Bulletin

La Cour suprême du Canada conclut à l’inconstitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impact

Le 13 octobre 2023, dans une décision rendue à 5 contre 2 dans le cadre du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») a jugé que la Loi sur l’évaluation d’impact (la « LÉI »), une loi fédérale, était en partie inconstitutionnelle. En effet, la Cour suprême a conclu que le traitement des « projets désignés » prévu dans la LÉI était inconstitutionnel, car il permet de prendre des décisions à l’égard de ces projets pour des motifs qui ne sont pas suffisamment liés à des effets fédéraux négatifs.

Contexte

Le gouvernement de l’Alberta avait saisi la Cour d’appel de l’Alberta d’un renvoi, à l’issue duquel la Cour établissait que la LÉI et le Règlement sur les activités concrètes qui s’y rapporte (la « Liste de projets ») étaient inconstitutionnels dans leur intégralité. Selon la Cour d’appel de l’Alberta, la LÉI empiète de manière inacceptable sur les pouvoirs appartenant aux provinces de légiférer à l’égard des ressources naturelles, de la propriété et des droits civils sur leur territoire. Le procureur général du Canada a ensuite porté cette décision en appel.

La Cour suprême a déclaré que la LÉI constitue « essentiellement deux lois en une » et que celle-ci comporte deux « régimes » distincts pour traiter i) les grands projets qui sont désignés conformément à la Liste de projets (les « projets désignés ») et sont automatiquement soumis à la LÉI; et ii) les activités non désignées relevant d’une autorité fédérale (et se déroulant sur un territoire domanial ou à l’étranger). Comme nous le verrons plus loin, la Cour suprême a conclu que seul le régime de la LÉI concernant les projets désignés était inconstitutionnel.

Conclusion d’inconstitutionnalité

Bien que la Cour suprême a confirmé le pouvoir du gouvernement fédéral d’adopter des lois sur l’évaluation d’impact, elle a conclu que pour être constitutionnelles, ces lois fédérales doivent viser les aspects fédéraux des projets auxquels elles se rapportent. En ce qui concerne la LÉI, la Cour suprême a conclu que les deux aspects suivants du régime applicable aux projets désignés étaient inconstitutionnels :

  1. Plusieurs des facteurs à prendre en compte dans le cadre de la décision suivant l’examen préalable à l’égard des projets désignés (selon le paragraphe 16(2) de la LÉI) ne sont pas, contrairement à ce qu’ils doivent être, liés aux effets négatifs fédéraux potentiels. Par exemple, la LÉI permet que l’examen des projets désignés soit effectué sur la base des « observations reçues, dans le délai fixé par l’Agence, du public et de toute instance ou de tout groupe autochtone consultés », sans tenir compte du fait que ces observations ont trait à la possibilité que le projet entraîne des effets fédéraux négatifs.
  2. Dans le même ordre d’idées, la Cour suprême a conclu que l’étape finale du processus prévu dans la LÉI à l’égard des projets désignés permettrait qu’une décision prise dans l’intérêt public soit fondée sur des facteurs n’ayant aucun lien avec des effets fédéraux négatifs. Par exemple, une décision prise dans l’intérêt public peut être fondée sur la mesure dans laquelle un projet désigné contribue à la durabilité, facteur que la Cour suprême a qualifié comme englobant tous les effets environnementaux, sociaux et économiques, plutôt que d’être fondée uniquement sur des facteurs qui relèvent d’un domaine de compétence fédérale.

Bien qu’elle ne soit pas déterminante pour la décision rendue par la Cour suprême, la définition des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » prévue dans la LÉI a également été jugée trop large, car elle permet au gouvernement fédéral de désigner un projet selon des effets ne relevant pas d’un domaine de compétence fédérale. Par exemple, la définition d’« effet relevant d’un domaine de compétence fédérale » de la LÉI comprend les changements à l’environnement dans une province autre que celle où le projet désigné est réalisé, ce qui permettrait à un projet d’être désigné sur le seul fondement que le projet émet des gaz à effet de serre qui traversent les frontières provinciales.

Dans le même ordre d’idées, la Cour suprême a conclu que l’article 7 de la LÉI soumet le promoteur d’un projet désigné à des interdictions que le gouvernement fédéral n’aurait pas le pouvoir de mettre en place directement. Plus précisément, la Cour suprême a souligné que l’article 7 de la LÉI interdit, entre autres, à un promoteur de faire quoi que ce soit qui puisse causer un changement (sans nécessairement qu’il s’agisse d’un changement négatif) aux poissons et à leur habitat, alors que la jurisprudence fédérale relative à la Loi sur les pêches a confirmé que la conduite interdite en vertu de cette loi doit être liée à des dommages réels ou probables que les pêcheries pourraient subir.

Même si elle conclut que les mécanismes de décision relatifs à l’examen et à l’approbation des projets désignés étaient inconstitutionnels, la Cour suprême n’a relevé aucune faute dans la façon de désigner les projets figurant dans la Liste de projets, et a confirmé que le gouvernement fédéral peut (au cours de l’étape de l’évaluation) recueillir des renseignements sur les effets qui s’étendent au-delà de ceux qui relèvent de la compétence fédérale.

Répercussions et prochaines étapes

La décision de la Cour suprême est un avis consultatif non contraignant qui n’affecte pas la validité de la LÉI. Lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles à l’échelle fédérale ont confirmé que le gouvernement fédéral accepte les conclusions de la Cour suprême, que i) la LÉI est déjà mise en application d’une manière conforme à la décision rendue par la Cour suprême (ce qui suggère que la décision n’aura pas d’incidence pratique en ce qui concerne les évaluations en cours); et que ii) plutôt que d’apporter des modifications globales à la LÉI, ce seront plutôt des modifications législatives ciblées qui seront rédigées.

Les promoteurs dont les projets désignés ont été rejetés ou ont fait l’objet de limites sur le fondement de la LÉI jusqu’à ce jour pourraient vouloir passer ces décisions en revue afin d’évaluer s’ils disposent de moyens de contestation. Par ailleurs, les projets désignés qui font actuellement l’objet d’une évaluation aux termes de la LÉI seront vraisemblablement examinés par l’Agence d’évaluation d’impact afin de confirmer qu’elle a compétence. Pour être proactifs, les promoteurs qui sont actuellement soumis à un processus d’évaluation pourraient demander une révision de la portée de l’évaluation.

Une leçon importante que l’on peut tirer de la décision rendue par la Cour suprême est que le gouvernement fédéral doit faire preuve de prudence dans les efforts qu’il déploie pour utiliser la LÉI comme moyen de lutter contre le changement climatique (par exemple, en fondant les décisions à l’égard des projets désignés sur l’ampleur de leurs émissions de gaz à effet de serre). À cet égard, la Cour suprême a fortement souligné que le gouvernement fédéral ne peut avoir recours à la LÉI pour adopter indirectement un régime réglementaire complet en matière d’émissions de gaz à effet de serre – ce que la Cour suprême avait d’ailleurs établi comme ne relevant pas de la compétence du gouvernement fédéral dans l’affaire Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Connexe