Bulletin

Villa Ste-Rose : « La CAF tranche : intérêts et pénalité pour production tardive se calculent après déduction des remboursements de TPS »

Auteurs : Élisabeth Robichaud, Nathalie Goyette et Ariane Hunter-Meunier

Dans Canada c. Villa Ste-Rose Inc. (2021 CAF 35), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a confirmé le jugement de la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») selon lequel le calcul des intérêts et de la pénalité pour production tardive d’une déclaration de TPS doit tenir compte des remboursements auxquels le contribuable a droit. Cet arrêt tranche avec la politique jusqu’alors appliquée par les autorités fiscales, à l’effet que les intérêts et la pénalité doivent s’appliquer sur la TPS déclarée et payée en retard, sans y soustraire les remboursements à recevoir par le contribuable pour la même période.

Contexte

Villa Ste-Rose Inc. (« Villa Ste-Rose ») exploite un centre d’hébergement pour personnes ainées situé au Québec. Puisque la totalité des fournitures qu’elle effectue est exonérée aux fins de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), elle n’est pas inscrite au registre de la TPS.

Le 1er février 2013, un incendie a détruit l’immeuble opéré par Villa Ste-Rose de sorte qu’elle a fait construire un nouvel immeuble par un entrepreneur. Au moment où la construction a été terminée et qu’un premier locateur a emménagé, Villa Ste-Rose a été réputée s’être fourni à elle-même un immeuble locatif — soit, une fourniture taxable — ce qui a engendré deux conséquences aux termes de la LTA :

  • Le paragraphe 191(3) LTA a déclenché l’obligation pour Villa Ste-Rose de verser aux autorités fiscales un montant de 736 864,18 $ correspondant à la TPS calculée sur la juste valeur marchande de l’immeuble nouvellement construit.
  • En vertu des paragraphes 256.2(3) et 257(1) LTA, Villa Ste-Rose a obtenu le droit à des remboursements de 860 665,48 $ correspondant à la TPS payée dans le cadre de la construction de l’immeuble.

Parce que le formulaire de déclaration pour la TPS due sur la fourniture de l’immeuble a été transmis après l’expiration du délai imparti par la LTA, les autorités fiscales ont imposé des intérêts et la pénalité pour production tardive suivant les articles 280 et 280.1 LTA. Ces intérêts et la pénalité ont été calculés sur le montant de TPS payable de 736 863,18 $ et ce, malgré qu’au net, Villa Ste-Rose était en position de remboursement.

Question en litige

Le litige soulevait la question de savoir s’il fallait, avant de calculer les intérêts et la pénalité, réduire la TPS déclarée tardivement de tout montant de remboursement dû pour la même période.

Cette question se posait dans le contexte précis d’une fourniture à soi-même effectuée par un non-inscrit. En effet, il n’était pas contesté qu’un inscrit aurait bénéficié du calcul de la taxe nette, c’est-à-dire que la TPS due par l’inscrit aurait été automatiquement réduite des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») accordés pour la TPS payée durant la même période1.

La décision de la CAF

Les articles 280 et 280.1 LTA prévoient que les intérêts et la pénalité se calculent sur le « montant » à verser ou à payer, terme que la CAF a interprété en se fondant sur la méthode moderne d’interprétation des lois. Dans ce cadre, une emphase particulière a été accordée à l’objet et au contexte de ces dispositions et, de façon plus large, de la LTA :

  • La LTA cherche à mettre le non-inscrit sur un pied d’égalité avec l’inscrit en lui accordant un remboursement de la TPS payée lors de la construction d’un immeuble. Autrement, le non-inscrit se retrouverait dans une situation non désirée de double taxation.
  • Lorsque, comme en l’espèce, les conditions établies par la LTA sont satisfaites, le remboursement de la TPS payée doit être accordé. Les autorités fiscales n’ont aucune discrétion à l’égard d’une demande de remboursement.
  • D’ailleurs, lorsqu’elles constatent qu’une personne avait droit à un remboursement, mais qu’elle n’a pas fait une demande à cet égard, les autorités fiscales ont l’obligation d’émettre le remboursement, et ce, même si le délai pour établir une telle demande est expiré2. Il s’ensuit que si Villa Ste-Rose avait fait défaut de produire sa déclaration de TPS, les autorités fiscales, lorsqu’elles auraient constaté cette omission, auraient été tenues de lui émettre un remboursement pour la différence entre la TPS et le remboursement dus de part et d’autre, sans pénalité et sans intérêts. Devant un tel constat, la CAF a refusé d’endosser une interprétation selon laquelle une personne qui se soustrait à ses obligations en ne produisant aucune déclaration serait favorisée par rapport à une personne, comme Villa Ste-Rose, qui tente de se conformer à ses obligations dès qu’elle constate son omission.
  • Le législateur ne pouvait avoir en tête, en édictant les articles 280 et 280.1 LTA, qu’une situation comme celle de Villa Ste-Rose puisse mener à l’établissement d’intérêts et pénalités considérant que le remboursement demandé est inextricablement lié à la fourniture taxable effectuée, et se rapporte à la même période.

À la lumière de ces éléments, la CAF a tranché que le terme « montant » sur lequel les intérêts et la pénalité se calculent, même s’il diffère du terme « taxe nette » utilisé ailleurs dans la LTA, doit prendre en compte les remboursements auxquels le contribuable a droit. Puisque le montant net doit être considéré, il n’y avait pas lieu de cotiser des intérêts et une pénalité à l’encontre de Villa Ste-Rose.

Impact de la décision

Cette décision envoie un message clair qu’en matière de taxes à la consommation, les cours n’hésiteront pas à rejeter une interprétation littérale de la loi qui se traduit par un résultat absurde.

Malgré la décision de la CCI rendue en mars 2019, les autorités fiscales ont maintenu leur politique et continué à calculer intérêts et pénalités sur le montant de TPS versé et produit en retard, indépendamment des remboursements auxquels une personne avait droit3. À moins d’une demande d’autorisation d’appel en Cour suprême, elles devront cette fois-ci modifier leur façon de faire afin de s’harmoniser avec la jurisprudence.

Il est à noter par ailleurs qu’outre une fourniture à soi-même effectuée par un non-inscrit, comme en l’espèce, une situation similaire survient dès lors qu’une personne, inscrite ou non, est à la fois débitrice et créditrice pour la même période par l’effet de deux déclarations séparées. On peut penser notamment à un organisme de services publics (tel qu’un OBNL ou un organisme de bienfaisance) qui doit verser la TPS perçue à l’égard de ses fournitures taxables, mais qui réclame également des remboursements à l’égard de ses fournitures exonérées, ou bien à une institution financière qui doit s’auto-cotiser à l’égard de fournitures taxables importées, mais dont le montant pourrait être compensé par des CTI réclamés dans sa déclaration TPS.

Les personnes qui auraient été cotisées pour des intérêts et des pénalités sur un montant de TPS/TVH (et/ou TVQ), sans que les remboursements dus pour la même période ne soient pris en compte, auront avantage à consulter un professionnel afin d’évaluer si des recours s’offrent à elle.

1 Toutefois, l’inscrit se trouve dans la même position que le non-inscrit à l’égard du remboursement pour immeuble locatif neuf (256.2(3) LTA), auquel tous deux ont droit. En effet, ce remboursement n’est pas pris en compte dans le calcul de la taxe nette et doit être réclamé dans une déclaration distincte.

2 Le paragraphe 296(2.1) LTA et United Parcel Service du Canada Ltée c. Canada, 2009 CSC 20, par. 30.

3 Agence du revenu du Canada, Énoncé de politique P-194R2 (27 août 2007); Revenu Québec, Questions techniques de l’heure – Direction générale de la législation, 26e Symposium sur les taxes à la consommation de l’Association de planification fiscale et financière (28 mai 2019).

Personnes-ressource

Connexe

Federal Budget 2024: How It Impacts You and Your Business

16 avr. 2024 - Traduction en cours. On April 16, 2024 (Budget Day) the Honourable Chrystia Freeland, Deputy Prime Minister of Canada and Minister of Finance, delivered the Liberal Party’s federal budget (Budget 2024). Budget 2024 included a number of proposed changes to the...