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Revenu Québec peut saisir des registres se rapportant à des comptes détenus à l’extérieur du Québec auprès de banques exerçant des activités au Québec

Auteurs : Léon H. Moubayed et Anne-Sophie Villeneuve

La Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi qu’avait interjeté 1068754 Alberta Ltd. (« Alberta Ltd. ») à l’encontre du jugement de la Cour d’appel du Québec, qui avait confirmé la décision rendue par la Cour supérieure.

Dans cette affaire, Alberta Ltd. contestait la demande péremptoire de renseignements et de documents (la « Demande ») que l’Agence du revenu du Québec (l’« ArQ ») avait envoyée à une succursale de la Banque Nationale du Canada (la « Banque ») située à Calgary (la « succursale de Calgary »).

Dans une décision publiée le 27 juin 2019, la Cour suprême est arrivée à la conclusion que la Demande avait été valablement transmise à la Banque, que l’ArQ n’avait pas agi de façon extraterritoriale et qu’elle n’avait pas outrepassé sa compétence en délivrant la Demande à une succursale de la Banque située à l’extérieur du Québec conformément aux exigences imposées par la Loi sur les banques.

Contexte

Alberta Ltd. est l’unique fiduciaire de DGGMC Bitton Trust (la « Fiducie »), qui a été créée en 2003 et a toujours été régie par les lois de la province d’Alberta.

L’ArQ a entrepris une vérification de la Fiducie afin de déterminer si sa gestion centrale et son contrôle étaient exercés au Québec et, partant, si la Fiducie était résidente du Québec aux fins de l’impôt. Dans le cadre de sa vérification, l’ArQ a envoyé la Demande à la succursale de Calgary, la priant de lui transmettre des registres bancaires ainsi que d’autres renseignements et documents concernant la Fiducie conformément à l’article 39 de la Loi sur l’administration fiscale (Québec).

Alberta Ltd. a demandé l’annulation de la Demande, faisant valoir que, conformément à la Loi sur les banques, la succursale de Calgary devait être considérée comme une entité distincte de la Banque pour les besoins de toutes saisies, y compris une demande péremptoire de renseignements et de documents telle que la Demande. Alberta Ltd. a également soutenu que la Demande pouvait être considérée comme un « bref » ou un « acte » dans le contexte d’une instance ou d’une ordonnance prononcée par un tribunal, qui doit toujours, pour produire ses effets sur des biens ou des comptes de dépôts dont la banque a possession, être signifié à une succursale précise conformément à la Loi sur les banques. Pour les besoins de la signification de tels documents, une succursale est donc considérée comme une entité distincte de la Banque. Pour cette raison, Alberta Ltd. soutenait que l’ArQ avait outrepassé son pouvoir constitutionnel de taxation dans la province en signifiant la Demande à la succursale de Calgary et que cette signification n’avait donc pas été valablement transmise.

Arrêt de la Cour suprême

La Cour suprême est arrivée à la conclusion que les documents tels que la Demande qui sont délivrés par un organisme administratif ne sont pas des « brefs » ou des « actes », lesquels sont nécessairement délivrés par le tribunal ou dans le contexte d’une instance judiciaire. En conséquence, la Demande ne fait pas partie des demandes, actes et ordonnances qui ne produisent leurs effets que lorsqu’ils sont signifiés à une succursale précise, par opposition à la banque dans son ensemble.

De plus, selon la Cour suprême, pour que la succursale de Calgary soit considérée comme étant distincte de la Banque aux fins de la Demande, cette dernière doit viser à grever les biens d’un client, en l’occurrence ceux de la Fiducie. Or, si la Demande a bel et bien contraint la transmission de renseignements concernant les biens de la Fiducie, elle n’avait pas pour but de grever ceux-ci, d’autant plus que les registres et renseignements bancaires visés par la Demande appartiennent à la Banque, et non au client.

La Cour suprême a jugé que la Demande avait été signifiée à la succursale de Calgary en conformité avec la disposition de la Loi sur les banques, qui prévoit qu’un avis envoyé à la banque concernant l’un de ses clients ne constitue un avis valable que s’il a été envoyé à la succursale où se trouve le compte bancaire du client. Il s’ensuit que la Demande, une fois signifiée à la succursale de Calgary où se trouvait le compte bancaire de la Fiducie, liait la Banque dans son ensemble.

Enfin, la Cour suprême a déclaré que l’envoi, par l’ArQ, de la Demande à la succursale de Calgary ne constituait pas un acte extraterritorial. Elle a réitéré que la Demande était adressée à la Banque, entité distincte et unique ayant son siège et ses activités au Québec. L’exigence imposée par la Loi sur les banques selon laquelle la Demande devait être signifiée à la succursale de Calgary ne transformait pas celle-ci en acte extraterritorial; elle ne faisait qu’offrir un moyen pratique de fournir l’avis à la Banque dans son ensemble. Si la Banque avait omis de se conformer à la Demande, l’exécution forcée de celle-ci aurait pu être demandée au Québec.

Notons cependant que la Cour suprême a précisé qu’on ne pouvait dire avec certitude que l’ArQ aurait eu le pouvoir, dans un autre cas, de transmettre une demande péremptoire à une entité n’exerçant aucune activité au Québec.

Incidence de la décision

La décision de la Cour suprême vient confirmer que l’ArQ peut valablement, aux fins de l’application des lois fiscales du Québec, demander et saisir des documents se rapportant à un compte ouvert dans une succursale bancaire située dans une autre province que le Québec lorsque la banque en question exerce des activités au Québec. Par conséquent, les personnes qui s’acquittent d’obligations prévues par la Loi sur les impôts du Québec ou toute autre loi fiscale administrée par le ministère du Revenu du Québec doivent savoir que l’ArQ, dans l’exercice de ses pouvoirs de vérification administratifs, peut obtenir des documents concernant leurs comptes bancaires situés dans une autre province, mais ouverts auprès d’une Banque exerçant des activités au Québec.

Toutefois, la décision de la Cour suprême repose sur les exigences précises qu’impose la Loi sur les banques en ce qui concerne la transmission des demandes et avis aux banques canadiennes. Elle ne doit pas être lue comme conférant à l’ArQ le pouvoir de faire appliquer les lois en matière d’impôt du Québec à l’extérieur des limites territoriales de la province, notamment par la transmission de demandes péremptoires de renseignements et de documents qui outrepasseraient ses pouvoirs, étant donné que, contrairement à Loi de l’impôt sur le revenu fédérale, la Loi sur l’administration fiscale n’accorde pas le pouvoir d’exiger la production de renseignements étrangers.

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