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L’Ontario dévoile son cadre réglementaire pour la vente au détail privée du cannabis

Auteurs : Patricia L. Olasker, Brian Kujavsky, Russell Hall et Brent Winston

Moins de trois semaines avant que la consommation de cannabis par les adultes ne devienne légale au Canada, l’Ontario fait finalement connaître son approche en matière de vente et de distribution. Des multiples aspects de l’industrie du cannabis récréatif qui sont laissés à la discrétion des provinces, c’est celui de la vente au détail qui risque d’avoir l’incidence la plus importante sur les consommateurs et les producteurs.

Faits saillants

  • La délivrance des licences pour vente au détail et la supervision des titulaires de licences seront confiées à la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario.
  • Des licences seront délivrées à l’égard tant de l’entité responsable que des magasins assurant la vente.
  • Le nombre de licences de vente au détail délivrées en Ontario ne sera pas plafonné.
  • Les licences seront incessibles.
  • Les producteurs autorisés ne pourront exploiter qu’un seul magasin de vente au détail, qui devra être situé sur le site de production indiqué sur la licence du producteur.
  • La réglementation restreindra probablement les producteurs autorisés qui souhaitent investir dans des entités de vente au détail à la détention de participations sans contrôle.
  • La consommation sera autorisée dans les endroits où l’on peut fumer du tabac et/ou utiliser des cigarettes électroniques.
  • Il se pourrait que les actuels exploitants de dispensaires illégaux puissent participer au nouveau régime de vente au détail.
  • Le gouvernement de l’Ontario demeurera le grossiste exclusif approvisionnant les magasins et continuera d’exploiter le magasin en ligne.

Réglementation hétéroclite

De l’assemblage hétéroclite de lois provinciales qui réglementeront l’industrie du cannabis, on dégage trois modèles de distribution différents :

  • un modèle public, selon lequel une société d’État sera l’unique distributeur de cannabis dans la province
  • un modèle privé, selon lequel une société d’État fera l’achat en gros du cannabis et la vente aux consommateurs sera confiée à des détaillants privés autorisés, réglementés par la province
  • un modèle hybride, selon lequel une société d’État fera l’achat en gros du cannabis et la vente aux consommateurs sera confiée à des détaillants privés et à des détaillants exploités par le gouvernement.

Modification de l’approche d’abord proposée par l’Ontario

L’ancien gouvernement libéral avait proposé un modèle public selon lequel la vente de cannabis serait confiée à une filiale de la Régie des alcools de l’Ontario. Quelque 40 magasins devaient ouvrir leurs portes en 2018 mais, en date de juillet 2018, seuls quatre emplacements avaient été choisis. Le 13 août 2018, le gouvernement progressiste-conservateur nouvellement élu a annoncé qu’il allait modifier cette approche et permettre la vente de cannabis récréatif dans des magasins de vente au détail privés.

Devant l’entrée en vigueur imminente de la Loi sur le cannabis et l’absence de loi provinciale établissant un régime privé de vente au détail, le gouvernement ontarien a dû admettre qu’il ne disposerait pas d’un réseau de magasins ayant pignon sur rue d’ici le 17 octobre 2018. Au départ, la vente de cannabis sera donc exclusivement assurée en ligne par la Société ontarienne de vente du cannabis, personne morale relevant du ministère des Finances. La province de l’Ontario a conclu des ententes d’approvisionnement avec 26 producteurs qui seront autorisés à approvisionner le marché ontarien dès l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis.

L’Ontario, qui espère mettre en œuvre un régime de magasins privés de vente au détail de cannabis d’ici avril 2019, a fait hier le premier pas vers l’atteinte de cet objectif : le projet de loi 36, qui modifie la Loi de 2017 sur le cannabis (dont le titre a été remplacé par Loi de 2017 sur le contrôle du cannabis) et édicte la Loi de 2018 sur les licences liées au cannabis (la « Loi sur les licences »), a passé l’étape de la première lecture à l’Assemblée législative de l’Ontario. Si elle est adoptée, la Loi sur les licences réglementera la délivrance des licences, l’exploitation des magasins et la surveillance des détaillants privés de cannabis en Ontario.

Modification du régime encadrant le cannabis en Ontario

Licenses

En vertu de la Loi sur les licences, la délivrance des licences de vente au détail et la surveillance des détaillants autorisés seront confiées à la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario. Des licences seront délivrées à l’égard tant des entités que des magasins; en effet, les détaillants éventuels devront demander une licence d’exploitation pour vente au détail et une autorisation de magasin de vente au détail pour chaque emplacement. Il ne sera pas possible de céder les licences d’exploitation pour vente au détail, les autorisations de magasin de vente au détail ou les licences de gérant de magasin de vente au détail.

Nombre illimité de licences

Le nombre de licences de vente au détail délivrées en Ontario ne sera pas plafonné. Cependant, en vertu de la Loi sur les licences, la province pourra restreindre par règlement le nombre d’autorisations de magasin de vente au détail pouvant être délivrées à une entité donnée.

Les déclarations de culpabilité antérieures à l’égard du cannabis ne feront pas obstacle à l’obtention d’une licence

Conformément à la Loi sur les licences, les personnes souhaitant exercer des fonctions de gestion à l’égard d’un magasin de vente au détail autorisé devront détenir une licence de gérant de magasin de vente au détail de cannabis. Bien que la Loi sur les licences énonce un certain nombre de motifs pouvant rendre l’auteur d’une demande inadmissible à une licence de gérant de magasin de vente au détail, une déclaration de culpabilité ou une accusation à l’égard d’une infraction prescrite à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances relativement au cannabis n’en fait pas partie.

Les municipalités peuvent se désengager

Les municipalités pourront, par voie de résolution adoptée au plus tard le 22 janvier 2019, interdire que des magasins de vente détail de cannabis soient situés sur leur territoire. La municipalité qui a voté une telle interdiction pourra ultérieurement la lever, également par voie de résolution, et permettre que des magasins de vente au détail de cannabis soient situés sur son territoire. Cependant, la décision de lever l’interdiction serait alors finale et irréversible.

Un magasin de vente au détail par producteur autorisé et ses membres du même groupe

Fait à signaler, l’article 4(4) de la Loi sur les licences prévoit qu’un producteur autorisé ne peut exploiter qu’un seul magasin de vente au détail, qui doit être situé sur le site de production indiqué sur sa licence de producteur ou dans les limites de celui-ci. De plus, la Loi sur les licences interdit au producteur autorisé et aux membres du même groupe que lui, au sens donné à cette expression dans les règlements, de détenir entre eux plus d’une autorisation de magasin de vente au détail.

Comme aucun projet de règlement n’a encore été présenté en vertu du projet de loi 36, le terme « membres du même groupe » est à l’heure actuelle orphelin de définition. Si la définition habituelle lui est attribuée (à savoir, liens société mère-filiale et entités sous contrôle commun), il sera interdit aux producteurs autorisés d’avoir la propriété ou le contrôle d’un détaillant de cannabis, sauf à l’emplacement unique autorisé par la Loi sur les licences. Les producteurs autorisés qui ne possèdent pas de site de production en Ontario pourraient donc être exclus du régime de vente au détail de l’Ontario.

Consommation

L’ancien gouvernement libéral projetait de n’autoriser la consommation du cannabis que dans les résidences privées. La nouvelle Loi allège considérablement les restrictions de consommation et permet celle-ci dans tout lieu où il est légal de fumer du tabac en vertu la Loi de 2017 favorisant un Ontario sans fumée. La consommation de cannabis dans un lieu où cela est interdit serait passible d’une amende d’au plus 1 000 $ dans le cas d’une première infraction et d’une amende d’au plus 5 000 $ dans le cas d’infractions subséquentes. Comme c’est le cas pour le tabac, la consommation du cannabis dans les résidences privées sera assujettie aux restrictions susceptibles de figurer dans les baux ou les règlements de copropriété.

À partir de maintenant

Maintenant qu’un cadre a été proposé, on peut commencer à conjecturer sur l’allure que prendra le marché de la vente au détail de cannabis en Ontario à compter d’avril 2019. L’encadrement proposé semble conçu pour favoriser les détaillants indépendants et diversifier les façons dont les Ontariens pourront se procurer du cannabis récréatif.

Les dispensaires illégaux deviendront-ils réglo?

Il se pourrait que les actuels exploitants de dispensaires illégaux puissent participer au nouveau régime de vente au détail. Le ministre des Finances de l’Ontario, Vic Fedeli, a indiqué que les détaillants qui exerceront des activités illégales après le 17 octobre ne pourront obtenir de licence en Ontario; c’est donc dire que les dispensaires illégaux qui fermeraient leurs portes avant le 17 octobre seraient admissibles à l’obtention d’une licence de vente au détail.

La Loi sur les licences prévoit qu’une déclaration de culpabilité ou une accusation à l’égard d’une infraction prescrite à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances relativement au cannabis n’a pas pour effet d’empêcher la délivrance d’une licence d’exploitation pour vente au détail ou d’une autorisation de magasin de vente au détail à l’auteur de la demande. Par conséquent, les exploitants de dispensaires qui ont été, dans le passé, déclarés coupables ou accusés d’une infraction relativement au cannabis pourraient néanmoins être admis à participer au marché privé de la vente au détail.

Compte tenu de la répression attendue du marché illicite suivant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, ceux qui évoluent sur le marché gris pourraient choisir d’opter pour la légalité afin de se faciliter l’existence.

Les producteurs autorisés trouveront-ils un moyen de participer?

La limite d’un emplacement de vente au détail par producteur autorisé et ses membres du même groupe aura sans doute pour effet de tempérer les ardeurs expansionnistes que certains producteurs bien capitalisés devaient entretenir. L’approche ontarienne se distingue du modèle privé que propose le gouvernement de l’Alberta, qui prévoit la mise en place de 250 magasins de vente au détail dans l’année suivant la légalisation. L’Alberta limitera à 15 % du nombre total de licences disponibles le nombre de licences pouvant être délivrées à une entité donnée, laquelle entité pourrait donc obtenir jusqu’à 37 licences.

Certains producteurs autorisés ont tenté, au moyen d’investissements et d’acquisitions stratégiques, de se mettre dans une position favorable pour participer au marché privé de la vente au détail. Toutefois, le cadre réglementaire de l’Ontario pourrait leur compliquer la tâche.

Par exemple, en septembre 2018, Canopy Growth Corporation a fait l’acquisition de Hiku Brands Company Ltd., qui dispose déjà d’une présence nationale grâce à sa marque Tokyo Smoke. Selon la définition du terme « membre du même groupe » de la Loi sur les licences, il pourrait être interdit à Canopy Growth de tirer parti de la présence de Tokyo Smoke en Ontario. Par contraste, Aurora Cannabis Inc. détient une participation de 19,9% dans Liquor Stores N.A. Ltd., un important détaillant privé de spiritueux dans l’Ouest du Canada. La prise de participation d’Aurora ne ferait probablement pas de Liquor Stores un membre du même groupe au sens de la loi, de sorte qu’Aurora pourrait participer indirectement au marché de la vente au détail de l’Ontario.

Les restrictions que la province compte imposer aux producteurs autorisés qui voudront participer au marché de la vente au détail a refroidi l’optimisme des investisseurs. Le 27 septembre 2018, les cours des actions de Canopy, Aurora et Aphria Inc., d’importantes sociétés du secteur du cannabis, ont chuté de 4,94 %, de 4,18 % et de 6,42 %, respectivement. C’était là le deuxième jour consécutif de baisse du cours des actions de ces producteurs autorisés. L’annonce, le 26 septembre 2018, selon laquelle le gouvernement de l’Ontario entend limiter la participation des producteurs autorisés au marché de la vente au détail semble avoir initié cette tendance. Cette situation méritera d’être surveillée au fil des étapes de l’adoption du projet de loi 36 par l’Assemblée législative.

Qu’en est-il du marché du cannabis médical?

Compte tenu de l’accessibilité prévue du cannabis aux adultes, plusieurs s’interrogent sur la logique du régime très restrictif qui s’applique au cannabis médical. À l’heure actuelle, la Loi sur le cannabis prévoit que le seul moyen de se procurer du cannabis à des fins médicales consiste à obtenir un « document médical » d’un « praticien de la santé », à s’inscrire comme client auprès d’un — et d’un seul — producteur autorisé, à passer sa commande en ligne ou par téléphone à ce producteur autorisé et à attendre la livraison effectuée par un service reconnu.

En date de mars 2018, l’Alberta et l’Ontario constituaient les deux plus importants marchés provinciaux du cannabis médical en fonction du nombre de patients inscrits et du total des expéditions1. Maintenant que ces deux provinces ont opté pour un modèle privé de vente aux adultes qui ne limite pas le nombre potentiel de magasins de vente au détail, la commodité et l’accessibilité du marché du cannabis récréatif pourraient entraîner la cannibalisation du marché du cannabis médical.

1 https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/drogues-medicaments/cannabis/producteurs-autorises/donnees-marche.html

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