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La Cour d’appel ouvre la porte aux réclamations des acheteurs visés en Ontario (pour le moment)

Auteurs : Sandra A. Forbes, Steven G. Frankel et Adam F. Fanaki

Dans l’affaire Shah v. LG Chem Ltd. (en anglais), la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la question de savoir si les acheteurs qui subissent l’effet parapluie (les « acheteurs visés ») peuvent faire valoir des réclamations aussi bien en vertu de la Loi sur la concurrence qu’en vertu de la common law dans les affaires de complot pour fixation des prix. L’acheteur visé est celui qui, bien qu’il achète ses produits directement ou indirectement de fournisseurs qui ne participent pas au complot, estime néanmoins avoir payé un prix excessif attribuable aux pressions à la hausse qu’exercent les participants au cartel sur les entreprises qui n’y participent pas. C’est ce qu’on appelle « l’effet parapluie ».

Points Saillants

  • La Cour d’appel a autorisé les acheteurs visés à faire valoir leurs réclamations au moyen d’un recours collectif, écartant les arguments voulant que ce genre de réclamation donne lieu à une responsabilité indéterminée et que le préjudice causé aux acheteurs visés ne puisse être prouvé à l’échelle du groupe.
  • Cette décision réconcilie le droit de l’Ontario et celui de la Colombie-Britannique, dans la mesure où la viabilité des demandes des acheteurs visés a été reconnue dans l’affaire Godfrey v Sony Corporation (en anglais).
  • La question a déjà fait son chemin jusqu’à la Cour suprême du Canada. Cette dernière instruira le pourvoi dans l’affaire Godfrey le 11 décembre 2018.
  • Sous réserve de la décision à venir dans l’affaire Godfrey, nous prévoyons que les demandes de certification de recours collectifs pour complot visant à fixer les prix, introduites en Ontario (et ailleurs au Canada), contiendront des réclamations formulées au nom d’acheteurs visés. Les avocats des demandeurs chercheront peut-être aussi à faire ajouter de telles réclamations aux actions collectives en cours.

Contexte

Dans cette affaire, on allègue qu’un complot visant à fixer le prix des piles au lithium ionique vendues au Canada aurait existé entre janvier 2000 et décembre 2011. Une demande visant à faire certifier un recours collectif au nom de l’ensemble des acheteurs canadiens de piles et de produits au lithium ionique a été introduite en Ontario contre certaines entreprises qui fabriquaient et fournissaient des piles et des produits au lithium ionique pendant cette période. Les causes d’action invoquées comprennent les suivantes : (i) la cause d’action prévue à l’article 36 de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») découlant de l’infraction de complot énoncée à l’article 45 de la Loi; et (ii) l’emploi de « moyens illégaux » pour commettre le délit civil de complot.

Selon l’article 36 de la Loi, toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement contraire à la partie VI de la Loi peut réclamer et recouvrer des dommages-intérêts de la personne qui a eu un tel comportement. L’article 45 de la Loi, qui figure dans la partie VI, interdit le complot visant à fixer le prix d’un produit.

Pour établir l’existence d’un complot prévoyant l’emploi de moyens illégaux, le demandeur doit établir ce qui suit : (i) le comportement des défendeurs était illégal; (ii) le comportement des défendeurs visait à causer un préjudice au demandeur; (iii) les défendeurs savaient que le demandeur subirait un préjudice ou auraient dû savoir qu’un tel préjudice surviendrait; et (iv) le demandeur a, dans les faits, subi un préjudice.

En octobre 2015, le juge Paul Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a certifié le recours collectif à l’égard des réclamations fondées sur la Loi présentées au nom des acheteurs qui ne sont pas des acheteurs visés. Il a cependant refusé de faire de même à l’égard des réclamations fondées sur la Loi présentées au nom des acheteurs visés et à l’égard des réclamations fondées sur le délit de complot prévoyant l’emploi de moyens illégaux. Le juge Perell a refusé de certifier les réclamations des acheteurs visés pour plusieurs raisons, dont le fait que, selon lui, ces réclamations pourraient entraîner une déclaration de responsabilité à l’égard d’un groupe indéterminé d’acheteurs directs et indirects de tout produit susceptible d’avoir été visé par le comportement.

Dans une décision publiée en avril 2017, la Cour divisionnaire a confirmé que les réclamations des acheteurs visés ne devraient pas faire partie du recours collectif certifié. Elle a cependant modifié l’ordonnance du juge Perell et autorisé l’inclusion, dans le recours collectif certifié, des réclamations fondées sur le délit civil de complot prévoyant l’emploi de moyens illégaux présentées au nom des acheteurs qui ne sont pas des acheteurs visés.

Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de l’Ontario.

Décision de la Cour d'appel

La Cour d’appel a accueilli l’appel et déclaré que les réclamations des acheteurs visés devaient faire partie du recours collectif certifié.

La Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel ces réclamations ne devraient pas être reconnues parce qu’elles pourraient entraîner une responsabilité indéterminée. Relativement aux réclamations fondées sur la Loi, la Cour d’appel s’est dite d’avis que non seulement le sens ordinaire de la Loi, mais aussi son objet, militent en faveur de la certification. Les dispositions pertinentes de la Loi confèrent un droit d’action à toute personne ayant subi une perte ou des dommages en raison d’un comportement anticoncurrentiel illégal; elles ne restreignent pas ce droit aux personnes qui ont acheté des produits directement ou indirectement aux auteurs allégués du complot. Autoriser la certification des réclamations des acheteurs visés est compatible avec deux objectifs de la Loi, soit la réparation du préjudice causé par le comportement interdit et la nécessité de décourager ce genre de comportement. Par ailleurs, la Cour d’appel a déclaré que les préoccupations soulevées à l’égard du risque de responsabilité indéterminée ne s’appliquent pas en l’espèce en raison des « contraintes inhérentes » à la cause d’action qui sont prévues par la Loi. En effet, les demandeurs ne peuvent obtenir gain de cause que s’ils prouvent que les défendeurs avaient l’intention de se mettre d’accord sur un comportement anticoncurrentiel et que les demandeurs ont véritablement subi une perte ou des dommages par suite du complot. Le champ d’application du délit civil de complot prévoyant l’emploi de moyens illégaux est encore plus limité, en raison de l’obligation d’établir que le comportement des défendeurs « visait » les demandeurs, de sorte que le risque de responsabilité indéterminée est également absent de la cause d’action du délit en common law.

Les défendeurs avaient par ailleurs soulevé comme objection que les demandeurs n’avaient pas proposé de méthode crédible pour prouver le préjudice causé à l’ensemble des acheteurs visés du groupe (plutôt qu’à certains d’entre eux). La Cour d’appel a également rejeté cet argument. Bien que la méthode proposée par le témoin expert des demandeurs ne mentionne pas « expressément » les acheteurs visés et soit avare de détails, la Cour d’appel est arrivée à la conclusion qu’elle offrait néanmoins une possibilité réaliste d’établir le préjudice pour tous les membres du groupe, et ce, malgré la preuve d’expert déposée par les défendeurs selon laquelle le préjudice ne peut être établi pour l’ensemble du groupe. La Cour d’appel a rappelé que les tribunaux ne doivent pas tenter de résoudre une « bataille d’experts » à l’étape de la certification du recours collectif. La question de savoir si une méthode permet ou non d’établir l’existence d’un préjudice pour tous les membres du groupe doit être tranchée au procès.

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