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Un actionnaire minoritaire de BlackBerry force la modification d’opérations avec une personne apparentée prévues avec Fairfax

Auteur : Brett Seifred

Le 1er septembre 2020, BlackBerry Ltd. a mené à bien l’opération modifiée de refinancement de sa dette conclue avec son actionnaire majeur Fairfax Financial Holdings Limited (« Fairfax »), après avoir apporté des changements aux modalités de celle-ci à deux reprises. Ces changements comprenaient la réduction de la taille du financement, passé de 535 millions de dollars américains à 365 millions de dollars américains à la suite de plaintes adressées par un actionnaire minoritaire au personnel de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO ») et de la Bourse de Toronto (« TSX »). Davies a représenté l’actionnaire minoritaire qui a formulé ces plaintes auprès des autorités de réglementation.

La situation de BlackBerry vient rappeler aux émetteurs qui sont parties à des opérations avec une personne apparentée la nécessité de se conformer aux règles de la TSX concernant l’émission de titres inscrits à des initiés, ainsi qu’au Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières (le « Règlement 61-101 ») qui énonce les règles encadrant les opérations comportant de possibles conflits d’intérêts, dont les opérations avec une personne apparentée.

Contexte

Par communiqué daté du 22 juillet 2020, BlackBerry a annoncé qu’elle allait procéder au refinancement de sa dette dans le cadre d’une opération aux termes de laquelle elle allait, avec le consentement de Fairfax attesté par convention, modifier ses débentures à 3,75 % convertibles et non garanties (les « débentures à 3,75 % ») afin qu’elles prévoient la possibilité d’un « remboursement optionnel » (optional redemption) avant l’échéance fixée au 13 novembre 2020. BlackBerry allait ensuite exercer cette faculté de remboursement optionnel nouvellement créée afin de rembourser, le 1er septembre 2020, l’intégralité du capital de 605 millions de dollars américains restant dû sur les débentures à 3,75 %. Fairfax (à hauteur de 500 millions de dollars américains) et un autre investisseur institutionnel non nommé (à hauteur de 35 millions de dollars américains) devaient ensuite souscrire de nouvelles débentures à 1,75 % convertibles et non garanties de BlackBerry (les « débentures à 1,75 % ») par voie de placement privé moyennant un prix de souscription global de 535 millions de dollars américains.

Hormis le taux d’intérêt réduit, les modalités des débentures à 1,75 % étaient présentées comme étant « identiques pour l’essentiel » (substantially identical) à celles des débentures à 3,75 %, à la différence que le prix de conversion serait réduit, passant de 10 $ US par action selon les débentures à 3,75 % à 6 $ US par action, et que les débentures à 1,75 % ne seraient pas remboursables par BlackBerry avant l’échéance, donnant ainsi à Fairfax la quasi-certitude de pouvoir convertir son investissement en capitaux propres.

Avant le refinancement projeté de la dette, Fairfax et les membres de son groupe étaient propriétaires de 8,4 % des actions de BlackBerry et de débentures à 3,75 % de BlackBerry d’un capital de 500 millions de dollars américains. Moyennant la conversion supposée de ses débentures à 3,75 %, Fairfax aurait détenu 17,4 % des actions en circulation de BlackBerry, ce qui en aurait fait une partie apparentée à BlackBerry (en raison de sa qualité de propriétaire véritable de plus de 10 % des actions comportant droit de vote de BlackBerry), mais pas nécessairement une « personne participant au contrôle » (qualité qu’une personne est réputée avoir, de manière générale, lorsqu’elle détient au moins 20 % des droits de vote rattachés à l’ensemble des titres comportant droit de vote de l’émetteur qui sont en circulation). Par ailleurs, Prem Watsa, fondateur et personne participant au contrôle de Fairfax, est administrateur de BlackBerry et, donc, un initié de celle-ci.

Fait important, l’actionnaire minoritaire a constaté que Fairfax détiendrait, après la réalisation des opérations, un peu plus de 20 % des actions comportant droit de vote de BlackBerry (y compris, aux fins de ce calcul, les actions comportant droit de vote sous-jacentes aux débentures à 1,75 % d’un capital de 500 millions de dollars américains que Fairfax devait souscrire dans le cadre de l’opération), ce qui faisait forcément d’elle une personne participant au contrôle et entraînait un « effet important sur le contrôle » de l’émetteur au sens des règles de la TSX. Le communiqué du 22 juillet ne faisait pas état de cette situation. De plus, bien que ce communiqué ait indiqué que les opérations étaient des « opérations avec une partie apparentée » selon le Règlement 61-101, il ne donnait aucune précision sur les dispenses d’évaluation officielle et d’approbation des porteurs minoritaires dont l’émetteur se prévalait en vertu du Règlement 61-101, ni n’exposait le processus d’examen et d’approbation que le conseil d’administration de BlackBerry avait adopté conformément au Règlement 61-101. L’actionnaire minoritaire a porté ces lacunes à l’attention du personnel de la CVMO et de la TSX.

De plus, l’actionnaire minoritaire a soulevé le fait que les opérations avec une personne apparentée semblaient nécessiter « l’approbation des actionnaires désintéressés » conformément aux règles de la TSX étant donné que le placement privé des débentures à 1,75 % allait comporter « l’émission ou l’émission potentielle » de titres inscrits (à savoir les actions de BlackBerry pouvant être émises à la conversion des nouvelles débentures à 1,75 %). Selon les règles de la TSX, et compte tenu de la participation d’initiés (Fairfax/Watsa) à l’opération et de l’effet important de celle-ci sur le contrôle de l’émetteur inscrit, la TSX devait exiger, a fait valoir l’actionnaire minoritaire, que l’opération soit soumise à l’approbation des actionnaires. Sans compter, toujours selon l’actionnaire minoritaire, que l’approbation des actionnaires désintéressés devait être obtenue conformément aux règles de la TSX du fait que le placement privé des débentures à 1,75 % prévoyait l’émission, à des initiés, de « droits à des titres inscrits » représentant plus de 10 % des actions en circulation, ce qui mettait l’opération en porte-à-faux avec le « plafond de participation des initiés » prévu par les règles de la TSX.

Modification par BlackBerry et Fairfax des modalités des opérations avec une personne apparentée

Après la clôture des marchés le vendredi 21 août 2020, BlackBerry a publié un communiqué intitulé « BlackBerry fournit de l’information supplémentaire sur le refinancement proposé de la dette » (en anglais seulement). Outre des précisions sur les délibérations tenues par le conseil de BlackBerry sur les opérations prévues avec Fairfax, BlackBerry a fourni des renseignements sur les dispenses d’évaluation officielle et d’approbation des porteurs minoritaires sur lesquelles elle s’appuyait pour réaliser ces opérations avec une personne apparentée. Surtout, BlackBerry et Fairfax semblaient avoir modifié les modalités des débentures à 1,75 % afin d’y inclure une nouvelle disposition de « blocage » selon laquelle, au moment de leur conversion, le pourcentage des actions comportant droit de vote dont Fairfax serait propriétaire demeurerait inférieur à 19,99 % (c’est-à-dire, sous le seuil à partir duquel Fairfax serait réputée constituer une personne participant au contrôle).

Le 28 août 2020, tout juste quelques jours avant la date de clôture prévue du 1er septembre 2020, BlackBerry et Fairfax ont modifié, pour une deuxième fois, les modalités des opérations et réduit le montant de la souscription de Fairfax, le faisant passer de 535 millions de dollars américains (soit le montant annoncé le 22 juillet 2020) à 365 millions de dollars américains. Le communiqué du 28 août 2020 révélait que la TSX avait révoqué l’approbation du placement privé de débentures à 1,75 % qu’elle avait antérieurement accordée sous condition au motif que l’opération était assujettie aux règles de la TSX sur le « plafond de participation des initiés » et que BlackBerry devait donc obtenir l’approbation des actionnaires désintéressés avant de pouvoir réaliser l’opération selon ses modalités initiales. Plutôt que de soumettre l’opération au vote des actionnaires, BlackBerry a réduit la taille du financement tout juste sous le plafond de participation des initiés.

Conclusion et observations

L’expérience de BlackBerry, qui a dû fournir des renseignements plus détaillés et apporter, à la onzième heure, des modifications importantes à une opération préalablement annoncée en raison de plaintes adressées aux autorités de réglementation, illustre bien à quel point les émetteurs doivent être soucieux des règles établies dans le Règlement 61-101 à l’égard des opérations avec une personne apparentée et, en ce qui concerne les émetteurs inscrits à la TSX, des règles de la TSX relatives à l’approbation des actionnaires désintéressés lorsqu’un initié important prend part à une émission de titres inscrits ou lorsque l’opération est susceptible par ailleurs d’avoir un effet important sur le contrôle d’un émetteur inscrit. Ceux qui omettent de le faire s’exposent à l’intervention des autorités de réglementation et, à juste titre, à des critiques, voire à des poursuites, de la part d’actionnaires minoritaires.

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