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La Loi sur la protection des sources journalistiques – Comment le nouveau cadre législatif influence-t-il l’autorisation relative à un mandat de perquisition?

Auteurs : Léon H. Moubayed, Chantelle Cseh et Amélie Lehouillier

Dans la récente décision R. c. Laffont1, la Cour du Québec (« CQ ») a annulé un certain nombre de mandats de perquisition au motif qu’ils avaient été indûment autorisés en vertu du cadre général prévu par le Code criminel2 plutôt qu’en vertu du cadre spécifique mis en place par la Loi sur la protection des sources journalistiques3 (« LPSJ »). Les mandats ont été autorisés en vertu du Code criminel malgré le fait que :

  1. le suspect était un journaliste;
  2. le matériel à saisir avait été partiellement utilisé à des fins journalistiques professionnelles; et
  3. les lieux à perquisitionner comprenaient l’établissement d’un média exploitant un site Web consacré exclusivement à l’actualité militaire.

La LPSJ

La LPSJ est entrée en vigueur en 2017 et a servi à modifier la Loi sur la preuve au Canada (« LPC ») afin de protéger la confidentialité des sources journalistiques et d’offrir une protection au droit des journalistes à la confidentialité dans leur collecte ou leur diffusion d’informations.

La LPSJ a également modifié le Code criminel de sorte que seul un juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle ou un juge au sens de l’article 552 du Code criminel peut décerner un mandat de perquisition concernant un journaliste. La LPSJ pose comme condition préalable à la délivrance d’un mandat de perquisition concernant un journaliste que le juge soit convaincu :

  1. qu’il n’existe aucun autre moyen par lequel les renseignements recherchés peuvent être raisonnablement obtenus;
  2. que l’intérêt public à faire des enquêtes et entreprendre des poursuites relatives à des infractions criminelles l’emporte sur le droit du journaliste à la confidentialité dans le processus de collecte et de diffusion d’informations.

En outre, la LPSJ prévoit que le juge saisi d’une demande de mandat de perquisition à l’encontre d’un journaliste doit être convaincu que ces mêmes conditions sont réunies avant qu’un fonctionnaire puisse examiner les renseignements obtenus conformément à un mandat de perquisition concernant les communications, choses, documents ou données concernant un journaliste ou qu’un journaliste a en sa possession.

Enfin, la LPSJ octroie au juge saisi d’une demande de mandat de perquisition à l’encontre d’un journaliste le pouvoir discrétionnaire d’imposer toute condition qu’il estime indiquée afin de protéger la confidentialité des sources journalistiques et de limiter la perturbation des activités journalistiques.

La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Denis c. Côté

Dans l’affaire Denis c. Côté4, la Cour suprême du Canada (« CSC ») a interprété l’article 39.1 de la LPC concernant les assignations à témoigner ou à produire des documents adressés à des journalistes et susceptibles de révéler l’identité d’une source confidentielle. La majorité a estimé que, avec les modifications à la loi apportées par la LPSJ, « le Parlement a créé un régime de droit nouveau, duquel se dégage une intention claire : accorder une protection accrue à la confidentialité des sources journalistiques dans le cadre des rapports qu’entretiennent les journalistes avec ces sources »5.

La décision de la CQ dans l’affaire R. c. Laffont

Contexte et faits

Un mandat de perquisition a été obtenu à l’encontre du demandeur en vertu de l’article 487 du Code criminel. L’agent de police qui a demandé le mandat savait que le demandeur était un journaliste, mais il ignorait l’existence de la LPSJ et de son incidence sur le processus d’obtention de mandats de perquisition à l’encontre de journalistes. Par conséquent, le juge qui a autorisé le mandat de perquisition n’a pas été informé de l’existence de la LPSJ ni du fait que le demandeur était un journaliste.

Le mandat de perquisition a été accordé et exécuté en conséquence. À la suite de la saisie de l’ordinateur du demandeur, deux autres mandats de perquisition concernant le demandeur ont été demandés et obtenus, l’un visant son casier et l’autre, ses bagages. Encore une fois, l’agent de police qui a demandé le mandat de perquisition l’a fait en vertu de l’article 487 du Code criminel, sans jamais révéler au juge décernant le mandat que le demandeur était un journaliste.

Lors de son procès, le demandeur a présenté une requête demandant au tribunal d’annuler tous les mandats de perquisition obtenus et exécutés contre lui.

Analyse

La CQ, se référant à l’affaire Denis, a rappelé l’existence du nouveau cadre législatif fédéral visant la protection des sources journalistiques énoncé à l’article 39.1 de la LPC, lequel a été adopté par la LPSJ.

La CQ a conclu que les mandats de perquisition auraient dû être autorisés en vertu de l’article 488.01 du Code criminel et, dès lors, autorisés par un juge ayant la compétence requise aux termes de cette disposition. Par conséquent, la CQ a conclu que les mandats de perquisition n’étaient pas valides et que, par voie de conséquence, ils ont donné lieu à une perquisition et une saisie illégales et abusives. La CQ a finalement ordonné que les preuves obtenues en vertu du mandat soient exclues, estimant essentiellement, après avoir considéré l’ensemble des intérêts opposés, qu’elle devait se dissocier de la conduite de la police dans ce cas précis.

Cette décision récente, ainsi que l’affaire R. c. Société Radio-Canada6, est l’une des premières décisions portant sur les modifications apportées au Code criminel par la LPSJ. Elle est en phase avec la jurisprudence de la CSC, notamment quant à son interprétation du nouveau cadre législatif qui a introduit des règles spécifiques et impératives applicables aux perquisitions et aux saisies concernant les journalistes et leurs sources.

1 R c. Laffont 2021 QCCQ 4433.

2 L.R.C. (1985), ch. C-46.

3 L.C. 2017, ch. 22.

4 2019 CSC 44 [Denis].

5 Ibid, par. 28.

6 2018 CSON 5856.

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