année. Le Bureau ne s’est cependant pas fermement engagé à accélérer le traitement des dossiers à la faveur de cette augmentation de revenu. Le Bureau peut bien imputer l’allongement des délais d’examen à la concentration qui s’opère dans certains secteurs et à l’émergence de questions nouvelles dans les marchés naissants, il reste que cette tendance et l’augmentation des frais accroissent l’incertitude sur les marchés et risquent de décourager les investissements et de freiner la croissance économique. De son côté, le département de la Justice des États-Unis voit les longs délais d’examen des fusions comme un problème et, en septembre 2018 (nouvelles du département écrites en anglais), a mis en œuvre de nouvelles procédures destinées à accélérer le processus d’examen. Nous avons présenté plusieurs propositions visant à accroître l’efficacité du processus d’examen des fusions au Canada.

Les examens relatifs à la sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada marqués par l’incertitude

En 2018, le gouvernement canadien a refusé d’autoriser l’acquisition projetée de Aecon Group Inc., importante société canadienne de services de construction, par China Communications Construction Company International Holding Limited pour des motifs liés à la sécurité nationale. (Davies agissait comme conseiller juridique de Aecon dans le cadre de cette opération.) Ce recours aux dispositions de la Loi sur Investissement Canada ayant trait à l’examen relatif à la sécurité nationale, en particulier dans le contexte où le gouvernement en poste aux États-Unis semble vouloir adopter une position plus ferme à l’égard de l’investissement chinois sur son territoire (si l’on en juge notamment par les informations rapportées par les médias selon lesquelles les États-Unis ont fait pression sur d’autres gouvernements, dont celui du Canada, pour empêcher Huawei de participer à la construction de l’infrastructure de télécommunications 5G), montre que le processus d’examen de l’investissement étranger aux termes de la Loi sur Investissement Canada n’est pas qu’une simple formalité, surtout lorsqu’il est question de sociétés d’État chinoises. Quoi qu’il en soit, le gouvernement canadien s’évertue à répéter que tous les investissements sont examinés au cas par cas et que le Canada demeure très ouvert aux investisseurs.

La décision du gouvernement dans l’affaire Aecon n’a certes pas contribué à clarifier les choses pour les investisseurs futurs. Le gouvernement n’a pas expliqué publiquement les motifs qui l’ont conduit à ouvrir un examen relatif à la sécurité nationale ou à refuser l’investissement au bout du compte. En conséquence, l’envergure des investissements que peuvent réaliser des sociétés d’État de la Chine ou d’autres pays sous l’autorité du gouvernement du Canada actuel demeure incertaine. En raison de ce manque de transparence et de l’absence de lignes directrices claires, les investisseurs étrangers doivent plus que jamais préparer soigneusement leurs échanges avec le gouvernement et obtenir les conseils d’experts capables de les guider tout au long du processus.

Les nouvelles lignes directrices pourraient neutraliser la défense fondée sur les gains en efficience

Le cadre régissant les fusions du Canada a ceci de particulier qu’il prévoit une défense positive fondée sur les gains en efficience découlant du fusionnement. Dans certains cas, cela peut vouloir dire qu’une fusion qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence pourrait néanmoins échapper à une contestation fondée sur la Loi sur la concurrence parce qu’elle entraîne des gains en efficience plus grands que ses effets anticoncurrentiels ou qui compensent de tels effets. La Cour suprême du Canada (la « CSC ») s’est prononcée en 2015 sur l’application de la défense fondée sur les gains en efficience dans la décision Tervita (voir notre publication sur la décision Tervita). En 2018, le Bureau a publié une version préliminaire d’un Guide pratique sur l’analyse des gains en efficience lors des examens de fusions, dans le but de faire connaître la position à jour du Bureau sur l’application de la défense fondée sur les gains en efficience.

Les avocats spécialisés en droit de la concurrence n’ont pas tardé à formuler des critiques et des demandes de révision à l’égard de ce projet de lignes directrices. L’Association du Barreau canadien s’est dite d’avis (lettre en anglais) que certains éléments des lignes directrices sont incompatibles avec une approche pragmatique et avec la jurisprudence en vigueur. Par exemple, le Bureau recommande aux parties qui invoquent une défense fondée sur les gains en efficience de présenter leur analyse initiale liée à l’efficience et les renseignements à l’appui de celle-ci à un stade précoce du processus d’examen des fusions. Cependant, la remise d’une telle analyse avant même que le Bureau ait soulevé des préoccupations précises en matière de concurrence rendrait invariablement l’examen plus complexe, plus long et plus coûteux, de sorte que cette approche serait peu adaptée dans bon nombre de cas.

Le Bureau s’est également montré favorable à des changements législatifs, par la voix notamment de l’ancien commissaire John Pecman selon lequel le Canada, à l’instar des États-Unis, devrait soit exiger que les gains en efficience soient transmis aux consommateurs, afin que les effets anticoncurrentiels découlant de la fusion soient valablement compensés, soit carrément supprimer la défense fondée sur les gains en efficience.

Une version révisée des lignes directrices devrait être publiée en 2019, et nous attendons de voir si celle-ci tiendra compte des commentaires formulés par le public.

Effet dissuasif des changements apportés au programme d’immunité et de clémence

Le Bureau a publié une nouvelle mouture de son Programme d’immunité et de clémence en septembre 2018. Comme nous l’avons expliqué dans une publication antérieure, les changements apportés par le Bureau pourraient avoir un effet dissuasif et rendre le programme moins attrayant et moins efficace à l’avenir, avec comme conséquence qu’il sera plus difficile pour le Bureau de détecter les complots et autres actes illicites et de poursuivre les responsables. Selon nous, l’incertitude créée par la nouvelle procédure entraînera une baisse des demandes d’immunité et de clémence en 2019.

Les modifications apportées au programme, qui imposent des obligations de coopération et de divulgation plus rigoureuses aux demandeurs d’immunité, visent à permettre au Bureau et à la Couronne de monter des dossiers « mieux préparés pour les poursuites ». Le nouveau programme permet au Bureau d’enregistrer les entrevues des témoins, comporte une nouvelle étape « intermédiaire » au cours de laquelle le demandeur ne reçoit qu’une immunité conditionnelle (l’immunité totale n’étant accordée qu’une fois que le Service des poursuites pénales du Canada est convaincu que la coopération du demandeur n’est plus requise) et impose des obligations de divulgation accrues.

De plus, la protection accordée par une entente portant garantie d’immunité ne s’étendra plus automatiquement à tous les administrateurs, dirigeants et employés de la société concernée. Afin d’être admissibles à l’immunité, les personnes qui en font la demande devront plutôt démontrer leur connaissance de l’infraction ou leur participation à celle-ci et leur volonté de coopérer avec le Bureau dans le cadre de son enquête.

Auparavant, aux termes du programme de clémence, le premier demandeur était admissible à une réduction de l’amende de 50 %, le deuxième demandeur était admissible à une réduction de 30 % et la réduction accordée aux demandeurs suivants était déterminée au cas par cas. Aux termes du nouveau programme, les réductions dépendront de la valeur de l’information fournie par le demandeur dans le cadre de l’enquête du Bureau, compte tenu du moment de la demande ainsi que de la divulgation précoce et de la pertinence de l’information fournie. Par conséquent, le deuxième demandeur de clémence ou un demandeur subséquent pourrait obtenir une réduction plus importante que le premier demandeur si sa coopération et l’information qu’il fournit a plus de valeur pour l’enquête.

Durcissement des peines imposées pour des infractions à la Loi sur la concurrence

En novembre 2018, la Cour d’appel du Québec a imposé des peines d’emprisonnement allant de 18 à 36 mois à trois personnes qui avaient comploté afin d’obtenir des contrats de travaux publics d’une valeur de plus de 15 millions de dollars. Infirmant le jugement de première instance qui imposait des peines d’emprisonnement à purger dans la collectivité allant de 18 à 24 mois, la Cour d’appel s’est dit d’avis que le juge du procès avait, à tort, minimisé la gravité des crimes, qui comprenaient des infractions de fraude, de complot en vue de commettre une fraude, de fabrication de faux, d’usage de faux et de complot pour fabrication et usage de faux en vertu du Code criminel.

La poursuite faisait suite à une enquête menée conjointement par le Bureau de la concurrence et l'Unité permanente anticorruption (l’« UPAC ») du Québec. L'enquête concernait un système organisé de collusion visant des contrats de travaux publics accordés par des municipalités de la région de Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec.

Bien qu’aucune infraction à la Loi sur la concurrence ne fut reprochée dans cette affaire, le Bureau a fait mention des importantes peines d’emprisonnement pour fraude imposées par la Cour d’appel du Québec dans sa Revue du mois de novembre 2018, ce qui donne à croire que le Bureau pourrait demander des peines d’emprisonnement sévères pour des infractions à la Loi sur la concurrence à l’avenir.

Faits nouveaux dans les dossiers d’abus de position dominante

En août 2018, la CSC a refusé au Toronto Real Estate Board (le « TREB ») la permission d’en appeler de la décision rendue en 2017 par la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») confirmant les conclusions du Tribunal de la concurrence selon lesquelles le TREB a abusé de sa position dominante en adoptant des règles qui limitaient la façon dont ses courtiers membres pouvaient utiliser et afficher des renseignements relatifs aux propriétés, dont le prix de vente, au moyen de bureaux virtuels sur Internet (les « BVI ») protégés par mot de passe. En conséquence, sous réserve de certaines exceptions, notamment lorsque le vendeur en fait expressément la demande ou en ce qui concerne la communication des renseignements personnels du vendeur et les instructions destinées aux seuls membres du TREB (comme le nom, le code d’entrée de la résidence, les résidents et les renseignements hypothécaires), le TREB n’est pas autorisé à limiter la façon dont les membres utilisent ou affichent les données pertinentes sur leurs BVI. La décision de la CSC met fin aux droits d’appel du TREB et clôt en faveur du Bureau des procédures qui se seront étirées sur sept ans. (Voir notre analyse de l’affaire après les décisions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême.)

Les décisions rendues dans l’affaire du TREB ont considérablement élargi la portée des dispositions relatives à l’abus de position dominante au Canada et clairement établi que des entreprises peuvent contrôler un marché et, ce faisant, s’exposer à des recours pour abus de position dominante, même lorsqu’elles ne livrent pas elles-mêmes concurrence dans les marchés concernés. L’élargissement de la portée des dispositions sur l’abus de position dominante pourrait ouvrir la voie à d’autres enquêtes du Bureau en 2019 et dans les années suivantes.

Ainsi, en octobre 2018, le Tribunal a commencé à entendre les plaidoiries du commissaire dans l’affaire qui l’oppose à l’autorité aéroportuaire de Vancouver (l’« AAV »). Comme nous le mentionnions dans les prévisions de l’année dernière, le commissaire a fait valoir que l’AAV abuse de sa position dominante dans le marché des services de traiteur en vol à l’aéroport international de Vancouver. Le Bureau plaide que l’AAV, société à but non lucratif chargée de la gestion et de l’exploitation de l’aéroport de Vancouver, empêche, sans justification suffisante, de nouveaux fournisseurs de services de traiteur en vol de livrer concurrence aux fournisseurs actuels de l’aéroport, malgré le fait que l’AAV ne livre pas elle-même directement concurrence dans ce domaine. Une décision dans cette affaire devrait être rendue en 2019.

Décision de la CSC dans l’affaire Godfrey : répercussions sur les actions collectives liées à la concurrence

En décembre 2018, la CSC a entendu l’appel interjeté dans l’affaire Godfrey c. Sony Corporation. Dans sa décision à venir, la Cour devrait fournir des précisions sur un certain nombre de questions fondamentales concernant les actions collectives liées à la concurrence, y compris l’exigence voulant que le demandeur fournisse un moyen raisonnable d’établir le préjudice pour l’ensemble du groupe afin de remplir les critères préalables à l’autorisation qui s’appliquent dans la plupart des territoires du Canada. La CSC a également entendu des arguments sur la question de savoir si la Loi sur la concurrence constitue un code complet en matière d’actions pour complot visant à fixer les prix, susceptible de remplacer les causes d’action pour complot de la common law dans ce type d’affaires.

De plus, la Cour a été appelée à examiner la question de savoir si les acheteurs qui subissent l’effet parapluie (les « acheteurs visés ») peuvent faire valoir des réclamations aussi bien en vertu de la Loi sur la concurrence qu’en vertu de la common law dans les affaires de complot pour fixation des prix. L’acheteur visé est celui qui, bien qu’il achète ses produits directement ou indirectement de fournisseurs qui ne participent pas au complot, estime néanmoins avoir payé un prix excessif attribuable aux pressions à la hausse qu’exercent les participants au cartel sur les entreprises qui n’y participent pas. (Pour plus de renseignements sur l’évolution judiciaire de cette question, consulter notre publication antérieure.)

Le jugement de la Cour, attendu pour le milieu de 2019, aura d’importantes répercussions sur l’étendue de la responsabilité dans les actions collectives liées à la concurrence.

Dans une autre décision importante rendue en août 2018 dans le domaine des actions collectives liées à la concurrence, à savoir Hughes v. Liquor Control Board of Ontario (décision en anglais), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé des dépens de 2,35 millions de dollars aux défendeurs, qui ont eu gain de cause dans cette affaire. Le juge Perell a accueilli la requête en jugement sommaire des défendeurs et rejeté l’affaire en totalité au motif que les pratiques reprochées étaient le résultat d’une politique gouvernementale provinciale réfléchie, prise de longue date et confirmée récemment et qu’elles étaient donc à l’abri de toute poursuite puisqu’elles ouvraient droit à la défense fondée sur la conduite réglementée qui fait partie du droit canadien depuis maintenant près de cent ans (voir notre analyse de la décision du juge Perell). Cette décision a été portée en appel, mais si elle devait être confirmée, elle pourrait avoir pour effet de redresser la barre des actions collectives boiteuses, à tout le moins en Ontario.

Davies a assuré la défense de la LCBO contre le recours collectif proposé dans l’affaire Hughes.

Examen de l’actionnariat commun dans les secteurs à forte concentration

Les autorités en concurrence partout dans le monde étudient depuis un moment les effets sur la concurrence de la propriété simultanée d’actions de sociétés concurrentes par un ou plusieurs investisseurs financiers, lorsqu’aucune des participations n’est suffisamment importante en soi pour donner au propriétaire le contrôle des sociétés concernées.

Selon certains articles, lorsque les mêmes grands investisseurs institutionnels (comme BlackRock, Vanguard, Fidelity et State Street) détiennent des participations dans des sociétés concurrentes dans des secteurs où existe un degré élevé de concentration, on constate une hausse des prix et une baisse de l’innovation. Les préoccupations se rapportent (i) tant aux effets unilatéraux de cet actionnariat commun sur l’intérêt qu’ont les sociétés à se livrer concurrence (ii) qu’au risque accru de collusion entre les sociétés d’un secteur concerné.

La Commission européenne a mentionné l’actionnariat commun pour justifier l’obligation faite aux parties de céder des secteurs d’activité dans le cadre de la fusion entre Dow et Dupont, malgré des seuils de concentration du marché inférieurs à ceux qui entraîneraient normalement ce genre d’exigence. Les autorités antitrust des États-Unis, en revanche, préviennent que l’analyse économique de l’actionnariat commun est encore trop incertaine pour justifier des changements de politique. Cependant, la Federal Trade Commission (la « FTC ») sollicite actuellement des commentaires du public sur cette question (lettre de sollicitation en anglais). La FTC devrait préciser sa position à l’égard des effets de l’actionnariat commun sur la concurrence au cours de l’année à venir.

Au Canada, le Bureau de la concurrence mène des consultations sur l’approche à adopter en matière d’actionnariat commun et demande plus fréquemment aux parties fusionnantes de fournir des renseignements sur les actionnaires minoritaires dans le cadre de son examen de projets de fusion.

Il se pourrait que les modifications apportées récemment à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, laquelle oblige désormais certaines sociétés à tenir des registres des propriétaires véritables en plus des registres de propriétaires inscrits, viennent faciliter les enquêtes que mènera le Bureau sur l’incidence que peuvent avoir les participations minoritaires sur la concurrence.

Il n’est pas certain cependant que le Bureau serait disposé à prendre des mesures d’application de la loi pour répondre à des préoccupations relatives à l’actionnariat commun. Par exemple, bien que certains auteurs proposent de limiter l’actionnariat commun dans les marchés où existe une forte concentration, l’imposition de telles limites pourrait être irréalisable dans la pratique et soulever par ailleurs une foule de questions sur le plan des politiques. De plus, les sociétés pourraient se trouver exposées à des recours qu’elles ne peuvent prévoir en raison de la composition changeante de leur actionnariat et du fait que certains actionnaires peuvent avoir des intérêts ou des objectifs inconnus des sociétés.

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