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Enquête et divulgation : les tribunaux rappellent l’importance de la protection des dénonciateurs

Auteurs : Léon H. Moubayed, Fanny Albrecht, Sarah Gorguos et Patrice Labonté

Dans une décision rendue le 9 décembre 20191, la Cour supérieure du Québec a rappelé l’importance de maintenir confidentiels tant l’identité des dénonciateurs que le contenu de leurs déclarations dans le cadre d’enquêtes sur des actes répréhensibles au sein d’un organisme public. La confidentialité ne peut être levée que lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que le processus d’enquête n’a pas respecté les règles d’équité procédurale et que les renseignements demandés sont nécessaires et pertinents pour démontrer un manquement à l’équité procédurale.

La protection des dénonciateurs au Québec

La Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics (RLRQ, c D-11.1) (la « Loi facilitant la divulgation ») a été adoptée en 2016 suite à la Commission Charbonneau en vue de « faciliter la divulgation dans l’intérêt public d’actes répréhensibles commis ou sur le point d’être commis à l’égard des organismes publics et d’établir un régime général de protection contre les représailles » (article 1).

Entrée en vigueur le 1er mai 2017, cette loi interdit toute forme de représailles ou menaces en vue d’empêcher la divulgation ou la participation d’une personne à une enquête. Elle permet également au Protecteur du citoyen (l’ombudsman parlementaire du Québec) d’enquêter tout en prenant toutes les mesures nécessaires afin que l’identité du dénonciateur ou des témoins demeure confidentielle (articles 10(4) et 11).

La décision

En 2017, le Protecteur du citoyen a ouvert une enquête contre l’ancienne présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ »). Deux divulgations formulées à son encontre dans le cadre de la Loi facilitant la divulgation visaient notamment des actes d’abus d’autorité et des manquements graves aux normes d’éthique et de déontologie.

Suite à la publication par le Protecteur du citoyen de trois rapports d’enquête, l’ancienne présidente de la CDPDJ a demandé un contrôle judiciaire visant l’annulation de ces rapports au motif que le Protecteur du citoyen aurait manqué à son obligation d’agir équitablement. Elle a également demandé la divulgation de plusieurs éléments faisant partie du dossier d’enquête du Protecteur du citoyen, notamment les enregistrements, notes sténographiques et notes prises lors des entrevues des témoins, ainsi que les correspondances entre un des témoins et le Protecteur du citoyen.

Sans se prononcer à ce stade sur la validité des rapports du Protecteur du citoyen, la Cour supérieure rejette pour la majorité les demandes de communication formulées par l’ancienne présidente de la CDPDJ. La Cour juge que la confidentialité de l’identité des dénonciateurs ou des éléments composant le dossier d’enquête ne peut être levée qu’exceptionnellement lorsque :

  • il existe des raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles d’équité procédurale, notamment lorsque la personne visée par l’enquête démontre qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle n’a pas été entendue ou que le décideur ou l’organisme administratif conduisant l’enquête avait un esprit fermé dans la conduite de l’enquête et l’évaluation de la preuve; et que
  • des éléments précis et informations spécifiques soutiennent que les renseignements demandés, notamment l’identité des dénonciateurs ou témoins et le contenu de leurs déclarations, sont pertinents et nécessaires pour supporter le manquement à l’équité procédurale allégué.

Dans sa décision, la Cour rappelle également que la confidentialité des informations relatives à une divulgation s’applique même après que l’enquête ait été complétée et que le rapport final ait été rendu.

Impact de cette décision sur la protection des dénonciateurs au Québec

Cette décision vient rappeler l’importance de la protection de l’identité des dénonciateurs dans un contexte où de plus en plus d’organismes publics québécois se sont dotés ou sont visés par un programme de dénonciation. Elle vient renforcer la protection reconnue aux dénonciateurs et témoins en vertu de la Loi facilitant la divulgation dans le cadre de divulgations visant des ministères, organismes gouvernementaux, entreprises du gouvernement et municipalités. Les mêmes principes s’appliqueraient aussi possiblement aux témoins et dénonciateurs visés par d’autres programmes de dénonciation, notamment celui de l’Autorité des marchés publics, de l’Agence du revenu du Québec, et de plusieurs entreprises privées dotées de tels programmes. Bref, cette décision contribue certainement à la lutte et la prévention des actes répréhensibles.

1 Thermitus c. Protecteur du citoyen, 2019 QCCS 5205.

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