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La Cour du Québec se penche sur de nouvelles questions dans le cadre de l’approbation du deuxième accord de réparation (aussi appelé accord de poursuite suspendue) en vertu du Code criminel canadien

La Cour supérieure du Québec a récemment publié les motifs1 de son approbation du deuxième accord de réparation, conclu au Canada en vertu du Code criminel, la version canadienne de l’accord de poursuite suspendue (APS). Dans ses motifs, le juge Marc David a fait une description détaillée des principes applicables au régime d’accords de réparation du Canada et s’est prononcé sur de nouvelles questions, notamment la qualité des victimes pour intervenir dans les procédures et l’approbation d’ententes qui n’identifient ni n’indemnisent les victimes.

L’accord de réparation a mis fin aux allégations selon lesquelles Ultra Electronics Forensic Technology Inc. (UEFTI) aurait versé des paiements illicites à des fonctionnaires étrangers et aurait falsifié des documents pour dissimuler ces paiements illicites dans le cadre de ses relations commerciales avec la Police nationale philippine (PNP). L’UEFTI est propriétaire d’un système de reconnaissance balistique avancé utilisé par les forces de l’ordre pour enquêter sur les crimes impliquant l’utilisation d’armes à feu. Entre 2006 et 2018, les ventes de l’UEFTI à la PNP se sont élevées à 17 millions de dollars canadiens. Les intermédiaires locaux ont reçu 4,4 millions de dollars canadiens en commissions sur le montant des recettes du contrat.

Notamment, les parties n’ont pas été en mesure de distinguer les dépenses légitimes des sommes destinées aux paiements illicites. L’accord de réparation prévoyait un paiement total par l’UEFTI de 10 millions de dollars canadiens sous la forme de confiscations, de pénalités, d’une suramende compensatoire, et du remboursement des dépenses encourues par le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) au stade de la mise en œuvre de l’accord. Bien que l’accord de réparation ne prévoie pas d’indemnisation des victimes, la Cour a estimé que cela était raisonnable et justifié dans les circonstances.

Principaux points à retenir

Les principaux points à retenir sont les suivants :

  • les parties impliquées dans un accord de réparation doivent s’attendre à ce que l’audience d’approbation soit publique. Si l’accord n’est pas approuvé, il restera confidentiel et seuls l’ordonnance et les motifs de l’ordonnance seront publiés. Si l’accord est approuvé, il sera rendu public sous réserve des mesures de confidentialité imposées. Ces mesures peuvent être nécessaires, par exemple, pour protéger la vie privée ou la sécurité de tiers innocents ou de victimes, ou le droit des coaccusés à un procès équitable;
  • si l’accord répond aux critères d’intérêt public et de proportionnalité, le tribunal fera preuve d’une grande retenue à l’égard de ses termes spécifiques. Le rôle du tribunal dans le processus d’approbation reste toutefois important et les parties doivent être prêtes à répondre à toute préoccupation exprimée par le tribunal, notamment en modifiant l’accord de réparation ou en soumettant un dossier plus étoffé;
  • si l’accord de réparation ne propose pas de réparation à une victime, après que les parties aient fait des efforts raisonnables pour identifier d’éventuelles victimes, le procureur doit indiquer les raisons pour lesquelles les réparations ne sont pas appropriées. Le tribunal examinera alors la validité de ces raisons pour décider si l’accord doit être approuvé. Comme c’est le cas dans les jugements concernant les APS au Royaume-Uni, le tribunal peut approuver un accord sans réparation aux victimes lorsqu’il est impossible de les identifier ou de quantifier les paiements illicites réellement versés;
  • bien que les victimes soient libres d’intenter une action en réparation devant les tribunaux civils, elles n’obtiendront pas qualité pour agir dans le cadre des procédures relatives aux accords de réparation. La procédure d’approbation est conçue comme un examen de contrôle des termes de l’accord, et non comme un procès en bonne et due forme;
  • la collaboration d’une organisation avec les autorités canadiennes sera perçue positivement par le tribunal lors de son analyse de l’accord proposé. Les meilleures pratiques à cet égard peuvent inclure la mise en œuvre d’un protocole d’assistance pour préserver l’intégrité des preuves, faciliter les entretiens avec les témoins et donner accès à toute enquête interne, ou consentir à des mandats de saisie de données électroniques et à la résolution extrajudiciaire d’éventuelles questions de privilège.

L’essentiel sur les accords de réparation

Modalités, effets et objectifs de l’accord de réparation

L’accord de réparation est un accord entre une organisation accusée d’avoir perpétré une infraction et le poursuivant dans le cadre duquel les poursuites relatives à cette infraction sont suspendues pourvu que l’organisation se conforme aux modalités de l’accord. Une fois les modalités et conditions respectées et le délai prévu expiré, le tribunal rend une ordonnance entraînant l’arrêt immédiat des poursuites (et aucune déclaration de culpabilité n’est prononcée). Si l’organisation ne se conforme pas aux modalités et modalités de l’accord de réparation, l’accord peut être résilié et les poursuites suspendues peuvent être reprises par le poursuivant sans nouvelle dénonciation ou sans nouvel acte d’accusation.

L’accord de réparation vise non seulement à sanctionner les infractions criminelles et à décourager les actes répréhensibles, mais aussi à inciter les organisations à volontairement dénoncer les infractions qu’elles ont commises. Les enquêtes concernant de telles infractions exigent souvent beaucoup de temps et de ressources. Les accords de réparation constituent une alternative permettant de procéder efficacement et dans de meilleurs délais. La possibilité de conclure un accord de réparation encourage la mise en place proactive de mesures correctives et de conformité au sein des organisations. De plus, les accords de réparation peuvent contribuer à atténuer les conséquences involontaires pour les parties innocentes telles que les employés irréprochables, les clients, les fournisseurs, les investisseurs et les autres parties prenantes. Les accords de réparation peuvent, par exemple, éviter que des organisations et les entités de leur groupe soient déclarées inadmissibles aux contrats publics dans des territoires où une déclaration de culpabilité à certains types d’infractions entraîne une telle inadmissibilité, comme dans le cas du premier accord de réparation conclu au Canada avec SNC-Lavalin. Dans le cas de l’UEFTI, le tribunal a estimé qu’il était dans l’intérêt public que le produit de l’UEFTI reste à la disposition des forces de l’ordre dans le monde entier.

L’adoption du régime d’accords de réparation du Canada

La nouvelle partie XXII.1 du Code criminel, entrée en vigueur en septembre 2018, permet au poursuivant de conclure un accord de réparation avec une organisation. Un accord de réparation ne peut être conclu que pour les infractions énumérées dans l’annexe de la partie XXII.1, dont la fraude et la corruption d’agents publics étrangers. Un accord de réparation ne peut être conclu en lien à une infraction à la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur l’impôt sur le revenu, par exemple.

La décision de conclure un accord de réparation est discrétionnaire. Le poursuivant peut entamer une négociation en vue d’un tel accord s’il estime que celle-ci est dans l’intérêt public et appropriée dans les circonstances.

Un accord de réparation est soumis à l’approbation du procureur général et du tribunal.

Pour déterminer si la négociation d’un accord est dans l’intérêt public et appropriée aux circonstances, le procureur doit prendre en compte :

  • les circonstances dans lesquelles l’acte ou l’omission qui constitue la base de l’infraction a été porté à l’attention des autorités chargées de l’enquête;
  • la nature et la gravité de l’acte ou de l’omission et son impact sur toute victime;
  • le degré d’implication des dirigeants de l’organisation dans l’acte ou l’omission;
  • si l’organisation a pris des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, contre toute personne impliquée dans l’acte ou l’omission;
  • si l’organisation a posé des actes de réparation ou pris d’autres mesures pour remédier au préjudice causé par l’acte ou l’omission et pour empêcher la commission d’actes ou d’omissions similaires;
  • si l’organisation a identifié ou exprimé la volonté d’identifier toute personne impliquée dans des actes répréhensibles liés à l’acte ou à l’omission;
  • si l’organisation — ou l’un de ses représentants — a déjà été reconnue coupable d’une infraction ou sanctionnée par un organisme de réglementation, ou si elle a déjà conclu un accord de réparation ou un autre règlement, au Canada ou à l’étranger, pour des actes ou des omissions similaires;
  • si l’organisation — ou l’un de ses représentants — est soupçonnée d’avoir perpétré toute autre infraction, y compris celles qui ne sont pas visées par l’annexe de la partie XXII.1; et
  • tout autre élément que le poursuivant juge pertinent.

Si l’organisation est présumée avoir commis une infraction en vertu des articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le procureur ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national, les effets potentiels sur les relations avec un État autre que le Canada ou l’identité des sociétés ou des individus impliqués.

Dans ces circonstances, la Cour a suggéré que le poursuivant prenne en considération le fait que la corruption d’agents publics étrangers est un crime complexe, secret par nature, et que les systèmes de corruption impliquent souvent une série de transactions à l’étranger, de multiples intermédiaires et des structures d’entreprise complexes, ce qui les rend difficiles à détecter.

Le régime d’accords de réparation du Canada met particulièrement l’accent sur la participation des victimes au processus :

  • dans certaines circonstances, une surtaxe de 30 % de la pénalité est due;
  • la participation à un processus d’accord de réparation est conditionnelle à ce que l’organisation fasse de son mieux pour identifier les victimes potentielles. Le procureur prendra des mesures raisonnables pour informer les victimes ;
  • la notion de « victime » est interprétée de manière large et peut inclure des personnes se trouvant en dehors du pays;
  • par conséquent, une organisation qui envisage de conclure un accord de réparation doit élaborer un plan d’action pour localiser ou identifier les victimes potentielles.

Il est important de noter que si les parties proposent un accord qui ne prévoit pas de réparation pour une victime, le procureur doit indiquer les raisons pour lesquelles les réparations ne sont pas appropriées. Les parties doivent avoir fait des efforts raisonnables pour identifier les victimes potentielles. Un tribunal examinera alors la validité de ces raisons pour décider si l’accord doit être approuvé.

Le deuxième accord de réparation du Canada et les nouveaux arrêts de procédure

La première entente de réparation au Canada entre SNC-Lavalin et le Directeur des poursuites criminelles pénales du Québec a été annoncée le 11 mai 2022. La Cour supérieure a approuvé l’entente le même jour, suivie de motifs datés du 31 mai 2022 qui donnent un aperçu détaillé des principes applicables aux ententes de réparation. Pour une analyse plus détaillée de l’accord de réparation avec SNC-Lavalin, veuillez consulter notre bulletin 2022.

Le 4 octobre 2022, le SPPC a déposé auprès de la Cour supérieure une demande d’ordonnance approuvant le deuxième accord de réparation du Canada. Cette demande est le résultat de neuf mois de négociations entre le SPPC et l’UEFTI pour résoudre les accusations portées contre ces derniers pour le versement de paiements illicites à des fonctionnaires et la falsification de dossiers pour les dissimuler dans le cadre de sa relation commerciale avec la PNP. Ces accusations ont été portées en vertu de la Loi canadienne sur la corruption d’agents publics étrangers et du Code criminel.

La demande du SPPC a donné lieu à deux questions procédurales uniques : une requête des parties pour procéder à huis clos au stade de l’audience sur le fond et une demande d’intervention de Concept Dynamics Enterprise (CDE) dans la procédure afin d’être reconnue comme victime et d’être indemnisée pour les pertes subies du fait des actions de l’UEFTI. La question de la qualité pour agir devant le tribunal dans le cadre d’une procédure d’accord de réparation était une question nouvelle et importante à trancher par le tribunal.

Le régime d’accords de réparation du Canada comporte trois étapes distinctes, comme le prévoit la partie XXII.1 du Code criminel du Canada : i) la négociation ; ii) l’approbation ; et iii) la mise en œuvre. L’étape de la négociation n’implique que le procureur et l’organisation et se déroule à huis clos. La requête des parties portait sur l’étape de l’approbation, qui implique les parties et le tribunal. Les parties ont estimé que cette étape ne devrait être rendue publique que si l’accord est approuvé, afin d’éviter un effet dissuasif sur la décision de s’engager dans le processus.

Le tribunal a rejeté la demande des parties de tenir l’audience d’approbation à huis clos dans un jugement préliminaire daté du 16 novembre 20222. Dans l’affaire SNC-Lavalin, les parties ont été autorisées à suivre une procédure d’approbation en deux étapes, comprenant des audiences confidentielles à huis clos pour préparer la présentation publique de l’audience d’approbation, suivies d’une audience publique. En effet, le tribunal avait estimé que cette procédure était appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire SNC-Lavalin, bien que le Code criminel du Canada soit muet sur la question et que la loi du Royaume-Uni prévoie expressément une telle procédure. Toutefois, la procédure dans l’affaire SNC-Lavalin diffère de la loi britannique en ce sens que le tribunal a réservé son examen du bien-fondé de l’affaire à l’audience publique.

Dans l’affaire UEFTI, les parties sont allées plus loin en demandant que l’audience d’approbation se déroule à huis clos et reste confidentielle si l’accord n’était pas approuvé. En rejetant cet argument, le tribunal a cité le principe fondamental de l’audience publique au Canada, énoncé par la Cour suprême dans l’affaire de la Société Radio-Canada contre le Nouveau-Brunswick (Procureur général)3. Il existe des exceptions à la règle, mais elles n’étaient pas applicables dans le cas de l’UEFTI, notamment la nécessité de prévenir les atteintes aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale.

La Cour a noté que si l’accord n’était pas approuvé, l’organisation continuerait de bénéficier de l’interdiction de publication de son contenu. Dans ce cas, seuls l’arrêté et les motifs de l’arrêté seraient publiés, ce qui répondrait à toute préoccupation concernant d’éventuels effets paralysants.

La Cour a également estimé que les dispositions du Code criminel exigent une audience publique. Plus précisément, les préoccupations d’intérêt public de la partie XXII.1 du Code criminel doivent être débattues publiquement et ne peuvent être évaluées en huis clos. Bien que la législation britannique applicable contienne des dispositions qui autorisent spécifiquement les procédures à huis clos à deux stades différents, la Cour a noté que la législation canadienne ne le fait pas. Pour toutes ces raisons, le tribunal a rejeté la requête des parties.

Le 28 février 2023, le tribunal a rendu son deuxième jugement approuvant un accord de réparation au Canada. Dans le cadre de ce jugement, il a précisé les raisons pour lesquelles il avait rejeté la demande d’intervention de CDE. Cette dernière a fait valoir qu’au lieu d’être une participante au système (comme le prétend l’exposé conjoint des faits des parties), elle avait été contrainte par l’UEFTI à verser des paiements illicites. Elle a demandé une indemnisation et des excuses de la part de la poursuivante, sinon le rejet de l’accord de réparation.

En rejetant la demande de CDE, la Cour a estimé que le cadre de l’accord de réparation ne permettait pas aux victimes de participer au processus. Le rôle du tribunal est d’accepter les faits tels que fournis par la poursuivante et l’organisation et d’effectuer un contrôle des termes de l’accord, et non d’évaluer la force probante de preuves contradictoires dans un procès à part entière. La CDE n’a pas été empêchée d’intenter une action devant le système judiciaire civil.

Bien que le jugement soit daté du 28 février 2023, il n’a été rendu public qu’au mois de mai, après que les parties aient eu la possibilité de faire des représentations concernant les mesures de confidentialité. Afin de préserver le droit à un procès équitable de quatre accusés en attente de procès connexes devant un juge et un jury, les extraits de l’exposé conjoint des faits resteront confidentiels jusqu’à ce que les jurys soient séquestrés ou jusqu’au règlement final des dossiers4.

Le rôle du tribunal dans l’approbation d’un projet d’accord de réparation

En vertu du Code criminel, le tribunal doit approuver l’accord de réparation proposé s’il est convaincu que :

  • l’organisation est accusée d’une infraction à laquelle l’accord s’applique;
  • l’accord est dans l’intérêt public; et
  • les termes de l’accord sont justes, raisonnables et proportionnels à la gravité de l’infraction.

Dans le deuxième jugement sur l’accord de réparation au Canada, la Cour a confirmé ses motifs antérieurs selon lesquels elle doit suivre une approche déférente. Elle a également confirmé que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Anthony-Cook et Nahanee5 , dans le contexte des observations conjointes sur la peine à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, s’appliquent au régime d’accords de réparation.

Dans la mesure où un accord de réparation répond aux critères d’intérêt public et de proportionnalité, la Cour a examiné plusieurs raisons pour lesquelles elle devrait faire preuve de déférence à l’égard des termes spécifiques d’un accord :

  • les modalités résultent des discussions de résolution entre les parties, qui peuvent être longues et ardues;
  • la déférence est compatible avec la réalisation de l’objectif consistant à encourager la divulgation volontaire d’actes répréhensibles;
  • la déférence est de mise compte tenu du rôle limité du tribunal dans l’établissement indépendant des faits;
  • le tribunal dispose de peu d’options autres que l’approbation ou le rejet d’un accord, contrairement au contexte de la détermination de la peine où il peut imposer des modalités différentes de celles proposées par les parties;
  • les accords de réparation présentent de nombreux avantages par les certitudes qu’ils apportent, notamment l’indemnisation des victimes, la réparation des organisations, le paiement de pénalités au gouvernement et l’évitement d’un long contentieux.

Enfin, la Cour a noté que la déférence à l’égard de l’accord devrait être mesurée en fonction de l’étendue de la collaboration proposée par l’organisation, ce qui encouragerait davantage la divulgation volontaire et la collaboration étendue des organisations.

Malgré cela, le tribunal a rappelé que son rôle au cours de la phase d’approbation est important et significatif. Il tient le procureur et l’organisation responsables des termes de l’accord. En conséquence, les parties doivent être attentives à toute préoccupation exprimée par le tribunal et y répondre de manière adéquate, y compris en modifiant éventuellement l’accord de réparation ou en soumettant un dossier plus étoffé.

Engagements monétaires de l’UEFTI

Entre 2006 et 2018, les ventes de l’UEFTI à la PNP se sont élevées à 17 millions de dollars canadiens. Elles ont été réalisées en grande partie par des intermédiaires locaux, qui ont reçu 4,4 millions de dollars canadiens en commissions. Ce montant comprenait à la fois des dépenses commerciales légitimes et des sommes destinées à des paiements illicites, et il n’a pas été possible pour les parties d’isoler les dépenses légitimes encourues ni de déterminer les bénéfices nets générés par les contrats d’approvisionnement avec la PNP. En conséquence, le montant versé à titre de paiements illicites a été fixé à 4,4 millions de dollars canadiens afin de garantir que l’UEFTI ne bénéficie pas de pratiques comptables déficientes.

L’accord de réparation prévoyait un paiement total de 10 millions de dollars canadiens, soit environ 60 % de la valeur des ventes brutes aux Philippines, réparti comme suit :

  • la confiscation de 3,3 millions de dollars canadiens, correspondant à 75 % des 4,4 millions de dollars canadiens de commissions versées, reconnaissant qu’une partie des commissions correspondait à des services légitimes rendus;
  • une pénalité de 6,6 millions de dollars canadiens, correspondant à plus de 30 % des ventes de l’UEFTI à la PNP, reconnaissant que ces ventes impliquaient des technologies authentiques et légitimes servant à enquêter sur les crimes liés aux armes à feu. Le tribunal a estimé que ce montant répondait aux objectifs du régime d’accords de réparation et qu’il était nettement supérieur aux commissions versées aux intermédiaires locaux et au coût ordinaire de l’activité commerciale;
  • une suramende compensatoire de 660 000 dollars canadiens, ce qui correspond à 10 % de la peine proposée. Bien que le Code criminel fixe cette suramende pour les victimes à 30 % de la peine imposée (ou à tout autre montant que le procureur juge approprié dans les circonstances), elle ne s’applique qu’aux infractions au Code criminel. Étant donné que deux des trois accusations portées contre l’UEFTI l’ont été en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le SPPC a jugé approprié de réviser ce montant en conséquence.

Bien que l’un des objectifs déclarés du régime soit de fournir des réparations pour les dommages causés aux victimes ou à la communauté, l’accord de réparation proposé était unique en ce sens qu’il n’identifiait ni n’indemnisait aucune victime. Malgré que la Cour ait confirmé que le traitement des victimes est un élément central du cadre de l’accord de réparation, elle a néanmoins reconnu qu’il peut exister des circonstances dans lesquelles les réparations ne sont pas appropriées. Les parties doivent faire des efforts raisonnables pour identifier les victimes. Par la suite, si l’accord proposé ne prévoit pas de réparation pour une victime, le procureur est tenu d’indiquer les raisons pour lesquelles les réparations ne sont pas appropriées. Le tribunal examinera alors la validité de ces raisons pour décider si l’accord doit être approuvé.

Dans l’affaire UEFTI, les parties ont déclaré que les victimes n’étaient pas identifiables en raison, entre autres, de l’absence de preuves concernant les montants versés à titre de paiements illicites ou l’identité des bénéficiaires des paiements illicites, de la structure complexe des entités relevant du gouvernement philippin potentiellement touchées par le système et de l’impossibilité d’identifier un concurrent qualifié de l’UEFTI susceptible d’avoir subi un préjudice économique. La Cour a estimé que ces raisons semblaient raisonnables dans les circonstances de l’affaire de l’UEFTI. Conformément aux principes énoncés dans les affaires Anthony-Cook et Nahanee, la Cour a estimé qu’ils méritaient une certaine déférence.

En outre, le tribunal a cité un certain nombre d’arrêts britanniques pour justifier l’exclusion des réparations aux victimes. Ces jugements ont approuvé des APS dans le contexte de la corruption transnationale lorsque : i) il est impossible d’identifier les entités en tant que victimes en se basant sur un certain nombre de facteurs; ou ii) il est impossible de quantifier les paiements illicites versés et les pertes résultant de l’acte criminel. Le tribunal a estimé que ces considérations étaient pertinentes et applicables à son analyse de l’accord proposé.

Enfin, le tribunal a noté que l’accord proposé n’empêchait pas les parties lésées de demander une indemnisation aux Philippines.

Engagements de conformité de l’UEFTI

Le tribunal s’est également assuré que l’accord de réparation proposé garantirait que l’UEFTI ne commettra plus de délit dans l’exercice de ses activités commerciales, que ce soit au niveau national ou à l’étranger. Les principaux éléments des engagements de l’UEFTI en matière de conformité sont les suivants :

  • la nomination d’un auditeur externe pour une période de trois à quatre ans, chargé de réaliser des tests et de faire rapport au SPPC sur l’efficacité opérationnelle du programme de lutte contre la corruption de l’UEFTI;
  • la pleine coopération avec l’auditeur et le SPPC tout au long de la période d’audit de conformité;
  • le paiement des coûts du programme de conformité;
  • rendre compte au SPPC, dans les délais impartis, de la mise en œuvre de chaque modalité de l’accord; et
  • le remboursement au SPPC des frais d’assistance en matière de comptabilité judiciaire encourus pour la mise en œuvre de l’accord.

Le tribunal a également noté que l’UEFTI avait commencé à réformer sa culture d’entreprise délinquante avant même l’enquête de la GRC sur cette affaire, ainsi que la collaboration exemplaire de l’UEFTI avec la GRC une fois que celle-ci fut impliquée. L’UEFTI avait d’autre part mis en œuvre un protocole d’assistance qui a permis à la police de sécuriser et de préserver l’intégrité de preuves essentielles, de faciliter les entretiens avec les témoins et d’accéder au produit de l’enquête interne de l’UEFTI. L’UEFTI a également consenti à l’exécution de mandats de saisie de données électroniques et a résolu à l’amiable d’éventuels enjeux de privilège, ce qui a permis aux autorités d’économiser du temps et de l’argent. Ces facteurs ont été favorablement considérés par le tribunal dans son analyse de la question s’il fallait approuver l’accord proposé.

Et après?

L’accord prévoit que diverses obligations doivent être remplies dans les délais prescrits et dans un délai maximum de quatre ans. Le ministère public peut demander au tribunal une déclaration d’achèvement à tout moment avant l’expiration de l’accord s’il estime que l’UEFTI a rempli toutes ses conditions. Si la Cour estime que les modalités de l’accord ont été respectées, les poursuites seront réputées n’avoir jamais été engagées et aucune autre poursuite ne pourra être engagée en lien aux infractions dont il est question.

Conclusion

Dans le deuxième jugement appliquant le Régime canadien des accords de réparation, la Cour supérieure du Québec apporte davantage de clarté aux procureurs et aux organisations qui envisagent de divulguer eux-mêmes un comportement potentiellement criminel. Bien qu’il subsiste une incertitude quant aux circonstances dans lesquelles le ministère public fédéral acceptera d’entamer des négociations en vue d’un accord de réparation, il y a lieu d’espérer que ces nouveaux développements permettront à d’autres affaires de voir le jour.

1 R. c. Ultra Electronics Forensic Technology Inc, QCCS #500-36-010389-222, 28 février 2023 et 16 mai 2023.

2 2022 QCCS 4401.

3 [1996] 3 SCR 480, par. 20 à 22.

4 R. c. Ultra Electronics Forensic Technology Inc, QCCS #500-36-010389-222, 28 février 2023 et 16 mai 2023.

5 R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, par. 5 et 32; et R c. Nahanee, 2022 SCC 37, par. 25.

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