Bulletin

Droits et pouvoirs discrétionnaires contractuels (pas si) absolus

Le plus haut tribunal du Canada précise l’obligation d’agir de bonne foi dans l’exercice de pouvoirs contractuels

Auteurs : Chantelle Cseh, John McCamus et Megan A. Percy

Comment l’exercice de droits et de pouvoirs discrétionnaires contractuels apparemment absolus peut-il constituer une violation de contrat si une partie, en les exerçant (même de façon opportuniste), ne fait que ce que son cocontractant a convenu qu’elle pouvait faire?

La Cour suprême du Canada, dans deux décisions complémentaires récentes, a répondu à cette question et précisé deux façons par lesquelles le principe directeur d’exécution de bonne foi restreint la manière dont peuvent être exercés tous les droits contractuels (y compris les droits apparemment absolus).

Premièrement, dans l’affaire C.M. Callow Inc. c. Zollinger1 (l’« affaire Callow »), la Cour suprême du Canada a confirmé que l’exercice d’un droit apparemment absolu conféré par un contrat peut constituer un manquement à l’obligation d’exécution honnête (et, par conséquent, une violation de contrat) lorsqu’une partie ment ou induit activement en erreur son cocontractant sur des questions directement liées à l’exécution du contrat. Plus précisément, la Cour a stipulé que même le droit apparemment absolu de résilier le contrat pour raison de commodité « ne peut pas être exercé d’une manière qui transgresse les attentes fondamentales d’honnêteté exigées par la bonne foi dans l’exécution des contrats »2.

Deuxièmement, dans Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District3 (l’« affaire Wastech »), la Cour suprême du Canada a confirmé que lorsqu’une partie exerce son pouvoir discrétionnaire contractuel apparemment absolu de façon déraisonnable (c’est-à-dire d’une manière étrangère aux objectifs qui sous-tendent le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat), sa conduite constitue un manquement à l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi (et, par conséquent, une violation de contrat).

Les décisions dans l’affaire Callow et l’affaire Wastech se situent toutes deux dans le prolongement de la décision de 2014 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bhasin c. Hrynew4 (l’« affaire Bhasin »), dans laquelle la Cour avait reconnu le principe directeur général d’exécution de bonne foi, selon lequel les parties doivent « exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire »5. Dans l’affaire Bhasin, la Cour a statué que ce principe directeur sous-tend trois règles existantes : (i) l’obligation de collaborer en vue de la réalisation des objectifs du contrat; (ii) l’obligation d’éviter de se soustraire aux obligations contractuelles; et (iii) l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi. De plus, la Cour a confirmé que ce principe directeur peut également servir de fondement à la reconnaissance d’autres règles précises et, en effet, dans l’affaire Bhasin, la Cour a reconnu une quatrième règle : l’obligation d’exécution honnête. Comme nous le précisons ci-dessous, la Cour, dans ses décisions concernant l’affaire Callow et l’affaire Wastech, s’est penchée sur l’application de l’obligation d’exécution honnête et de l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi.

Le principal point à retenir de ces décisions peut être résumé comme suit : quelle que soit l’intention des parties, l’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi « limite[nt] la façon dont une personne peut exercer des droits contractuels à première vue illimités »6. En cas de manquement à ces obligations, les tribunaux canadiens concluront à une violation de contrat.

La décision dans l’affaire Callow

Contexte

En 2012, un groupe d’associations condominiales (« Baycrest ») a conclu deux contrats avec C.M. Callow Inc. (« Callow ») : un contrat d’entretien hivernal et un contrat d’entretien estival.

Le contrat d’entretien hivernal visait deux hivers, prenant fin en avril 2014. Il y était précisé, toutefois, que Baycrest avait le droit de résilier le contrat (i) si Callow ne rendait pas un service satisfaisant, conformément aux modalités du contrat; ou (ii) si, pour quelque autre raison que ce soit, les services de Callow n’étaient plus requis, moyennant un préavis écrit de 10 jours.

Au début de 2013, Baycrest a décidé de résilier le contrat d’entretien hivernal. Cependant, Baycrest a choisi de ne pas faire part dès lors de sa décision à Callow, afin de ne pas mettre en péril l’exécution des travaux visés par le contrat de services d’entretien estival.

Pendant le printemps et l’été 2013, Baycrest a affirmé qu’elle était satisfaite des services de Callow et qu’elle renouvellerait probablement le contrat d’entretien hivernal. Durant l’été 2013, Callow a exécuté gratuitement des travaux en sus de ceux qui étaient prévus par le contrat d’entretien estival dans l’espoir d’inciter Baycrest à renouveler le contrat d’entretien hivernal.

Malgré le fait qu’elle était consciente que Callow avait l’impression que le contrat d’entretien hivernal ne serait pas résilié et allait vraisemblablement être renouvelé, Baycrest a continué d’accepter les services que Callow offrait gratuitement et n’a pas corrigé la méprise de Callow, avant de lui présenter, en septembre 2013, un avis de résiliation écrit de 10 jours du contrat d’entretien hivernal.

Par la suite, Callow a intenté une action contre Baycrest pour violation de contrat. Callow a reconnu avoir reçu le préavis écrit de 10 jours, mais a soutenu que Baycrest s’était prévalue de la clause de résiliation unilatérale contrairement aux exigences de la bonne foi.

Décisions des tribunaux inférieurs

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a tranché en faveur de Callow. La juge de première instance a conclu que Baycrest avait manqué à son obligation d’exécution honnête, en raison du fait qu’elle avait activement trompé Callow à compter du moment où elle avait pris la décision de résilier le contrat d’entretien hivernal jusqu’au moment où elle lui a donné le préavis. Plus particulièrement, la juge a conclu que Baycrest avait agi de mauvaise foi (i) en retenant l’information concernant sa décision de résilier le contrat d’entretien hivernal pour s’assurer que Callow exécute le contrat d’entretien estival, et (ii) en continuant de laisser entendre que le contrat d’entretien hivernal n’était pas en péril, même si Baycrest savait que Callow effectuait des tâches additionnelles pour accroître les chances que ce contrat soit renouvelé.

La Cour d’appel de l’Ontario a annulé la décision rendue en première instance, jugeant que même si les conclusions de la juge de première instance pouvaient laisser entendre qu’il y avait eu omission d’agir honorablement, les conclusions n’étaient pas suffisantes pour établir un manquement à l’obligation d’exécution honnête.

La décision de la Cour suprême du Canada

Décision majoritaire

Le juge Kasirer, s’exprimant au nom des cinq juges majoritaires, a accueilli le pourvoi de Callow au motif que Baycrest avait manqué à son obligation d’exécution honnête.

Les juges majoritaires ont estimé que le pourvoi leur offrait l’occasion de « clarifier ce que constitue un manquement à l’obligation d’exécution honnête lorsqu’il se manifeste en lien avec une clause de résiliation accordant un droit unilatéral et apparemment absolu »7. Ainsi, les juges majoritaires ont énoncé les principes suivants :

  • l’obligation d’exécution honnête « s’applique […] tant à l’exécution des obligations qu’à l’exercice des droits prévus au contrat », indépendamment des intentions des parties8. Aucun droit contractuel, même un droit de résiliation unilatéral et apparemment absolu, ne peut être exercé de manière malhonnête;
  • la partie à laquelle il est reproché d’avoir agi malhonnêtement peut avoir énoncé des mensonges éhontés ou avoir sciemment induit en erreur son cocontractant au moyen de demi-vérités, d’omissions ou même de silence, selon les circonstances. On peut induire en erreur activement, en disant quelque chose directement à son cocontractant, par exemple, ou passivement, en omettant de corriger une méprise causée par sa propre conduite trompeuse9;
  • l’obligation d’exécution honnête peut exiger d’une partie qu’elle corrige une méprise causée par sa propre conduite trompeuse; cependant, cette obligation ne va pas jusqu’à imposer un devoir de loyauté ou un devoir de divulgation indépendant ni n’exige d’une partie qu’elle renonce à des avantages découlant du contrat10;
  • ce qui importe, ce n’est pas l’omission d’agir honnêtement dans l’abstrait, mais l’omission d’agir honnêtement au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat. Lorsqu’il s’agit de décider si la malhonnêteté est liée directement à un contrat, « la question pertinente est en général de savoir si un droit prévu par le contrat a été exercé ou si une obligation qui y est décrite a été exécutée de manière malhonnête »11.

Appliquant ces principes à la présente affaire, les juges majoritaires ont déterminé que même si Baycrest avait, à première vue, un droit absolu de résilier le contrat d’entretien hivernal moyennant un préavis écrit de 10 jours, elle devait exercer ce droit dans le respect de l’obligation d’exécution honnête.

Les juges majoritaires ont conclu que Baycrest avait manqué à cette obligation, car elle (i) a fait à Callow des déclarations laissant entendre qu’un renouvellement du contrat d’entretien hivernal était probable; (ii) a accepté volontiers les services offerts gratuitement par Callow même si elle savait que Callow les offrait dans l’espoir d’inciter Baycrest à renouveler le contrat; (iii) a délibérément gardé le silence et n’a pas corrigé la méprise de Callow causée par sa conduite trompeuse; et (iv) la malhonnêteté était directement liée à l’exécution du contrat d’entretien hivernal, étant donné qu’elle concernait le recours par Baycrest au droit de résiliation prévu par le contrat.

Les juges majoritaires ont confirmé qu’ils n’étaient pas arrivés à la conclusion que Baycrest avait violé cette obligation simplement parce qu’elle n’avait pas révélé sa décision de résilier le contrat. L’obligation d’exécution honnête n’exigeait pas de Baycrest qu’elle réagisse sans délai aux problèmes de performance allégués de Callow ou qu’elle déclare rapidement son intention de résilier le contrat. Plutôt, il a été reproché à Baycrest d’avoir manqué à son obligation parce qu’elle avait sciemment trompé Callow à la fois par ses communications actives et par sa décision de retenir intentionnellement de l’information, sachant qu’ensemble, ses communications actives et son silence induiraient Callow en erreur.

Opinions concordantes et dissidentes

Les juges Brown, Moldaver et Rowe ont convenu avec les juges majoritaires que le pourvoi devait être accueilli et que les dommages-intérêts octroyés par la juge de première instance devaient être rétablis. Toutefois, ces trois juges ont exprimé leur désaccord avec le choix des juges majoritaires d’invoquer des notions de droit civil pour interpréter l’obligation d’agir de bonne foi et avec le fait qu’ils ont privilégié l’attribution de dommages-intérêts fondés sur l’attente plutôt que sur la confiance.

La juge Côté, dissidente, a conclu que le pourvoi devait être rejeté pour plusieurs motifs, dont le fait que la conduite de Baycrest, sans être louable, ne tombait pas dans la catégorie de la « conduite malhonnête » prohibée par l’obligation d’exécution honnête.

La décision dans l’affaire Wastech

Contexte

Wastech Services Ltd. (« Wastech ») et Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (« Metro ») entretenaient une relation commerciale de longue date. En 1996, après environ 18 mois de négociations, Wastech et Metro ont conclu un nouvel accord complexe d’élimination des déchets de 20 ans.

La rémunération de Wastech prévue par le contrat était structurée selon un « ratio d’exploitation cible » (le « RE cible ») qui, s’il était atteint, lui procurerait un bénéfice d’exploitation de 11 pour cent. Il convient de mentionner qu’aucune disposition du contrat ne garantissait à Wastech l’atteinte du RE cible chaque année. Plutôt, le contrat prévoyait certains mécanismes d’ajustement des coûts afin de tenir compte des fluctuations du ratio d’exploitation réel (le « RE réel ») de Wastech et de faire en sorte que si le RE réel différait du RE cible, les parties se partageraient également les conséquences financières de cette différence.

Le contrat avait pour objet l’enlèvement de déchets et leur transport vers trois installations d’élimination de déchets par Wastech : le site d’enfouissement de Vancouver, l’installation de valorisation énergétique des déchets de Burnaby et le site d’enfouissement de Cache Creek. Wastech devait être payée à un taux réduit pour le transport des déchets, sur une courte distance, vers le site d’enfouissement de Vancouver et l’installation de valorisation énergétique des déchets de Burnaby et à un taux supérieur pour le transport vers le site d’enfouissement de Cache Creek, plus éloigné. Il était précisé dans le contrat que Metro disposait d’un pouvoir discrétionnaire quant à la répartition des déchets entre les trois installations. Le choix des installations par Metro pouvait avoir une incidence importante sur le ratio d’exploitation de Wastech.

En 2011, Metro a décidé de modifier la répartition des déchets, faisant transporter une quantité substantielle de déchets au site d’enfouissement de Vancouver plutôt qu’au site d’enfouissement de Cache Creek. Metro a ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire pour tenter de rehausser son efficacité et de régler ses difficultés budgétaires. Cependant, en raison de sa décision, Wastech n’a pas atteint son RE cible. Malgré certaines sommes reçues en raison des mécanismes contractuels d’ajustement des coûts, Wastech a enregistré un bénéfice d’exploitation de 4 pour cent pour l’année, bien inférieur à son objectif de 11 pour cent. Par la suite, Wastech a soumis le différend à l’arbitrage, alléguant que Metro avait violé leur contrat en répartissant les déchets d’une manière qui privait Wastech de la possibilité d’atteindre le RE cible de l’année.

La sentence arbitrale et la décision des tribunaux inférieurs

L’arbitre a tranché en faveur de Wastech et conclu que Metro avait manqué à son obligation d’agir de bonne foi en adoptant une conduite qui démontrait que les attentes légitimes de Wastech n’avaient pas été prises en compte comme il se devait.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont jugé que la sentence arbitrale devait être annulée.

La décision de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a rejeté à l’unanimité le pourvoi de Wastech et jugé que Metro n’avait pas manqué à son obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi. Toutefois, les juges de la Cour étaient partagés à 6 contre 3 en ce qui concerne les motifs de la décision.

Décision majoritaire

Le juge Kasirer, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a rejeté la prétention de Wastech selon laquelle Metro avait exercé son pouvoir discrétionnaire contractuel contrairement aux exigences de la bonne foi.

Les juges majoritaires ont estimé que le pourvoi leur offrait l’occasion de « déterminer quelles contraintes impose l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi à son titulaire »12. Ainsi, les juges majoritaires ont énoncé les principes suivants :

  • L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi exige des parties qu’elles exercent celui-ci, même s’il semble absolu, de manière « raisonnable », c’est-à-dire conforme aux objectifs pour lesquels il a été conféré par le contrat13.
    • La détermination de l’objectif contractuel exigera nécessairement une opération d’interprétation contractuelle. Le tribunal examinera la clause discrétionnaire dans le contexte du contrat dans son ensemble14.
  • L’« annulation substantielle » ou la « perte de sens » de l’avantage d’un contrat n’est pas une condition préalable pour conclure qu’une partie a manqué à son obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi. Cependant, le fait que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire annule substantiellement l’avantage d’un contrat ou lui fait perdre son sens pourrait s’avérer utile pour démontrer que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une manière étrangère à l’objectif visé15.
  • L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi, comme l’obligation d’exécution honnête, se manifeste dans chaque contrat, sans égard aux intentions des parties16.
  • L’obligation d’agir de bonne foi n’exige pas qu’une partie subordonne ses intérêts à ceux de son cocontractant et n’exige pas non plus que soit conféré au cocontractant un avantage qui n’a pas été prévu par le contrat17.

Appliquant ces principes à la présente affaire, les juges majoritaires ont examiné la clause discrétionnaire dans le contexte du contrat dans son ensemble. Ainsi, ils ont déterminé que l’objectif dans lequel avait été concédé à Metro le pouvoir discrétionnaire absolu de décider de la répartition des déchets était de « lui donner la souplesse nécessaire pour maximiser l’efficacité et réduire au minimum les frais de l’opération »18 compte tenu de la variabilité opérationnelle que prévoyaient les parties. Par conséquent, lorsque Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire en vue de tenter de rehausser son efficacité et de régler ses difficultés budgétaires, elle n’a pas manqué à son obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi, parce que l’exercice de celui-ci faisait partie de l’éventail des conduites pouvant être envisagées en fonction de l’objectif de la clause.

De l’avis des juges majoritaires, une autre conclusion aurait conféré à Wastech un avantage qu’elle n’avait pas négocié à l’égard du contrat. Les parties avaient convenu d’intégrer dans le contrat certains mécanismes d’ajustement des coûts afin de faire en sorte que si le RE réel différait du RE cible, elles se partageraient également les conséquences financières de cette différence. À dessein, les parties n’avaient inclus dans le contrat aucune garantie que Wastech atteindrait le RE cible. Par conséquent, Wastech ne pouvait demander que le tribunal lui confère cet avantage. Ce raisonnement se fonde sur le fait que l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi n’est pas une obligation fiduciaire. Comme l’ont noté les juges majoritaires : « Metro est le partenaire contractuel de Wastech, non pas son fiduciaire. La loyauté exigée de sa part dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire était la loyauté envers le marché, et non envers Wastech »19.

Opinions concordantes

Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les juges Brown, Rowe et Côté ont souscrit au résultat; toutefois, ils ont rédigé des motifs distincts pour plusieurs raisons, notamment parce qu’ils se sont dits « convaincus » que « l’objet d’un pouvoir discrétionnaire est toujours défini par les intentions des parties, qui se dégagent du contrat »20. Par conséquent, ils étaient en désaccord avec la décision des juges majoritaires, selon laquelle le pouvoir discrétionnaire est toujours restreint, sans égard aux intentions des parties. Ils étaient plutôt d’avis que lorsqu’un contrat révèle une intention claire de conférer un pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé à toute fin, les tribunaux doivent donner effet à cette intention.

Principaux points à retenir

  • Les droits et les pouvoirs discrétionnaires contractuels ne sont jamais entièrement « absolus ». Indépendamment de la portée apparemment large, absolue ou illimitée des droits ou des pouvoirs discrétionnaires contractuels, les parties contractantes doivent les exercer conformément à l’obligation d’exécution honnête et à l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi.
    • Les deux obligations sont obligatoires dans tous les contrats et s’appliquent sans égard aux intentions des parties. Ainsi, les parties ne peuvent se soustraire à ces obligations, qui s’appliquent malgré l’existence d’une clause d’« intégralité de l’entente » ou de clauses conférant des droits apparemment absolus.
  • Le fait pour une partie de ne pas corriger la méprise de son cocontractant résultant de sa conduite à elle peut être considéré comme une violation de contrat. La décision dans l’affaire Callow nous indique qu’il est possible qu’un tribunal déclare qu’une partie a manqué à son obligation d’exécution honnête (et donc a violé le contrat) si elle n’a pas corrigé une méprise causée par sa propre conduite trompeuse et si cette conduite trompeuse était liée directement à l’exécution d’une obligation ou à l’exercice d’un droit prévu par le contrat.
  • L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel apparemment absolu d’une manière déraisonnable peut être considéré comme une violation de contrat. La décision dans l’affaire Wastech nous indique qu’il est possible qu’un tribunal déclare qu’une partie a manqué à son obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi (et donc a violé le contrat) si elle a exercé le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat d’une manière étrangère aux objectifs qui le sous-tendent.
  • Les parties contractantes ne sont pas tenues de subordonner leurs intérêts. L’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi ne sont pas des obligations fiduciaires. Il n’est pas exigé des parties contractantes qu’elles confèrent à un cocontractant un avantage qui n’a pas été prévu par le contrat initial, ni qu’elles subordonnent d’une autre manière leurs intérêts à ceux d’un cocontractant. Comme l’a exprimé le juge Kasirer, il ne faut pas confondre les exigences de l’exécution de bonne foi avec « une directive d’agir de façon désintéressée d’une manière qui sort des balises ordinaires de l’ordre social établi par contrat, au service d’une solidarité théorique entre les parties »21.
  • Les contrats devraient être explicites et précis. La décision dans l’affaire Callow et la décision dans l’affaire Wastech nous rappellent toutes deux l’importance d’une rédaction claire et rationnelle :
    • Si vous avez des attentes particulières (comme celle de réaliser un certain bénéfice cible ou d’être informé sans délai de problèmes de performance), vous devez les énoncer explicitement dans le contrat. Même si l’obligation d’agir de bonne foi impose certaines limites à l’exercice des droits et des pouvoirs discrétionnaires contractuels, vous ne devez pas vous attendre à ce que votre cocontractant soit tenu de vous conférer un avantage n’ayant pas été prévu – ni expressément ni implicitement – par le contrat.
    • Les tribunaux tiendront compte des modalités du contrat pour déterminer si le pouvoir discrétionnaire contractuel a été exercé de bonne foi. Par conséquent, lors de la rédaction de leur contrat, les parties devraient envisager d’insérer des clauses portant expressément sur les limites du pouvoir discrétionnaire contractuel et sur l’objectif pour lequel ce pouvoir est conféré. Les parties conviendront alors peut-être elles-mêmes d’élargir ou de limiter considérablement l’éventail des résultats raisonnables de l’exercice du pouvoir discrétionnaire contractuel et accroîtront ainsi la clarté de leur contrat.

1 2020 CSC 45 [Callow]

2 Callow, para. 84.

3 2021 CSC 7 [Wastech]

4 2014 CSC 71 [Bhasin].

5 Bhasin, para. 63.

6 Wastech, para. 62.

7 Callow, para. 30.

8 Callow, para. 42.

9 Callow, para. 90.

10 Callow, para. 80.

11 Callow, para. 37.

12 Wastech, para. 59.

13 Wastech, para. 63.

14 Wastech, paras 72 et 76.

15 Wastech, para. 84.

16 Wastech, para. 91.

17 Wastech, para. 6.

18 Wastech, para. 99.

19 Wastech, para. 107.

20 Wastech, para. 133.

21 Wastech, para. 7.

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