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La Cour d’appel de l’Ontario rend sa décision : le cadre fédéral de tarification du carbone est constitutionnel

La Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans le cadre de la demande de renvoi présentée par le gouvernement de l’Ontario concernant la constitutionnalité du cadre fédéral de tarification du carbone. La question posée à la Cour était celle de savoir si la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la « LTPCGES ») était en totalité ou en partie inconstitutionnelle. Au soutien de sa position, le gouvernement de l’Ontario a fait valoir les deux arguments principaux suivants :

  1. la LTPCGES ne relève pas de la compétence fédérale de légiférer au sens de la Loi constitutionnelle de 1867;
  2. la redevance sur le carbone prévue à la Partie I de la LTPCGES ne peut être considérée comme des frais de nature réglementaire, mais constitue plutôt une taxe déguisée et illégitime.

Dans une décision partagée rendue le 28 juin 2019, la Cour a rejeté les deux arguments. Selon elle, la LTPCGES relève de la compétence du parlement fédéral de légiférer sur les questions d’intérêt national qui lui est conférée par le pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (la « POBG ») et la redevance sur le carbone peut être assimilée à des frais de nature réglementaire et ne constitue donc pas une taxe. La contestation de la constitutionnalité de la LTPCGES par le gouvernement de l’Ontario a été précédée d’une contestation de même nature de la part du gouvernement de la Saskatchewan. Dans ce cas aussi, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que la loi était constitutionnelle dans une décision partagée rendue en mai 2019.

Contexte

Le 3 octobre 2016, le gouvernement fédéral a publié un document intitulé l’Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone, qui obligeait les provinces et territoires à adopter leur propre cadre de tarification du carbone avant la fin de 2018. Les provinces et les territoires qui omettaient d’adopter un cadre qui répondait à certains critères au cours de la période en question seraient assujettis au filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone.

Le système fédéral de tarification de la pollution par le carbone prévu par la LTPCGES, qui est entré en vigueur le 21 juin 2018, se divise en deux parties :

  • une redevance réglementaire sur les combustibles
  • un système d’échange réglementaire pour les grandes industries, que l’on appelle le système de tarification fondé sur le rendement (le « STFR »), qui vise les installations industrielles qui exercent des activités prescrites et qui émettent des émissions au-delà de certains seuils prescrits.

À l’exception du Yukon et du Nunavut, où le système fédéral de tarification du carbone est entré en vigueur le 1er juillet 2019, le STFR est entré en vigueur le 1er janvier 2019, alors que la redevance fédérale sur le carbone a commencé à s’appliquer le 1er avril 2019. Le gouvernement fédéral a mis en œuvre la redevance sur le carbone fédérale et le STFR en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Saskatchewan, au Yukon et au Nunavut. Le STFR a également été mis en oeuvre à l’Île-du-Prince-Édouard. En outre, le gouvernement fédéral a annoncé que la redevance sur le carbone fédérale s’appliquerait aussi en Alberta à compter du 1er janvier 2020 et que le système visant les grands émetteurs industriels de l’Alberta continuera de faire l’objet d’un suivi afin d’établir si le STFR devrait également s’appliquer dans cette province.

Contestation de la constitutionnalité

POBG

Bien que les Cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario aient toutes deux conclu que la LTPCGES constituait une loi valide du gouvernement fédéral aux termes du pouvoir de légiférer pour la POBG, chaque tribunal a caractérisé l’objet ou la véritable intention de la loi de façon légèrement différente. Alors que la Cour de l’Ontario a soutenu que la LTPCGES visait à fixer des normes nationales minimales de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Cour de la Saskatchewan a, pour sa part, conclu que la LTPCGES visait à instaurer une norme nationale minimale en ce qui concerne le prix des émissions de GES.

Selon la Cour de l’Ontario, l’établissement de normes minimales nationales pour réduire les émissions de GES constitue une nouvelle question – c’est-à-dire une question qui ne pouvait être envisagée au moment de la confédération – et peut être décrite comme une question qui possède l’unicité, la particularité et l’indivisibilité voulues pour être une matière d’intérêt national et relève donc de la compétence fédérale en matière de POBG, puisqu’il s’agit d’une question qu’aucune province ou qu’aucun territoire ne peut régler seul. Comme l’a souligné la Cour, le fait pour une province de ne pas s’attaquer à l’enjeu pourrait porter atteinte aux intérêts des autres provinces.

Frais de nature réglementaire

Sur le plan constitutionnel, on distingue une taxe de frais de nature réglementaire en fonction de l’objet visé par ceux-ci. Alors qu’une taxe est imposée pour prélever des recettes à des fins fiscales générales, des frais de nature réglementaire le sont à des fins réglementaires précises. Selon la Cour de l’Ontario, la redevance sur le carbone fédérale peut valablement être considérée comme des frais de nature réglementaire, puisqu’elle permet d’atteindre un objectif légitime du cadre réglementaire, soit celui de modifier les comportements en vue de réduire les émissions de GES. La Cour de la Saskatchewan en était venue à la même conclusion; elle était d’avis que la redevance n’était pas destinée à amasser des recettes à des fins générales, mais plutôt à réduire les émissions de GES en haussant le prix associé à celles-ci.

Procédures judiciaires à venir

Maintenant que la Cour de l’Ontario a rendu sa décision, tous les yeux seront tournés vers la Cour suprême du Canada, laquelle devrait entendre l’appel de la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan en décembre 2019. Le ministre de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs de l’Ontario a indiqué clairement que le gouvernement de l’Ontario entendait porter sa contestation de la LTPCGES devant la Cour suprême du Canada. Pour ne pas être en reste face à l’Ontario et à la Saskatchewan, le ministre de la Justice de l’Alberta a annoncé que son gouvernement avait l’intention de soumettre, par renvoi, la question de la validité constitutionnelle de la LTPCGES à la Cour d’appel de l’Alberta. Même s’il peut encore s’écouler plusieurs mois avant que nous ne soyons fixés en ce qui concerne le cadre réglementaire entourant les émissions de GES du Canada, le régime mis en place par le fédéral s’applique entre-temps.

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