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Perquisitions : les autorités ne peuvent conserver indéfiniment des choses saisies

Auteurs : Léon H. Moubayed, Fanny Albrecht, Sarah Gorguos et Patrice Labonté

Dans une décision récente, la Cour supérieure1 a jugé qu'une autorité saisissante ne pouvait conserver des copies des documents contenus sur des supports électroniques saisis lors de perquisitions après avoir officiellement avisé qu’aucune poursuite pénale ou administrative ne serait intentée. Par cette décision, la Cour rappelle, entre autres, qu’une autorité saisissante ne peut indéfiniment et sans aucune forme de contrôle judiciaire conserver une copie de ces documents, sous peine de violer les droits fondamentaux des personnes saisies.

Le contexte

Dans le cadre de fouilles, perquisitions et saisies réalisées dans une enquête visant une dizaine d’individus et trois entreprises, l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») avait mis la main sur près de 16 millions de documents en format électronique, en saisissant des ordinateurs, téléphones cellulaires, disques durs externes et clés USB. Des ordonnances avaient été rendues au cours de l’enquête, afin de permettre à l’AMF de conserver les choses saisies pendant une durée déterminée, tant que des accusations n’étaient pas déposées. Or, trois ans après avoir saisi le matériel technologique, l’AMF a officiellement déclaré qu’aucune poursuite pénale ou administrative ne serait intentée. Les personnes qui ont fait l’objet des fouilles, perquisitions et saisies ont donc sollicité la Cour afin d’obtenir la remise de toutes les choses saisies, quelle que soit la forme ou le support et incluant toute copie qu’en aurait faite l’AMF.

La décision

La Cour a ordonné à l’AMF (qui a fait appel de la décision de la Cour supérieure) de remettre tout le matériel visé. Ce faisant, la Cour a rappelé que tant que des accusations ne sont pas déposées, la rétention des choses saisies lors d’une enquête est soumise au contrôle périodique du tribunal. Elle a également réitéré que les choses saisies doivent être, le plus tôt possible, remises aux saisis et que les autorités dotées de pouvoirs d’enquête ne peuvent jamais en conserver de copie une fois la remise ordonnée.

En harmonie avec la jurisprudence constante de la Cour suprême, la Cour a par ailleurs indiqué que « choses saisies » comprend tant le contenu que le support de l’information. Ainsi, contrairement à ce qu’avançait l’AMF, « les citoyens ont une attente raisonnable de vie privée tant à l’égard de leur ordinateur que de l’information qu’il contient ».

L'AMF a maintenant porté cette décision devant la Cour d'appel du Québec.

L’impact

En soulignant que l’AMF n’est « pas au-dessus des lois ni des ordonnances des tribunaux », la Cour confirme l’importance de protéger les droits des personnes visées par les fouilles, perquisitions et saisies ainsi que ceux des tiers innocents. Elle souligne finalement que tout organisme doté de pouvoirs d’enquête est uniquement gardien des choses saisies et ne peut conserver des documents, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation des tribunaux.

1 Baazov c. Autorité des marchés financiers, 2019 QCCS 5564.

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