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La Cour d’appel de l’Ontario rejette la demande d’autorisation d’appeler du jugement établissant la répartition du produit de la vente de Nortel

Auteurs : Matthew Milne-Smith et Steven G. Frankel

Le 3 mai 2016, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande d’autorisation d’appeler du jugement du juge Newbould établissant la répartition du produit de la vente des actifs restants du groupe de sociétés Nortel Networks (la « décision établissant la
répartition »).

Les principaux points à retenir de la décision sont les suivants :

  • Selon la Cour d’appel, il n’existe pas de fondement lui permettant d’intervenir et de modifier la décision du juge Newbould selon laquelle procéder par répartition proportionnelle n’équivaut pas à prononcer une ordonnance de regroupement (substantive consolidation).
  • Le juge Newbould a examiné la preuve et le droit applicable, et aucune erreur prima facie ne ressort de son jugement.
  • L’importance qu’a la cause pour les parties ne justifie pas en soi d’accorder l’autorisation d’en appeler en l’absence de questions revêtant une importance plus grande encore pour la profession.

La décision de la Cour d’appel rejetant la demande d’autorisation en appel aura une incidence sur les procédures d’insolvabilité concernant Nortel qui sont en cours dans plusieurs pays, mais elle présente également un grand intérêt du fait qu’elle décrit en détail les critères à remplir pour obtenir la permission d’en appeler dans les affaires relevant de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des companies (la
« LACC »).

Pendant une bonne partie des années 1990, Nortel était une société de télécommunications de premier plan dont le siège social était situé au Canada, mais dont les filiales et les activités d’envergure étaient réparties mondialement. Différentes entités de Nortel se sont placées sous la protection de lois sur l’insolvabilité au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde, à compter du 14 janvier 2009. Avant juin de cette même année, elles avaient décidé de liquider les actifs restants du groupe plutôt que de tenter de restructurer l’entreprise et de poursuivre les activités de celle-ci sous une forme ou une autre.

Les procédures d’insolvabilité concernant les entités de Nortel situées au Canada (les
« débiteurs canadiens ») étaient administrées par le rôle commercial de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, celles concernant les entités de Nortel situées aux États-Unis (les « débiteurs américains ») étaient administrées par la Cour de faillite fédérale au Delaware, et celles concernant les entités de Nortel situées en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique (les « débiteurs de l’EMOA ») étaient administrées principalement par les tribunaux du Royaume-Uni, mais des procédures secondaires étaient également menées dans les différents pays où sont situés les débiteurs de l’EMOA1.

Les débiteurs canadiens, américains et de l’EMOA ont collaboré afin d’assurer la vente des actifs résiduels de Nortel et, après paiement des frais encourus, une somme d’environ 7,3 milliards de dollars américains a été placée sous-écrou en attendant que les différents débiteurs s’entendent sur la répartition des fonds. Les débiteurs n’ayant pas réussi à parvenir à une entente, les tribunaux de l’Ontario et du Delaware ont convenu de tenir un procès conjoint afin de trancher la question. Le 12 mai 2015, le juge Newbould de la Cour supérieure de justice de l’Ontario et le juge Gross de la Cour de faillite du district du Delaware ont rendu simultanément des décisions distinctes ordonnant la répartition des fonds placés sous-écrou au prorata de la quote-part de chaque débiteur dans les dettes du groupe Nortel. De façon générale, cette répartition était favorable aux débiteurs de l’EMOA et canadiens.

Après avoir tenté sans succès d’obtenir la révision de la décision établissant la répartition, et son pendant au Delaware, les débiteurs américains et d’autres parties ayant des intérêts connexes ont intenté des procédures d’appel au Canada et aux États-Unis. Au Delaware, ils ont fait appel de plein droit devant la Cour de district fédérale du Delaware. L’audition de cet appel a eu lieu le 5 avril 2016 et la cause est présentement en délibéré. En Ontario, les débiteurs américains et les autres parties ont présenté, en vertu de l’article 13 de la LACC, une demande d’autorisation en appel à la Cour d’appel, qui a rendu sa décision aujourd’hui.

La permission d’en appeler dans le cadre de procédures aux termes de la LACC n’est accordée que s’il existe des motifs sérieux et défendables présentant un intérêt véritable et significatif pour les parties et la profession juridique. Ces critères sont rarement satisfaits. Afin de déterminer si elle devait accorder la permission d’en appeler, la Cour d’appel s’est posé les quatre questions suivantes : (i) l’appel projeté est-il fondé en droit à première vue; (ii) l’appel projeté soulève-t-il des questions significatives pour la profession juridique; (iii) l’appel projeté soulève-t-il des questions significatives dans le cadre des procédures; et (iv) l’appel projeté aurait-il pour effet de gêner indûment la progression des procédures.

La décision rejetant la demande d’autorisation en appel répond principalement à la première question. Les débiteurs américains ont fait valoir trois motifs d’appel qui, soutenaient-ils, étaient fondés en droit à première vue. La Cour d’appel a rejeté chacun de ces arguments.

Premièrement, les débiteurs américains ont soutenu que le juge Newbould avait regroupé les différents patrimoines (substantive consolidation) de Nortel (et, partant, qu’il n’avait pas tenu compte de leur existence juridique distincte) et que le seuil appliqué pour ce faire était trop bas. Rejetant cet argument, la Cour d’appel a souligné que le juge Newbould était arrivé à la conclusion que, dans les circonstances, la répartition proportionnelle n’équivalait pas à un regroupement des patrimoines. La Cour d’appel s’est dit d’avis qu’elle n’avait aucune raison de modifier cette décision qui s’appuyait sur les conclusions de fait que le juge Newbould était en droit de tirer sur le fondement de la preuve qui lui avait été présentée. Il n’y avait donc pas lieu pour la Cour d’appel d’examiner les critères concernant le seuil requis pour appliquer la doctrine du regroupement.

Deuxièmement, les débiteurs américains ont soutenu que le juge Newbould avait commis une erreur en concluant que l’entente au cœur de leur théorie de répartition n’avait pas pour but, dans les faits, de régir la répartition du produit dans le cadre d’une insolvabilité. De nouveau, la Cour d’appel a déclaré qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir. La norme de révision applicable en appel à l’égard des questions d’interprétation des contrats commande la déférence, et les débiteurs américains n’ont pu établir une erreur de droit ou de fait justifiant l’infirmation de la décision. La Cour d’appel a également rejeté la plainte des débiteurs américains selon laquelle le juge Newbould avait considéré les faits sous-jacents dans une optique trop étroite (à savoir, la preuve des circonstances entourant la conclusion de l’entente), car le juge Newbould l’avait au contraire examiné en détail.

Troisièmement, la Cour d’appel a rejeté l’argument des débiteurs américains voulant qu’on les ait privés de l’équité procédurale et que la décision établissant la répartition était arbitraire. Les débiteurs américains savaient que la répartition proportionnelle faisait partie des solutions possibles et ils se sont vigoureusement opposés à celle-ci. En ce sens, la décision n’était pas inéquitable envers eux. On ne pouvait non plus qualifier d’arbitraire la décision établissant la répartition simplement parce qu’elle ne dédommageait pas les débiteurs américains à l’égard de certaines réclamations au titre de cautionnements présentées par des titulaires d’obligation américains. Le juge Newbould a examiné ces réclamations attentivement et est arrivé à la conclusion qu’elles seraient comptées en double si on en tenait compte dans la répartition proportionnelle.

La Cour d’appel a répondu aux trois autres questions de façon assez sommaire. Il n’y aurait pas de question d’importance générale pour la pratique en insolvabilité : les faits de la cause étaient uniques, la doctrine du regroupement des patrimoines (substantive consolidation) ne s’appliquait pas en l’espèce et les principes d’interprétation des contrats ne nécessitaient pas d’éclaircissement. Bien que la question de la répartition des fonds placés sous-écrou ait été au cœur de l’instance, la Cour d’appel a déclaré qu’elle ne justifiait pas en soi la permission d’en appeler (étant donné que la plupart des appels comportent des questions qui revêtent de l’importance dans le cadre des procédures en cours). Enfin, la Cour d’appel a mentionné que les procédures d’insolvabilité étaient en cours depuis quelques temps et que le fait d’autoriser l’appel freinerait indûment l’avancement des procédures.

Quoique plus circonstanciée que la plupart des décisions portant sur une demande d’autorisation en appel, la décision de la Cour d’appel reflète l’application aux faits particuliers de l’insolvabilité de Nortel aux critères bien établis qu’il faut remplir pour obtenir la permission d’en appeler en vertu de la LACC. L’importance qu’accorde la Cour d’appel à la résolution rapide des procédures relatives à la répartition illustre bien la déférence dont les tribunaux d’appel ont l’habitude de faire preuve dans le cadre de procédures aux termes de la LACC, qui se déroulent généralement en temps réel et se prêtent mal au long processus d’examen des tribunaux d’appel.

1Davies agit à titre de co-conseillers juridiques des débiteurs de l’EMOA au Canada, conjointement avec Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb LLP, Herbert Smith Freehills LLP et Debevoise & Plimpton LLP, agissant à titre de co-conseillers juridiques des débiteurs de l’EMOA au Royaume-Uni, et Hughes Hubbard & Reed LLP, agissant à titre de conseillers juridiques des débiteurs de l’EMOA aux États-Unis.

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