L’évaluation d’impact de régime fédéral : modifications législatives et directive du Cabinet
Contexte
Le gouvernement canadien a récemment adopté des modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact (la « LÉI »), qui étaient très attendues. Ces modifications, qui sont entrées en vigueur le 20 juin 2024, viennent rectifier la portée constitutionnelle excessive de la LÉI, tel que l’a indiqué la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») dans son avis formulé le 13 octobre 2023 dans le cadre du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact.
Dans un avis consultatif non contraignant, la Cour suprême a établi que la LÉI était en partie inconstitutionnelle, car elle permettait au gouvernement fédéral de prendre des décisions à l’égard de projets désignés qui ne sont pas suffisamment liés à des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » (pour en savoir davantage, veuillez vous reporter à notre bulletin). Ayant accepté les indications de la Cour suprême, le gouvernement fédéral s’est engagé à apporter des modifications très précises à la LÉI pour en préserver le caractère constitutionnel. Comme prévu, les modifications sont très ciblées, la plupart des dispositions du régime de la LÉI demeurant inchangées. Toutefois, rien ne garantit que les modifications seront suffisantes pour éviter les contestations constitutionnelles futures.
En outre, dans une directive du Cabinet publiée le 5 juillet 2024, un « changement de culture » était demandé afin d’accélérer le processus d’évaluation d’impact et les processus de délivrance de permis fédéraux relativement aux « projets de croissance propre », qui sont nécessaires aux efforts de décarbonation1. La directive du Cabinet prévoit la création d’un nouveau Bureau de la croissance propre ayant pour mandat de coordonner la délivrance des permis fédéraux pour les projets désignés aux termes de la LÉI (ainsi que pour d’autres projets non désignés, en plus de projets émanant d’entités fédérales).
Modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact
Les modifications apportées à la LÉI ont pour but de répondre à des enjeux importants soulevés par la Cour suprême dans son avis, mais elles n’améliorent en rien les enjeux systémiques liés à la transparence et aux délais, qui font l’objet de critiques depuis des décennies. Plus particulièrement, les modifications à la LÉI portent sur les aspects suivants :
Effets relevant d’un domaine de compétence fédérale. Les effets continueront d’être ciblés et soumis aux processus décisionnels prévus par la LÉI. Les modifications visent plutôt à les redéfinir, de sorte que leur appartenance à des domaines de compétence fédérale soit bien claire. Par exemple, les effets observés dans une autre province ne sont plus inclus dans la définition du terme « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale ». Les effets interprovinciaux ne sont par conséquent plus expressément soumis à une évaluation. De plus, les effets font désormais l’objet d’une évaluation seulement si certains critères de base sont respectés, c’est-à-dire qu’ils doivent maintenant être jugés non négligeables et négatifs.
Étapes du processus décisionnel. Deux étapes sont désormais requises dans le processus décisionnel portant sur l’importance des effets anticipés et la possibilité de les justifier (ces concepts sont tirés de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)) :
- premièrement, des mesures d’atténuation éventuelles doivent être envisagées lorsque les personnes devant rendre la décision déterminent si les effets en question sont importants. Si les effets ne sont pas jugés importants, le processus d’évaluation prend fin, et le projet est approuvé;
- deuxièmement, si les effets sont jugés importants, selon le critère actuel de l’intérêt public, il importe ensuite de trancher la question de savoir si l’intérêt public les justifie.
Critère de l’intérêt public. En réponse à la critique de la Cour suprême sur l’étendue du critère de l’intérêt public, des modifications ont été apportées afin de rattacher les facteurs examinés aux effets relevant d’un domaine de compétence fédérale. Cependant, certains concepts généraux demeurent pris en compte (tels que la « durabilité ») et pourraient faire l’objet d’un examen supplémentaire.
Collaboration entre les gouvernements. Certaines modifications mineures ont été apportées afin de favoriser une meilleure collaboration entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, conformément aux principes de flexibilité et de fédéralisme coopératif qui ont été évoqués par la Cour suprême en lien avec le processus d’évaluation d’impact. Néanmoins, ces modifications ne permettent pas, en elles-mêmes, de remédier au problème sous-jacent des délais.
Directive du Cabinet au sujet de la LÉI
La directive du Cabinet met l’accent sur le fait que les entités fédérales doivent « favoriser un changement de culture » et agir selon une « culture de l’urgence » pour s’attaquer aux risques immédiats posés par les changements climatiques. Elle prescrit la création d’un nouveau Bureau de la croissance propre au sein du Bureau du Conseil privé. Le Bureau de la croissance propre collaborera avec l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’« Agence ») pour élaborer les plans de délivrance de permis et veiller à la transparence des processus d’évaluation d’impact et de délivrance de permis. Fait important, la directive du Cabinet établit des échéanciers relativement à la LÉI et aux processus de délivrance de permis, lesquels sont les suivants :
- pour les projets désignés aux termes de la LÉI, les entités fédérales sont tenues de mener à bien les évaluations d’impact et les processus de délivrance de permis dans un délai de cinq ans;
- l’Agence et la Commission canadienne de sûreté nucléaire doivent veiller à ce que les examens des projets nucléaires soient réalisés dans un délai de trois ans.
Pendant des décennies, les promoteurs, les prêteurs et les investisseurs ont demandé la rationalisation du système d’évaluation d’impact du gouvernement fédéral et l’amélioration de ses délais de traitement. Dans l’intervalle, les opposants à la LÉI de régime fédéral se sont réjouis de l’opinion formulée par la Cour suprême en 2023 au sujet du caractère inconstitutionnel de celle-ci. Bien que les modifications apportées à la LÉI en réaction à cette opinion semblent tenir compte de la majorité des préoccupations soulevées par la Cour suprême en matière de constitutionnalité, aucune de ces modifications ne vient améliorer les retards chroniques qui perturbent le système d’évaluation et de délivrance de permis du gouvernement fédéral. La directive du Cabinet présente sans équivoque la nécessité urgente d’apporter des changements. S’ils sont respectés, les nouveaux échéanciers prévus dans la directive du Cabinet réduiront de plusieurs années les délais dans les principaux secteurs de croissance propre. Il reste à voir de quelle façon cette directive sera mise en œuvre pour produire les résultats escomptés.